Intervention de Michel Combes

Réunion du 15 octobre 2013 à 18h30
Commission des affaires économiques

Michel Combes, directeur général du groupe Alcatel-Lucent :

Madame Valter, les coûts administratifs et commerciaux représentent 14 % du chiffre d'affaires d'Alcatel-Lucent, contre 11 % chez nos concurrents européens. Ces trois points de marge nous font cruellement défaut pour financer le développement de l'entreprise. Nous devons nous attacher à combler cet écart. Nous avons d'ores et déjà rationalisé notre dispositif commercial en nous appuyant davantage sur la distribution indirecte et en réservant nos équipes de distribution directe, à la fois pour nos grands clients et pour aller chercher de nouveaux clients au travers de partenaires externes à l'entreprise, rémunérés à la commission. Nous avons également rationalisé nos activités de support commercial en constituant des plates-formes, permettant de travailler pour le compte de plusieurs pays à partir d'une même plate-forme. Nous allons recentrer nos activités et nos moyens sur nos coeurs de métier et externaliser des fonctions supports dans le domaine financier et des ressources humaines. Nous allons également optimiser notre logistique et nos approvisionnements (procurement), et réduire le coût de nos achats. Par cette panoplie complète de mesures, nous entendons ramener nos coûts au niveau de ceux de nos concurrents. Comme je l'ai annoncé en juin, les coûts diminueront d'un milliard d'euros sur la durée du plan.

Madame Bonneton, bien que les dépenses de R&D globales du groupe s'apprêtent à être ramenées de 2,3 à 2,1 milliards d'euros, grâce à leur recentrage sur un nombre plus limité de lignes de produits et à l'amélioration de leur efficacité, notre R&D devrait être plus fructueuse.

S'agissant de la stratégie numérique française et européenne, je ne peux que souscrire au projet de relancer l'investissement dans le secteur des télécommunications en Europe. Il faut libérer l'investissement numérique en Europe. Hélas, si le « paquet télécoms » de Mme Kroes comporte des mesures positives, il en contient aussi qui, à court terme, pénaliseront encore davantage les opérateurs. Ainsi les décisions prises en matière de roaming les priveront, au début du moins, des ressources financières dont ils auraient besoin pour investir dans les réseaux. Déséquilibré, ce « paquet » ne permettra pas de relancer l'investissement numérique en Europe.

Les ministres Fleur Pellerin et Arnaud Montebourg ont appelé nos clients à faire preuve de solidarité à notre égard. Ceux-ci n'ont pas été indifférents à cet appel. Trois des quatre opérateurs français font déjà largement appel à nos produits. Depuis l'annonce du plan et ces déclarations ministérielles, nous avons regardé avec chacun d'entre eux comment ils pourraient nous passer davantage de commandes de produits et services en tous domaines – IP, accès fixe, accès mobile, notamment dans les small cells – et comment nous pourrions développer encore nos relations commerciales et nos partenariats technologiques.

À la tête d'une entreprise qui travaille partout dans le monde, je suis par essence hostile à toute mesure protectionniste. C'est par le caractère compétitif de nos produits que nous devons gagner la confiance de nos clients. Il nous appartient d'être meilleurs que les autres. Ma seule demande est que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Il faudrait notamment que celles applicables en Europe en matière de responsabilité sociale et environnementale vaillent pour tous les acteurs qui vendent aujourd'hui leurs produits en Europe.

S'agissant des 900 suppressions d'emplois prévues en France, comme je l'ai dit ce matin et redit tout à l'heure aux partenaires sociaux, je m'engage à mettre tous les moyens nécessaires pour que chaque salarié retrouve un emploi, au sein ou à l'extérieur de l'entreprise. Nous en avons la responsabilité vis-à-vis de salariés qui ont consacré des années, parfois plusieurs dizaines d'années de leur vie au développement de cette entreprise.

Monsieur Tardy, je ne constate pas l'absence de l'État dont vous avez parlé. L'État est présent là où il peut l'être aujourd'hui et soutient l'innovation. J'ai dit tout l'intérêt du crédit d'impôt recherche. Sans cette aide fiscale, le projet industriel que j'ai présenté ne serait tout simplement pas possible. Toute remise en question de ce crédit d'impôt altérerait la capacité d'Alcatel-Lucent à maintenir sa force de R&D en France.

