Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale élabore la stratégie de défense de la France, laquelle définit un modèle d'armée qui doit remplir les contrats opérationnels et dont découle un modèle de ressources humaines.
Le projet de LPM traduit les orientations définies dans un contexte budgétaire contraint. Notre travail consiste à poursuivre l'effort de maîtrise des dépenses publiques demandé à la nation, dans le respect des contrats opérationnels et du modèle d'armée.
Lors de l'élaboration de la précédente LPM, le ministère avait lancé des audits techniques dans l'ensemble du ministère : ces analyses fonctionnelles avaient mis en évidence des postes susceptibles d'être « rendus ». Cette analyse a abouti à définir une déflation de 54 000 postes, nombre qui se révèle insuffisant compte tenu des nouvelles contraintes budgétaires qui pèsent sur nous et de l'effort demandé au ministère pour contribuer au redressement des finances publiques.
Ce n'est pas cette approche qui a été retenue pour la future LPM. La capacité que le pays pourrait consacrer à la défense et le modèle d'armée ont été déterminés en conseil de défense, et c'est sur cette base qu'a été fixé le nombre des emplois et effectifs que nous devrons atteindre en fin de LPM. Après cinq années d'effort il s'avérait nécessaire de commencer par une étape de dialogue et d'échange avant de commencer à lancer des analyses fonctionnelles. Sans doute avons-nous un peu tardé pour lancer des analyses fonctionnelles – elles aboutiront à la fin de l'année –, mais cette nouvelle méthode de travail a permis d'apaiser les tensions au sein du ministère. Il était important de ne pas se précipiter dans la construction technique de la réforme. Par exemple, nous avons pu, dès les travaux du Livre blanc, associer les organisations syndicales à la discussion sur les évolutions nécessaires.
J'aborderai le volet ressources humaines de la nouvelle LPM sous l'angle de quatre enjeux majeurs : la conduite d'une déflation, assortie d'une démarche de dépyramidage ; les restructurations nécessaires à la déflation, qui supposent un accompagnement social ; une nouvelle gouvernance pour les ressources humaines, avec un objectif de maîtrise de la masse salariale ; et le nécessaire équilibre entre personnels militaires et personnels civils.
Du point de vue des ressources humaines, la mesure la plus visible de la LPM est la déflation des effectifs. Cette déflation devra être conduite en même temps qu'une manoeuvre de suppression de postes qui relève plus particulièrement des employeurs. Pour la LPM 2014-2019, la déflation est de 23 500 postes, auxquels s'ajoutent les 10 175 postes restants de l'exercice précédent, soit un total de 33 675 postes et effectifs, pour un effectif global du ministère de 235 900 personnes en 2019.
Comme pour la précédente LPM, nous souhaitons préserver autant que possible les forces opérationnelles. Par conséquent, l'effort portera sur l'environnement des forces, périmètre sur lequel se pencheront l'essentiel des analyses fonctionnelles. Sur la durée de la LPM, les forces opérationnelles contribueront à l'effort à hauteur de 8 000 emplois ; le soutien, les structures organiques et l'environnement contribueront à hauteur de 14 500 emplois ; et les forces prépositionnées et l'outre-mer contribueront à hauteur de 1 000 emplois. La répartition entre armées sera connue à la fin de l'année, lorsque les analyses fonctionnelles auront abouti. Chaque armée sera concernée au titre des forces et de l'environnement. L'administration et la Direction générale de l'armement (DGA) contribueront au titre de l'environnement.
Cette déflation s'accompagne d'un objectif ambitieux, le dépyramidage. En 2008, les officiers, tous corps confondus – officiers d'encadrement, mais aussi officiers ingénieurs de l'armement ou officiers médecins –, représentaient moins de 15,5 % de l'effectif militaire ; ils sont aujourd'hui 16,75 %. Les causes de ce pyramidage ont été décrites et expliquées dans un rapport de l'inspection générale des finances et du contrôle général des armées il s'explique essentiellement par l'envoi de nombreux officiers et sous-officiers à l'OTAN, au titre des nouvelles fonctions que la France souhaitait y remplir, mais aussi par la régulation des effectifs qui s'est effectuée de manière plus importante sur le bas de la pyramide puisqu'il s'agit d'une population servant essentiellement sous contrat ainsi que par l'allongement des limites d'âge introduit par la loi sur les retraites.
