Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, s’il est deux enjeux essentiels que je veux retenir du texte que nous examinons aujourd’hui, le premier est celui de la conception que nous pouvons avoir de la politique industrielle d’une grande nation, la France ; le second est celui de l’intelligence partagée, de la responsabilité et du dialogue.
Concevoir la politique industrielle d’une grande nation, c’est bien sûr tracer des perspectives, donner un sens et une vision à la recherche, favoriser l’invention de process, l’industrialisation de procédés innovants, construire les fondements de la conquête de marchés nouveaux correspondant à autant de nouveaux besoins de notre société.
Mais une politique industrielle moderne, faisant de la France une nation innovante et créatrice, ne saurait se satisfaire d’à-côtés nauséeux qui voudraient qu’un site, une ligne de fabrication, une usine, parce qu’ils ne correspondraient plus, à un moment donné, au projet de son propriétaire, soient sans aucun égard jetés à la poubelle. Trop d’exemples révoltants ont émaillé par le passé l’actualité économique, de sites fermés brutalement, de machines déménagées dans la nuit, de salariés ne sachant même plus à qui réclamer leur solde de tout compte.
Cette politique industrielle « Kleenex », qui est tout sauf une politique, n’est le reflet ni du sens de la responsabilité de la très grande majorité des chefs d’entreprise ni de celui des salariés, encore moins de celui des acteurs locaux, élus et décideurs de tous ordres, qui s’efforcent de construire des territoires harmonieux et accueillants pour ceux qui entreprennent et pour ceux qui travaillent.
Quand on parle ici d’économie réelle, quand on parle de mesures d’encadrement sérieusement étudiées pour la reprise ou la cession d’une activité, quand on parle de valorisation de l’actionnariat de long terme – celui qui s’intéresse à l’entreprise elle-même et pas seulement à la plus-value des cours de ses actions – quand on parle de dialogue social et d’association des salariés à la décision, c’est parce que l’on porte la conviction qu’il nous faut corriger les excès de dizaines d’années durant lesquelles, dans de nombreux cas, la seule aune du profit financier s’est imposée, au détriment de toute autre.
Ces excès, on le sait, ont creusé les inégalités, profondément détruit la confiance entre les acteurs du monde de la production, exposé des profits insolents à l’opinion et blessé à jamais des hommes, leurs familles et leurs territoires.
Dans ces deux dimensions – permettre des conditions sérieuses de l’arrêt ou de la cession d’un site, comme dans sa volonté de donner aux grandes entreprises françaises un actionnariat stable et de long terme –, ce texte est un plaidoyer pour réaffirmer et redonner à la France une vraie vocation industrielle, en y associant tous ceux, employeurs, employés, élus de la nation et élus locaux, qui ambitionnent de concourir à un noble objectif. Il s’agit, d’une certaine façon, comme le dit le président de la commission affaires économiques dans Les Echos de ce matin, de remettre de la morale là où, parfois, le sens de l’intérêt économique général a été totalement perdu
L’intérêt économique général, c’est celui dont on pourrait dire qu’il comprend les contraintes de l’entreprise, qu’il respecte le rôle et la place des salariés et les considère comme des adultes responsables, qu’il mesure l’impact d’une activité sur son territoire et en tient le plus grand compte.
Dans sa première partie, le texte dit le bon sens : une cession ou l’arrêt d’un site industriel, dans une entreprise qui compte plus de mille salariés, exige d’être sérieusement instruit. La recherche active d’un repreneur qui soit qualifié, qui offre une vraie perspective et qui donne des garanties de solidité et de pérennité doit être effective. Cette ou ces candidatures, les salariés doivent en être informés, les questionner et, pourquoi pas, les accompagner, mais non les prendre comme un fait accompli imposé et sans débat.
Oui, mes chers collègues, ce que nous souhaitons inscrire dans la loi, c’est le bon sens ; mais le bon sens n’étant pas toujours la règle, nous préférons le graver dans le marbre et l’assortir, en cas de non-respect, de mesures dissuasives et de sanctions pour ceux qui seraient tentés de s’en écarter.
Dans sa seconde partie, et considérant que l’actionnaire de court terme ne se focalise que sur les performances boursières, au détriment de l’économie réelle, le texte a pour objet de favoriser la stabilité de l’actionnariat dans les entreprises, en reprenant plusieurs dispositions du rapport Gallois : maintien à 30 % du seuil de détention des actions entraînant automatiquement le lancement d’une OPA, afin d’éviter les prises de contrôle rampantes par des actionnaires minoritaires tentant néanmoins d’influer sur le management sans assumer jusqu’au bout leur position dominante ; mais généralisation du droit de vote double aux actionnaires détenant des parts d’une société depuis plus de deux ans ; et renforcement du rôle des comités d’entreprise en cas d’OPA hostile.
Pour conclure, je ne m’attarderai pas ici sur des exemples de cas pratiques puisque mes collègues Michel Liebgott et Jean-Louis Destans ont prévu de le faire. Je tiens juste à préciser qu’un texte comme celui-ci aurait permis d’éviter des conflits sociaux là où des groupes ont fermé des sites industriels alors même qu’il existait des offres de reprise. Cela aurait permis, par exemple, que la situation d’une entreprise comme celle de Kem One, dans ma circonscription, connaisse un autre destin. Il aurait permis que s’exprime, autour de difficultés réelles, l’intelligence collective dont peuvent être capables ensembles entrepreneurs, salariés et élus, dès lors qu’il s’agit d’écrire un nouveau destin industriel pour la France.