Il symbolise notre engagement et notre détermination pour l’emploi et le redressement industriel de la France. Il s’appuie, mes chers collègues, sur une réalité concrète à laquelle j’ai été confronté dans l’Eure – avec mon collègue François Loncle, que j’associe à cette intervention –, lors du sauvetage du site de M’Real, entreprise de 330 salariés disposant de la machine à papier la plus performante d’Europe. En mai 2011, son actionnaire finlandais annonce la fermeture du site dans un délai de quatre mois si aucun repreneur crédible n’est identifié. Les négociations engagées par le gouvernement de l’époque, dont était membre Bruno Le Maire, qui avait été élu député de l’Eure, se soldent par un échec. Et le 2 avril 2012, 300 salariés sont licenciés.
Telle est la réalité brutale dont nous parlons, qui fragilise un territoire en quelques mois et plonge des centaines de salariés dans la précarité. Le plus révoltant, le plus insupportable, c’est que les salariés avaient eux-mêmes démontré que le déficit annuel de 10 millions d’euros affiché par la direction ne correspondait pas à une réalité économique mais à l’existence de plusieurs mécanismes de remontées d’argent vers la maison mère. Leur outil de production était rentable et économiquement viable, nous en avions la conviction. Le 15 février 2012, pendant la campagne présidentielle, François Hollande rencontre les salariés de M’Real et s’engage, s’il est élu, à faire de la reprise de sites rentables l’objet d’une initiative législative destinée à contraindre les vendeurs à la négociation. C’est tout l’objet de notre discussion aujourd’hui.
Dès le mois de juin 2012, sur le site d’Alizay, collectivités territoriales, syndicats et Gouvernement décident ensemble de rouvrir les négociations avec les dirigeants finlandais. Nous disposions en effet d’un important travail d’expertise des comptes de l’entreprise réalisé par l’intersyndicale et nous avions un éventuel repreneur, le groupe thaïlandais Double A, dont M’Real ne voulait pas car il intervenait dans son champ concurrentiel mais dont la fiabilité industrielle était avérée.
La négociation a reposé sur trois grands principes. Premièrement, dissocier les négociations entre le vendeur initial et l’acheteur final. Deuxièmement, et c’est essentiel, entourer du plus grand secret le contenu de nos échanges tout en assurant l’information en temps réel des représentants des salariés, dont l’intersyndicale s’est elle-même astreinte à la plus grande discrétion. Troisièmement, placer enfin le conseil général au coeur des négociations en se déclarant acheteur intermédiaire du site avant d’assurer la revente des actifs liés à la production de papier au repreneur thaïlandais.
L’efficacité de notre négociation a découlé de ce montage qui nous plaçait au centre du processus, position certes inconfortable car fortement soumise à la pression mais qui a permis d’actionner les leviers susceptibles de dépasser les points de blocages, ou d’en créer lorsque cela s’avérait nécessaire. Avec le concours de l’État et en l’absence de toute disposition législative sur laquelle s’appuyer, nous avons notamment menacé de renchérir sensiblement les coûts de dépollution et de remise en état du site, et d’allonger les procédures. Nous étions déterminés à faire subir ces contraintes supplémentaires au propriétaire s’ils persistait dans son refus de vendre. Quand il le fallait, j’ai d’ailleurs pu m’appuyer sur le soutien sans faille du Gouvernement et en particulier du ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, que je veux ici saluer.
Les négociations ont finalement abouti. Le département de l’Eure a racheté l’ensemble du site d’Alizay le 23 janvier 2013 et revendu le même jour les actifs liés à la production de papier au groupe thaïlandais Double A. Aujourd’hui, mes chers collègues, la production est relancée et devrait atteindre 100 000 tonnes à la fin de l’année. Près de 160 salariés sont en poste, dont 80 % d’anciens de M’Real, et ils devraient bientôt être 200. La reprise industrielle est une réussite. J’ai la conviction profonde qu’il est possible de tirer des enseignements de cette expérience, à défaut d’y voir un modèle transposable à l’identique. Ce qui a été fait à Alizay peut trouver aujourd’hui un prolongement législatif et juridique. Oui, mes chers collègues, la force de conviction, lorsqu’elle est partagée, lorsqu’elle est politique et syndicale, permet de surmonter des logiques industrielles parfois destructrices d’emplois. Quand certains invoquent le fatalisme du marché pour mieux s’y résigner ou trouvent dans la main invisible d’Adam Smith le prétexte à l’immobilisme, nous considérons au contraire qu’il est de notre responsabilité politique d’agir et d’intervenir. Et si nous ne pouvons pas raisonnablement nous fixer une obligation de résultat en la matière, nous avons au moins une obligation de moyens. La proposition de loi y répond et contribue à faire émerger d’autres perspectives industrielles et d’autres projets, en s’appuyant en particulier sur ceux dont l’industrie est le métier, c’est-à-dire les salariés.