Intervention de Dominique Maillard

Réunion du 12 juillet 2012 à 9h30
Commission des affaires économiques

Dominique Maillard, président du directoire de RTE :

Les questions posées me permettront de traiter une grande partie des enjeux qui nous concernent. En outre, la représentation nationale peut nous aider à résoudre un certain nombre des problèmes que nous rencontrons.

À la page 6 du document qui vous a été distribué, vous trouverez une présentation des différents modèles d'organisation existant en Europe en matière de transport d'électricité. En Europe, le modèle de transport d'électricité – c'est-à-dire d'acheminement entre les moyens de production et l'ensemble des consommateurs, distributeurs assurant la fourniture de détail – est unique. En revanche, la manière dont sont organisées la propriété des entreprises et la répartition entre les infrastructures et leur exploitation présente des différences.

On recense trois modèles.

La France, la Suisse – plaque tournante en matière d'électricité, ayant conclu des accords avec la France bien qu'elle ne soit pas membre de l'Union européenne –, l'Autriche, la Hongrie, la Croatie, la Grèce, la Bulgarie et l'Estonie suivent le modèle dit « ITO » dans lequel l'opérateur de transport est indépendant. En d'autres termes, l'opérateur est une filiale de l'ancien monopole – modèle dominant avant l'entrée en vigueur des directives ayant organisé la libéralisation du marché – mais est propriétaire des actifs du réseau et responsable de l'exploitation. Le fait que ces opérateurs soient des filiales de l'opérateur historique – qui, sans être en situation de monopole, se trouve toujours en position dominante – a conduit les auteurs des directives à imposer aux ITO une série d'obligations permettant de garantir la neutralité de leurs interventions à l'égard des tiers. Pour citer en exemple l'une des règles exorbitantes du droit commun des entreprises, nos investissements et nos tarifs sont décidés non pas par notre actionnaire mais par la Commission de régulation. Nous disposons d'une communauté de statut du personnel même s'il existe des dispositifs spécifiques en matière de rémunération et d'intéressement, par exemple.

En revanche, dans le deuxième modèle, actuellement dominant en Europe, les gestionnaires de réseau de transport (GRT) sont indépendants. Ils n'ont donc plus de liens patrimoniaux avec l'opérateur historique. C'est le cas chez nos grands voisins : l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique et l'Allemagne – en raison de leur fédéralisme, les Allemands disposent d'ailleurs d'un modèle composite constitué de quatre opérateurs de réseau de transport situés dans quatre zones contiguës.

Enfin, le troisième modèle dit « ISO » (opérateur de système indépendant) est parfois cité car il s'est également développé aux États-Unis. Obnubilés par les lois anti-trust, les Américains se sont ingéniés à interdire aux opérateurs de transport d'un État donné de travailler dans l'État voisin. Les facteurs d'échelle les ont néanmoins conduits à développer un modèle dans lequel la propriété des actifs a été dissociée de l'exploitation des ouvrages. Il existe donc, d'une part, un propriétaire des actifs et, d'autre part, un opérateur exploitant et faisant fonctionner le réseau même s'il est détenu par plusieurs propriétaires. Ce modèle n'est utilisé en Europe que par les Écossais et partiellement par les Irlandais. Les Italiens l'avaient adopté pour ensuite y renoncer en raison d'un certain nombre de problèmes. Ce modèle n'est guère viable, les intérêts du propriétaire n'étant pas nécessairement ceux du « locataire », comme on le voit dans d'autres domaines. Même si l'on développe un arsenal réglementaire, le système finit toujours par poser problème.

En tant qu'acteurs, nous sommes satisfaits du modèle français mais la décision d'en changer se trouve entre les mains des gouvernements. L'Allemagne avait soutenu la France afin de faire prévaloir ce système qui a ensuite évolué.