Les appels au patriotisme économique vont eux aussi dans le bon sens. Quels en sont les résultats ? Hier, je rencontrais les responsables de SFR et des réunions sont prévues avec les autres opérateurs. Ils ne souhaitent pas se retrouver face à un duopole Ericsson-Huawei mais au contraire pouvoir choisir entre les grands équipementiers mondiaux. Ils ont donc besoin qu'Alcatel-Lucent soit fort. C'est vrai pour les opérateurs français comme pour les opérateurs européens en général. Le succès commercial que nous avons remporté en juin avec Telefonica est le fruit d'une décision de son numéro deux, avec lequel j'ai beaucoup travaillé par le passé. Convaincu de la qualité de nos produits, il a aussi, ce faisant, manifesté une volonté d'aider Alcatel-Lucent à s'en sortir, car il estime que l'Europe a besoin d'une telle entreprise. Je me réjouis que le patriotisme économique commence donc de jouer également au niveau européen. Vodafone, que je connais bien, est également soucieux de l'avenir de notre entreprise.

Comme vous, je juge étonnant que pour un projet tel que l'installation du ministère de la défense sur le site de Balard, Alcatel-Lucent n'ait pas été retenu. Je suis hélas arrivé à la tête de l'entreprise après la bataille mais j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les pouvoirs publics afin qu'une telle éviction ne se reproduise pas. À la condition bien sûr que nous puissions offrir des produits adaptés et de qualité, il n'y a aucune raison que nous ne remportions pas à l'avenir des appels d'offres de cette nature.

Madame Marcel, je partage le désarroi des salariés devant ce sixième plan social en sept ans. Je comprends ce qu'ont pu ressentir des salariés à l'annonce de la fermeture du site de Toulouse, alors qu'ils avaient déménagé avec leur famille il y a seulement deux ans pour venir y travailler. Il m'appartient, hélas, de faire des choix car il en va de la survie de l'entreprise. J'ai dit ce matin aux organisations syndicales qu'après le temps de l'annonce, s'ouvrait maintenant le temps du dialogue social. Les objectifs du plan sont clairs mais celui-ci n'est pas ficelé d'avance. Son calendrier et ses modalités, pour ce qui est notamment des mobilités entre sites et des mesures d'accompagnement, feront l'objet de discussions avec l'ensemble des organisations syndicales. Plusieurs réunions sont prévues à partir du 23 octobre. Je souhaite que le dialogue social soit approfondi. Vous comprendrez que je n'en dise pas davantage ici car ce dialogue doit être mené au sein de l'entreprise entre direction et représentants des salariés.

Madame Iborra, vous avez évoqué un « désastre industriel ». Le terme est fort, mais il n'est pas tout à fait inexact. En 1985, lorsque je sortais de mon école d'ingénieurs, le rêve de tout ingénieur en télécommunications était de travailler soit à la DGT soit chez Alcatel. Nous étions nombreux, moi-même au premier chef, à rêver de cette entreprise. Et durant une trentaine d'années dans mes fonctions antérieures, j'ai été client d'Alcatel puis d'Alcatel-Lucent. La situation dans laquelle se trouve aujourd'hui l'entreprise m'est douloureuse. Mais si j'ai décidé de revenir en France pour tenter de la redresser, c'est que je suis convaincu qu'avec de bons projets et une ferme volonté d'y parvenir, c'est possible.

Le très haut débit, dans le fixe comme le mobile, n'est pas à proprement parler une technologie d'avenir car elle a déjà fait ses preuves. Je souhaite que nous nous positionnions sur les technologies aujourd'hui au coeur des investissements des opérateurs. Mon objectif est bien de regagner la confiance des clients. Je pense, je le dis avec toute la prudence nécessaire, que notre plan a été bien reçu par nos clients. Il a été jugé équilibré dans ses choix, audacieux, en tout cas courageux, pour la transformation qu'il initie et pertinent sur le plan financier. Depuis son annonce en juin, les clients qui avaient conservé leur confiance à Alcatel-Lucent l'ont maintenue et ont même parfois amplifié leurs commandes. Et de nouveaux clients comme Telefonica mais aussi Vodafone dans le domaine du mobile ont choisi de faire appel à nous. Ce ne sont que de premiers petits signaux, ils traduisent néanmoins une confiance retrouvée. Mais, nous le savons, la confiance est difficile à établir et facile à perdre. Elle a été retrouvée sur la base du plan Shift. Je n'ai donc pas de marges de manoeuvre : ce plan doit être mis en oeuvre dans toutes ses dimensions.

Je suis conscient de son coût social. Je n'entrerai pas ici dans le détail des discussions prévues avec les organisations syndicales. Le calendrier et les modalités du plan en feront partie. Les mesures d'accompagnement, aussi bien pour les salariés qui quitteront le groupe que pour ceux qui y resteront en changeant de site ou de métier, doivent être exemplaires, de façon que chaque salarié retrouve un emploi, au sein ou à l'extérieur de l'entreprise. Telle est ma volonté, tel est mon engagement.