D'après l'objectif que nous ont assigné le ministre et son cabinet, nous devons parvenir en fin de LPM à un taux d'encadrement de 16 % – soit le taux constaté à la fin de l'année 2010. Les officiers sont ainsi la cible principale de la déflation, avec une diminution en valeur absolue de 5 778 postes – 1 000 en 2014, 1 050 en 2015 et 2016, 1100 en 2017 et 2018, et enfin 478 en 2019. Pour tenir cet objectif ambitieux, nous appliquerons une méthode d'analyse fonctionnelle, armée par armée ; à cet effet, une trentaine de chantiers sont d'ores et déjà animés par le secrétaire général, le major général des armées et le DGA. Cependant, nous souhaitons préserver l'encadrement des unités opérationnelles.
En veillant à une répartition équilibrée entre les cadres, nous verrons se bâtir un nouveau modèle d'armée, dont les travaux de définition ont commencé par un travail conjoint entre le SGA et le MGA.
Les restructurations ont été annoncées le 3 octobre dernier. Lors de la précédente LPM, un plan d'accompagnement a été négocié avec les organisations syndicales. Ce plan a montré son efficacité. Les organisations syndicales sont conscientes de l'appui particulier dont nous bénéficions pour pouvoir supporter cet effort. Pour la nouvelle LPM, cet effort s'élève à 933 millions d'euros pour l'ensemble des personnels du ministère.
Cet effort se traduira par un renforcement de la reconversion du personnel militaire – et tout particulièrement des officiers. Il se traduira également par des mesures financières d'incitation au départ, qui concerneront près de 1 500 militaires et 400 civils par an, ainsi que des mesures d'incitation à la mobilité.
Nous souhaitons également promouvoir les reclassements de militaires dans les fonctions publiques, avec un potentiel supérieur à 2 100 postes par an. Néanmoins, cet objectif sera difficile à atteindre dans la mesure où les autres ministères se restructurent eux-mêmes. Nous sommes donc les premiers à recruter des personnels civils anciens militaires grâce au dispositif prévu à l'article L. 4139-2 du code de la défense.
En outre, nous devrons imaginer pour nos personnels civils et militaires de nouvelles mesures, si possible peu coûteuses, visant à améliorer leurs conditions de vie. Je suis chargé de travailler avec le major général des armées pour que le ministre puisse faire des annonces lors de la prochaine session du conseil supérieur de la fonction militaire, en décembre prochain. Nous travaillons actuellement sur le logement, préoccupation très importante pour nos militaires soumis à la mobilité. Nous continuerons nos efforts en matière de garde d'enfants, particulièrement pour les familles touchées par le divorce. Nous envisageons de bâtir un compte épargne permissions, afin que les permissions non utilisées par nos militaires ne soient pas perdues. Enfin, au titre de l'amélioration de l'administration, des efforts seront entrepris en matière de dématérialisation afin de permettre aux agents civils et militaires du ministère d'accéder plus facilement à leur dossier.
Nos mesures d'incitation au départ, figurant aux articles 23 à 26 de la LMP, sont de quatre natures.
La première est le pécule d'incitation au départ. Le dispositif précédent, le pécule d'incitation à une deuxième carrière, bâti en 2007, comportait deux versements, le premier au moment du départ, le second au plus tard 24 mois après et soumis à reprise d'activité. Avec cette nouvelle mesure, les deux fractions seront versées en un seul pécule à hauteur de 90 % de l'ancien.
Cette mesure nous a semblé insuffisante, car la déflation introduite par la nouvelle LPM concerne des officiers pour une part très importante. Nous avons donc mis en place deux nouvelles mesures et modernisé une troisième.