Les échanges sont nombreux depuis longtemps en Europe, sans que l'on ait eu besoin d'attendre la publication de directives européennes sur le sujet. Je vous renvoie ici aux pages 18-19 et suivantes du document distribué. La construction de l'Europe de l'électricité a commencé dans les années 1950. Il y a même une querelle entre énergéticiens, opposant les charbonniers avec le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) aux nucléaires avec le traité Euratom. Aucun traité européen sur l'électricité ne fut alors conclu mais, dès 1951, un accord fut signé entre les opérateurs – qui, à l'époque, exerçaient une activité intégrée de production, de transport et de distribution – visant à les faire travailler en commun et à leur permettre de disposer de normes communes. L'Europe n'a donc absolument pas à rougir et me paraît même plus avancée que les États-Unis en la matière. Ces derniers ne disposent en effet que de quatre zones interconnectées et de cinq niveaux de très haute tension alors que l'Europe a réussi à élaborer des normes uniques et à mettre en place un échange d'électricité (en 400 000 volts ou en 225 000 volts). Sur la page 18, tous les réseaux situés dans les pays colorés en rouge fonctionnent de manière interconnectée c'est-à-dire synchrone. En d'autres termes, leur coeur électrique bat au même rythme. Cela présente l'avantage qu'en cas de difficulté ou de défaillance dans l'un de ces pays – par exemple, si une centrale doit s'arrêter pour raison d'urgence –, une compensation s'instaure automatiquement entre les moyens de production de l'ensemble de ces pays. Une centrale portugaise cessant de fonctionner peut donc voir sa production compensée depuis la Pologne. La fréquence, calée sur 50 hertz, joue alors le rôle de juge de paix.

Cela étant, un incident chez l'un de ces opérateurs peut aussi s'étendre aux autres. Cela nous est arrivé pour la dernière fois il y a six ans, en novembre 2006. En dehors de ce risque majeur, tous les jours, l'interconnexion synchrone permet – à l'insu du consommateur – d'assurer cette solidarité, véritable secours mutuel invisible. Je suis donc favorable à cette interconnexion et à son renforcement.

Tous les pays européens ne font pas partie de cette zone d'interconnexion. En effet, la Scandinavie est séparée du continent par un bras de mer. Par conséquent, l'interconnexion en courant alternatif – qui permet la synchronisation – y est techniquement difficile à réaliser. Elle était même impossible jusqu'il y a peu. C'est également le cas de la Grande Bretagne et de l'Irlande. Les pays Baltes sont confrontés à un problème politique car ils demeurent arrimés au réseau russe : lors des dispatchings, leur langue de travail est d'ailleurs aussi le russe. Si l'on avait prolongé la carte vers le Sud, vous auriez également vu apparaître en rouge les pays du Maghreb auxquels s'étend l'interconnexion synchrone. La Turquie devrait en faire partie prochainement, elle aussi.

Comme l'illustre la page 19, la France est « interconnectée » avec tous ses voisins. Mme Loyola de Palacio, ancien grand commissaire européen, chargée entre autres de l'énergie, affirmait la nécessité que la capacité d'interconnexion d'un État de l'Union européenne avec ses voisins corresponde au moins à 10 % de sa puissance maximale appelée. Notre puissance de pointe étant de 100 000 mégawatts (MW), l'objectif était donc pour la France de disposer de 10 000 MW de capacité d'interconnexion. Pour vous donner un ordre de grandeur, une tranche nucléaire correspond à 1000 MW. Globalement, nous disposons effectivement de ces 10 % – mais de manière inégale. Par exemple, la capacité d'interconnexion de la France avec l'Espagne, qui, géographiquement et électriquement, constitue quasiment une péninsule, n'est que de 1400 MW, chiffre qui se situe très largement en dessous du taux de 10 %. Les capacités d'interconnexion dont nous disposons avec les pays frontaliers sont utilisées dans les deux sens. Le solde fait apparaître que le système électrique français exporte davantage qu'il n'importe. Cela étant, en période de pointe, nous importons parce qu'il est plus intéressant pour les fournisseurs du marché français de recourir à des moyens de production étrangers car cela peut revenir moins cher que de faire démarrer d'éventuels moyens de production nationaux. En 2011, la France a exporté 10,8 milliards de kilowattheures (kWh) vers l'Allemagne, mais en a importé 8,4. En termes de solde, la France est donc exportateur dans tous les pays voisins mais importe parfois aussi depuis ces pays.

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