Ses effectifs s'étant étiolés au fil des ans, le site de Toulouse ne compte plus qu'une centaine de collaborateurs. En dépit de leur très grande compétence, il ne nous est pas apparu possible de maintenir ce site. Cela étant, une partie importante de l'activité, notamment en matière de cybersécurité, sera redéployée vers d'autres sites. Il sera proposé aux collaborateurs qui travaillaient dans ce champ soit de suivre l'activité, soit, comme sur chacun des sites desquels Alcatel-Lucent va se désengager, une solution alternative satisfaisante. Nous avons commencé de discuter avec plusieurs entreprises implantées localement. Toulouse n'est sans doute pas le site où les choses seront les plus difficiles, compte tenu de la dynamique locale, du tissu dense d'entreprises dans la région et de la très haute qualification de nos collaborateurs.

Madame Le Callennec, le plan France Très Haut Débit est bien sûr de nature à nous aider. Nous le soutenons donc et y avons d'ailleurs contribué, en éclairant le Gouvernement de nos expériences à l'étranger et en formulant diverses propositions. Nous soutenons de même le plan Souveraineté Télécoms, dont le copilotage a été confié à Philippe Keryer, et réfléchissons aux moyens d'en accélérer la mise en oeuvre de façon à pouvoir en bénéficier au maximum. Ce plan est important pour Alcatel-Lucent, mais, au-delà, pour la France. Il est en effet urgent de combler le retard pris dans l'équipement en réseaux très haut débit en Europe et en France. L'Europe et la France ne doivent pas être les oubliées des télécoms. Si l'on n'y prenait garde, la filière télécoms pourrait s'organiser entre les entreprises qui innovent, aux États-Unis, et celles qui produisent, en Asie, l'Europe se trouvant hors jeu. L'ingénieur en télécommunications que je suis ne saurait s'y résigner. Je me battrai donc pour qu'il n'en soit pas ainsi.

Le site historique de Rennes ne compte plus qu'une centaine de collaborateurs et est donc lui aussi tombé en dessous de la taille critique. Il regroupe des activités logicielles et des activités vidéo. Ces dernières ne répondent plus aux besoins de nos clients. Les activités logicielles font en revanche partie de celles que je souhaite maintenir en France : elles seront transférées à Lannion. Il sera proposé aux collaborateurs de suivre cette activité. Ceux d'entre eux qui ne le souhaiteraient pas seront accompagnés pour trouver une solution. Je suis bien conscient que le cas du site de Rennes n'est pas facile. Nous devrons travailler avec les collectivités locales pour voir comment faciliter la reconversion des collaborateurs ne souhaitant pas rejoindre Lannion.

Alcatel-Lucent « essuiera les plâtres » de la nouvelle loi relative à la sécurisation de l'emploi issue de l'accord national interprofessionnel, dites-vous. Je ne sais si on peut parler « d'essuyer les plâtres ». Nous travaillons en tout cas dans le cadre de la nouvelle loi. C'est pourquoi nous ouvrons dès aujourd'hui la phase de dialogue social. J'espère que cette loi favorisera un dialogue transparent et fructueux.

Madame Clergeau, depuis des années, Alcatel s'interroge sur la capacité de maintenir le site d'Orvault en exploitation. Les équipes précédentes ont fait le maximum pour essayer de le préserver et ont en effet pris des engagements avec les collectivités territoriales. Ces engagements ont d'ailleurs été dans l'ensemble tenus. Pour y maintenir l'activité le plus longtemps possible à Orvault, on y a transféré de l'activité en provenance d'autres sites, français ou étrangers, au risque d'une fragmentation dommageable. L'activité LTE est solide, mais le reste est très éclaté, ce qui y rend la R&D coûteuse et ses résultats inefficaces. Il m'est apparu impératif, ainsi qu'au directeur des opérations, de regrouper la R&D du groupe en France sur les deux sites de Villarceaux et Lannion. Je me déplacerai moi-même prochainement à Orvault pour rencontrer les représentants de la région, du département et de la communauté urbaine, afin de voir comment attirer sur le site de l'activité en provenance soit d'entreprises déjà installées à Orvault, soit d'entreprises intéressées à rejoindre le bassin d'emploi de Nantes, compte tenu de la qualité des compétences disponibles. J'insiste sur le fait qu'il n'est pas question de déplacer la R&D d'Orvault hors de France, simplement de la redéployer à Villarceaux et Lannion, ce qui n'est sans doute pas la solution que souhaiteraient les salariés d'Orvault, mais qui, pour notre pays, demeure positive puisque cela nous permet de renforcer les deux sites principaux de R&D d'Alcatel-Lucent en France et donc l'avenir de l'entreprise à moyen terme. Il nous appartiendra de trouver une solution pour chacun des collaborateurs d'Orvault, quel que soit leur choix. Ce sera l'objet des discussions qui vont s'ouvrir avec les partenaires sociaux.