Nous avons créé la promotion fonctionnelle, qui s'adresse à des officiers et à des sous-officiers de bon niveau, mais qui ne peuvent pas, du fait de la rétractation du volume de postes, atteindre le niveau de responsabilité qu'ils auraient pu espérer. Si, il y a quelques années, un officier breveté devenait au moins colonel en fin de carrière, c'est déjà moins le cas aujourd'hui et cela le sera certainement encore moins à l'avenir. Pourtant, le potentiel et la qualité des services rendus sont les mêmes. La nouvelle mesure permettra donc à un officier d'occuper un poste de colonel, par exemple chef de bureau dans un état-major ou une administration : en contrepartie, il devra quitter le service au bout de deux ou trois ans.
Nous avons créé la pension afférente au grade supérieur : le militaire ne changera pas de grade, mais sa pension passera, au moment de son départ, à l'équivalent de celle du grade supérieur.
Enfin, nous avons rénové le dispositif « disponibilité », peu utilisé jusqu'à présent. Il s'agit de réduire sa durée à cinq ans maximum mais en augmentant la rémunération avec notamment le versement d'une solde à 50 % la première année. Ce dispositif, particulièrement adapté aux personnes intéressées par la reprise d'entreprise ou la création d'activité, leur offre un filet de sécurité, puisque ceux qui le désirent peuvent revenir en fin de disponibilité.
Je souhaite que ces mesures soient votées à la fin de l'année, afin que les militaires puissent en bénéficier dès le début de l'année 2014. Nous espérons qu'elles nous permettront de tenir les objectifs de déflation. Le ministre et son entourage n'ont pas souhaité avoir recours à des dispositifs contraignants. Les militaires conservent donc le choix du déroulement de leur carrière, y compris des modalités de leur sortie.
La gouvernance des ressources humaines est un sujet qui fait couler beaucoup d'encre. Dans le cadre des négociations interministérielles, nos interlocuteurs de Bercy et de Matignon ne manquent jamais de critiquer notre gestion de la masse salariale. Il fallait donc faire en sorte que le ministère décide de l'évolution de sa masse salariale, au lieu de la subir. C'est cette problématique qui a justifié les évolutions dans la gouvernance du ministère. En plus, l'affaire Louvois a mis en évidence un réel problème de gouvernance : tout le monde s'interroge encore pour savoir qui en était responsable – désormais, en tout cas, on saura que c'est le DRH… Les Allemands eux-mêmes appliquent le principe « une seule cravate » : un sujet, une cravate…
Ainsi, dès l'automne 2012, il nous a été demandé de travailler à un modèle selon lequel la DRH assure directement la mission de coordination de l'ensemble des gestionnaires. À mon arrivée en juillet 2012, mon interlocuteur principal était le sous-chef ressources humaines de l'EMA, et je n'avais pas accès aux directions des ressources humaines des armées et des services. Aujourd'hui, le nouveau système me permet, grâce à un dialogue avec l'ensemble des DRH des armées, d'avoir une vision suffisamment fine de l'ensemble du ministère pour me permettre d'exercer correctement mes nouvelles responsabilités de gestion de la masse salariale. Il permet de proposer au ministre et au comité exécutif des arbitrages bâtis sur une meilleure connaissance de la réalité. Dans ce nouveau schéma dit « d'autorité fonctionnelle renforcée de la DRH », le dialogue direct avec mes homologues des armées me permet d'obtenir davantage d'informations. Nous avons ainsi pu commencer à préparer les déflations 2014 dans un bon climat.
Ainsi, le principal rôle dévolu à la DRH est un rôle de coordination. Des dispositions réglementaires devront permettre de s'assurer que notre masse salariale ne dépassera pas les prévisions – aussi les volumes de recrutement devront-ils certainement être signés par le DRH.
