Intervention de Général Denis Favier

Réunion du 16 octobre 2013 à 10h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je veux avant tout vous dire l'importance que revêt pour moi cette audition devant votre commission. J'ai été nommé DGGN il y a maintenant six mois et ce premier rendez-vous devant la représentation nationale est une étape essentielle.

La discussion sur le projet de loi de finances pour 2014 est l'occasion de dresser le bilan et les perspectives de la gendarmerie. Je ne veux pas, cependant, me livrer au seul inventaire de données budgétaires chiffrées. Je souhaite vous présenter le cadre général de mon action et les priorités que j'en déduis pour l'année à venir, compte tenu des perspectives budgétaires. Mais je veux, au préalable, vous livrer mon analyse de l'état de la gendarmerie.

Depuis plusieurs années, la gendarmerie connaît une profonde mutation au cours de laquelle elle a su préserver avant tout, ses valeurs de cohésion et d'esprit de corps. La gendarmerie, c'est avant tout l'ensemble des hommes et les femmes qui y servent. Elle a préservé, également, ses valeurs d'engagement et de dévouement et le sens de la mission. Les gendarmes aiment leur métier. Ils ne comptent pas leurs heures et prennent des risques, au quotidien, pour accomplir leur devoir. Ils font preuve de réactivité, de polyvalence et d'inventivité. Enfin, elle a su préserver sa proximité avec la population, j'y travaille régulièrement et les échelons locaux également.

Mais si elle a su conserver ce qui fait son essence, la gendarmerie présente aussi des fragilités qu'il faut mesurer avec lucidité. Elle vient de traverser une période de 10 ans de réformes denses et ininterrompues, comme peu d'institutions publiques en ont connu. À l'objectif, légitime, d'amélioration de la performance s'est greffé l'impératif de réduction des dépenses.

Cet exercice a ses limites et la gendarmerie a atteint un seuil. En matière de personnel, elle a été malmenée par la RGPP, avec une baisse de 6 700 effectifs entre 2008 et 2012. Cette situation a cessé. Une hausse du plafond d'emploi commence désormais à compenser ces pertes : 192 ETPT supplémentaires étaient prévus en 2013, 162 autres le sont en 2014, hors transferts.

Pour ce qui concerne les moyens, la capacité à renouveler les équipements a été réduite de moitié depuis 2007, passant, en crédits de paiement, de 570 millions d'euros en 2007 à 249 millions d'euros en 2012.

Dans le domaine du soutien, la conjonction des réformes, mutualisations, transformation de postes, notamment en personnels civils, appelle une phase de consolidation. En matière d'emploi, l'évolution rapide de notre environnement légal et réglementaire, a créé une forme « d'insécurité juridique ». Cela a nécessité, par exemple, d'importants efforts de formation et le déploiement d'outils adaptés pour la rédaction des procédures ce qui a eu un coût.

Dans ce contexte de mutation permanente, un écart se crée entre des attentes toujours plus fortes en matière de sécurité et un budget sous tension. Cet écart génère de véritables difficultés.

Ces difficultés sont amplifiées par les divers « gels » et « surgels » en cours d'année, qui remettent en cause la capacité à soutenir l'action. La gestion 2013 est, en cela, emblématique. Entre la mise en réserve de précaution et le surgel de début d'année, les crédits disponibles du programme 152 ont été réduits de 34 millions d'euros sur le titre 2 et de plus de 90 millions d'euros sur le hors titre 2. Nous sommes dans une situation difficile. La loi de finances initiale pour 2013 garantissait des moyens calculés au plus juste. Mais elle nous permettait de faire face aux principaux besoins opérationnels. Réduite de la réserve, la ressource ne permet plus d'assurer un niveau satisfaisant de fonctionnement et d'investissement : aucune commande de véhicules n'a pu être passée pour le moment alors que ces moyens sont des outils de travail quotidien, aucune commande d'ordinateurs n'a pu être réalisée pour la deuxième année consécutive. Nous sommes également en difficulté pour assurer les paiements sur des lignes incontournables, par exemple les dépenses d'énergie pour lesquelles il manque aujourd'hui 16 millions d'euros. Je ne serai plus en capacité de payer ces factures à la fin du mois d'octobre. Aussi, pour continuer d'assurer le bon fonctionnement des unités, je serai conduit à reporter le paiement des loyers aux collectivités locales. La levée de la mise en réserve est donc absolument nécessaire.