Madame Appéré, je ne reviens pas sur la réponse que j'ai déjà apportée concernant le site de Rennes.

La taille d'un site doit-elle être l'élément déterminant dans l'organisation de la R&D ? C'est un élément important au regard de la structure de coûts car chaque site nécessite des fonctions supports qui renchérissent au final le coût de la R&D. Par ailleurs, sur un site trop petit, aucune gestion de carrière satisfaisante à moyen et long terme n'est possible. Les petits sites sont souvent ultra-spécialisés, si bien qu'en cas d'évolution technologique majeure, il n'est pas possible de les faire évoluer. Il serait simple d'attendre que ces sites meurent de leur belle mort. Je préfère anticiper et prendre les mesures nécessaires, aussi difficiles soient-elles soient au moment où on les prend.

Je suis bien entendu favorable à un ancrage de nos sites aux écosystèmes locaux. Nos deux sites principaux, Villarceaux et Lannion, sont, en Ile-de-France et en Bretagne, au coeur d'écosystèmes numériques dont nous sommes d'ailleurs des acteurs majeurs. Je souhaite que nous continuions à contribuer au développement des PME car la coopération entre grands groupes et PME présente le double intérêt de permettre aux premiers d'être plus innovants et aux secondes de trouver plus facilement des débouchés à l'export ou de se développer à l'international.

Madame Hurel, oui, le site d'Eu, spécialisé dans le prototypage et les pré-séries, est de grande qualité. Mais Alcatel-Lucent n'a pas la capacité, à lui seul, de lui assurer une charge industrielle suffisante pour le pérenniser. Nous avons essayé de trouver des solutions en interne en y transférant notamment de l'activité en provenance d'Alcatel Submarine Networks. Cela n'a pas suffi. Nous avons donc décidé de filialiser cette entité. Des discussions sont engagées. Je ne peux pas vous indiquer aujourd'hui le nom des partenaires avec lesquels nous sommes en pourparlers car cela est couvert par le secret des affaires commerciales. Nous vous en reparlerons le moment venu. Comme vous vous en doutez, je suis très exigeant sur la qualité de ces partenaires car je ne souhaite pas, comme cela arrive parfois, qu'ils disparaissent aussitôt après avoir repris le site.

Pour Eu comme pour chacun de nos sites, il est de ma responsabilité de chef d'entreprise et j'en ai la ferme volonté, de trouver un projet d'avenir, alors même que nos moyens sont limités. Si je le pouvais, je les garderais tous. Malheureusement, nous ne serions pas en mesure de leur assurer une charge suffisante. Il est de ma responsabilité de garantir l'avenir des salariés qui resteront dans le groupe mais aussi de ceux qui le quitteront.

Puis-je assurer que ce sixième plan sera bien le dernier ? J'ai la conviction qu'il s'agit d'un plan cohérent, complet, qui prend en compte toutes les dimensions du défi à relever. Il redonne à Alcatel-Lucent les moyens de ses ambitions et peut devenir la base à partir de laquelle le groupe pourra de nouveau se développer demain. Ce n'est pas, comme le plan précédent, un pari sur un niveau d'activité, susceptible de diminuer. C'est un pari sur la mise en place d'une plate-forme efficace et innovante, permettant de répondre aux attentes des clients d'aujourd'hui et de demain. Comme je l'ai dit ce matin à la radio, je n'entends pas qu'Alcatel-Lucent connaisse de septième plan social. Je crois profondément que le plan Shift lui redonnera un véritable avenir.

Monsieur le président, la France, et d'une manière générale l'Europe, accusent un retard dramatique en matière d'infrastructures de télécommunications à très haut débit, qu'il est urgent de combler. Les opérateurs peuvent s'y atteler eux-mêmes si le contexte réglementaire est clarifié et s'ils connaissent les règles du jeu à l'avance pour pouvoir réaliser les investissements nécessaires. Des partenariats public-privé, vous le disiez, sont également envisageables. Il existe de multiples solutions : chaque pays doit trouver la sienne. Au Mexique par exemple, nous participons à un projet d'infrastructure, commune à l'ensemble des opérateurs, alors que dans d'autres pays, ce sont les opérateurs qui déploient eux-mêmes les réseaux. Alcatel-Lucent en tout cas souhaite accompagner le mouvement. Bien entendu, ce n'est pas lui qui pourra apporter une grosse contribution financière, vu sa situation actuelle. Mais nous sommes prêts à aider sur le plan des choix industriels.

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