Nous projetons de modifier l'architecture budgétaire relative à la masse salariale, ce que l'on appelle le titre 2. Aujourd'hui ce sont les employeurs qui ont la responsabilité de la masse salariale. Ainsi, par exemple, chaque armée n'est responsable, en tant qu'employeur, que d'une partie de la masse salariale de ses militaires – uniquement ceux qui servent effectivement dans leur armée, les autres étant pris en compte par les budgets des autres employeurs, le plus souvent interarmées. Pour les mêmes raisons un employeur comme la DIRISI est responsable de la masse salariale de l'ensemble des agents civils et militaires issus des différentes armées. Demain, la responsabilité de la masse salariale reviendra à ceux qui recrutent et gèrent les femmes et les hommes. Ainsi le DRH d'une armée sera responsable de la masse salariale de l'ensemble des militaires de son armée quel que soit son employeur. Ce DRH sera responsable non seulement des leviers, mais aussi des conséquences budgétaires de ceux qu'il aura utilisés. Cette approche centrée sur les gestionnaires, souhaitée par le ministre, me semble pertinente dans la période actuelle où la rigueur est une nécessité.
Tous les budgets opérationnels de programme des divers employeurs seront regroupés au sein d'un seul programme, vraisemblablement le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Dès l'année 2014, nous devrons nous efforcer de fonctionner selon ce modèle, même si l'objectif est de le mettre en place pour l'année budgétaire 2015. Il s'agira de bâtir un dialogue de gestion qui permettra, aux uns, d'exprimer clairement un besoin et, aux autres, de le traduire en effectifs et en compétences, mais aussi en impact sur la masse salariale.
Enfin, la démarche de civilianisation – l'équilibre entre personnels militaires et personnels civils du ministère – suscite, elle aussi, beaucoup de commentaires et n'est pas toujours bien comprise. Ces dernières années, le ratio personnels militairespersonnels civils du ministère est passé de 75 %25 % avant la réforme précédente à 78 %22 % aujourd'hui. Cette évolution s'explique par les difficultés à conduire la déflation simultanée des deux populations, mais aussi à nos difficultés à organiser correctement la mobilité du personnel civil. Je m'empresse de dire que la mobilité n'est pas prévue dans le statut du personnel civil, lequel est d'ailleurs en pratique beaucoup plus mobile qu'on ne le pense. Lors des restructurations, certains postes prévus pour le personnel civil n'ont pu être honorés, et les armées ont alors pourvu certaines places disponibles par du personnel militaire afin d'assurer le fonctionnement.
Nous souhaitons rééquilibrer les choses, mais sans fixer un ratio cible qui crisperait les relations entre les deux populations qui vivent en bonne intelligence. Comme il est écrit dans le rapport annexé de la LPM, il faut définir de manière objective les emplois ayant vocation à être exclusivement tenus par des militaires, d'une part, et des civils, d'autre part ; les emplois mixtes devront demeurer réduits en volume. Conformément à la lettre de mission que m'a confiée le ministre, je dois élaborer une méthodologie pour trouver, avec la totalité des employeurs, la bonne répartition fonction par fonction. Ensuite, nous devrons consentir des efforts en matière de formation afin que les personnes qui n'ont pas la compétence requise pour occuper un poste disponible puissent l'acquérir.
Au total, en ayant mieux défini les postes strictement militaires et ceux où le statut militaire n'est pas forcément nécessaire – on peut penser par exemple aux métiers dits d'administration générale et de soutien commun –, nous pourrons, sans dogmatisme ni brutalité, trouver un équilibre pour le fonctionnement du ministère et la réalisation du contrat opérationnel. Pour l'instant, le travail sur ce sujet est dépourvu de tensions. Certes, les inquiétudes exprimées par les chefs d'état-major, qui ne souhaitent pas que la civilianisation se traduise par un effort supplémentaire sur les militaires, sont compréhensibles. Nous travaillons, avec les armées directions et services, pour décrire au mieux les besoins.
D'autres chantiers sont en préparation, mais seront ouverts d'ici à la fin de l'année. Je pense principalement à la rénovation de la concertation.