À ce jour, seuls 15 millions d'euros ont été débloqués, sur le hors titre 2, pour l'emploi de la gendarmerie mobile mais j'ai besoin d'un dégel de cinq millions d'euros supplémentaires pour continuer d'engager la gendarmerie mobile, notamment dans les zones sensibles. Sans dégel supplémentaire, nous renoncerons à ces investissements et à ces dépenses incontournables. Ainsi, les factures impayées en termes de fonctionnement induiraient un report de charge de 21 millions d'euros sur 2014, que le budget prévisible n'est pas en capacité d'absorber. Si la levée de la mise en réserve est absolument indispensable, elle ne réglera pas toutes les difficultés. Le budget « carburants », par exemple, ne pourra pas être abondé.

Ces difficultés sont bien perçues et toutes les énergies, dont celle du ministre notamment, sont mobilisées pour obtenir le dégel des crédits, car cela est urgent. Il faut un signe positif.

Dans ce contexte, les gendarmes ne baissent pas les bras. Cependant, je perçois une forme de lassitude, comme un besoin de stabilité, afin de consolider les nombreuses évolutions jusque-là conduites de front. Je sais aussi que les gendarmes ne demandent rien pour eux-mêmes. Ils veulent seulement disposer de budgets, même calculés au plus juste, mais au moins lisibles et stables sur l'année.

L'action de la gendarmerie s'insère donc dans un cadre exigeant où les objectifs légitimes et ambitieux en matière de sécurité prennent en compte les impératifs de sérieux en matière budgétaire.

Les gendarmes ont conscience des efforts nécessaires à conduire pour le redressement des comptes publics. Ils savent que chacun doit consentir sa juste part. Les difficultés économiques de notre pays contraignent nos ressources. Pour autant, elles ne diminuent pas les exigences en matière de sécurité. Au contraire, elles tendent à les renforcer.

Dans ce cadre, la gendarmerie serait dotée d'un budget 2014 responsable et cohérent. C'est un budget responsable, avec le regard que je porte, car il s'inscrit dans l'objectif de maîtrise des finances publiques. C'est un budget cohérent avec les missions qui me sont assignées. Même si nous faisons partie des « programmes prioritaires », les efforts se traduisent de manière concrète et me conduisent à fixer des priorités.

En matière de ressources humaines, ce budget permet de concrétiser la priorité gouvernementale de création de 162 postes supplémentaires. Des mesures catégorielles sont également prévues pour valoriser la condition des personnels.

La dotation prévue sur le hors titre 2 s'élève à 1 138 millions d'euros en autorisations d'engagement et 1 213 millions d'euros en crédits de paiement, en hausse de 1 % en euros courants. Au sein de ce hors titre 2, le budget de fonctionnement restera globalement identique à 2013, 949 millions d'euros, contre 950 millions d'euros en 2013. Cela signifie que l'inflation et les hausses inévitables, comme celle des loyers, seront prises sous plafond par redéploiement à partir des autres lignes. La tension persistera donc. Aussi, afin de préserver la priorité accordée aux missions opérationnelles et au respect des engagements contractuels, certaines dépenses comme les déplacements, le carburant ou l'entretien des véhicules seront ajustées.

Les investissements opérationnellement prioritaires seront préservés, avec l'ouverture de 190 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 265 millions d'euros en crédits de paiement. Les crédits d'investissement ont cessé de baisser. Nous ne sommes, pour autant, pas en mesure de rattraper le retard pris ces dernières années sur les investissements. Ainsi en matière de mobilité, le vieillissement de l'âge moyen du parc automobile pèse sur sa disponibilité et sur la capacité de la gendarmerie à remplir l'éventail de ses missions. Les 40 millions d'euros en autorisations d'engagement permettraient de commander environ 2 000 véhicules, afin de maintenir à un niveau satisfaisant notre parc de 27 500 véhicules d'intervention.

Dans le domaine des systèmes d'information et de communication, les investissements ont déjà été plusieurs fois retardés, nous contraignant à prolonger la durée de vie de matériels obsolètes. À titre d'exemple, le renouvellement partiel du parc informatique est devenu indispensable, pour accompagner le déploiement des nouvelles applications métier. Environ 8 millions d'euros en autorisations d'engagement devraient permettre de commander 10 000 ordinateurs.

Quant à l'immobilier, il conditionne le maillage territorial. Après une année blanche en matière d'investissement en 2013, l'ouverture de 9 millions d'euros en autorisations d'engagement permettra de réaliser les opérations de maintenance les plus urgentes dans les casernes domaniales, pour faire face à des situations de rupture très préoccupantes. Enfin, 6 millions d'euros en autorisations d'engagement permettront de relancer la construction de quelques casernes locatives, au travers des subventions aux collectivités territoriales, alors que le triennal n'ouvrait aucune ressource. Pour autant, cela reste en deçà de nos besoins réels pour le maintien à niveau du parc immobilier.

Vous le constatez, ce budget est construit au plus juste. Cependant, géré rigoureusement, il devrait permettre de faire face à nos besoins. C'est le cadre de gestion qui pourrait créer des contraintes fortes, dont il convient d'être conscient. La mise en réserve viendra, dès le début d'année, réduire nos ressources, en pesant spécialement sur le hors titre 2. Sur la base d'un taux de 7 %, elle atteindrait 85 millions d'euros en crédits de paiement. Elle pourrait être amplifiée par d'autres mesures de gel ou de surgel de crédits.

Nos moyens, de juste dimensionnés, deviendraient clairement insuffisants. La consommation de la masse salariale sera régulée par le rythme des recrutements. Mais en décalant massivement les flux entrants sur la fin d'année, essentiellement à partir du troisième trimestre 2014, comme nous le faisons en 2013, des trous à l'emploi temporaires se créeront dans les unités durant le premier semestre. Enfin, ces hypothèses n'incluent pas, à ce stade, la question d'un éventuel report de charges des impayés de 2013.

Si j'insiste sur ce point, c'est pour rappeler que la gestion que nous vivons reste éloignée de la loi de finances que vous votez. Je ne remets pas en cause le principe de mise en réserve ni même de surgel. Ce mode de fonctionnement est assez sain et prudent. Ce qui est gênant, c'est plutôt que le taux de mise en réserve soit passé, en quelques années, de 5 à 7 %, voire 8 ou 9 % avec les surgels. Dans le même temps, avec des lois de finances initiales calculées au plus juste, les marges de pilotage de la dépense sont étroites, plus encore quand on doit renoncer aux investissements. Ce qui est gênant, c'est aussi que le dégel de ces crédits en cours d'année est devenu très aléatoire. Et quand, après de nombreux efforts, y compris ministériels, ils sont accordés, ils le sont en toute fin de gestion, trop tard pour être utilisés convenablement, car il faut alors les engager en urgence.

Au bout du compte, les responsables de programme perdent l'essentiel de leur initiative. Ils n'ont pas de visibilité, anticipent donc peu, et finalement dépensent en fin d'année ce qui leur est rendu, mais vite, parfois mal. Je ne suis pas sûr que tout cela soit gage de bonne administration.

Avec ces ressources, mes objectifs pour 2014 sont de mettre résolument en application la politique de sécurité définie par le gouvernement. Le ministre de l'Intérieur a présenté, le 30 septembre dernier, les trois grands projets qui vont structurer notre action, une meilleure organisation des missions de sécurité, la valorisation du potentiel humain au sein des forces de l'ordre, la définition et la préparation d'une « sécurité 3.0 » à l'ère du numérique et des nouvelles technologies.

Dans ce contexte j'ai, pour 2014, une ambition : promouvoir une gendarmerie dynamique et humaine, en réaffirmant le sens de l'engagement de son personnel et en la recentrant sur son coeur de métier, le service public de sécurité. J'ai engagé une feuille de route. Réaliser cette ambition nécessite d'agir simultanément sur plusieurs leviers.

Je veux tout d'abord poursuivre notre modernisation. Cette modernisation s'inscrit dans une feuille de route, appliquée avec détermination depuis juin 2013, dont les principes emportent l'adhésion du personnel et bénéficient du plein appui du ministre. Cette démarche s'inscrit totalement dans l'esprit de la modernisation de l'action publique.

L'objectif essentiel est de dégager, pour tous les gendarmes quel que soit leur niveau de responsabilité, du temps, de l'initiative et de la liberté d'action et d'insuffler, à tous les échelons de l'institution, un état d'esprit valorisant l'initiative et l'innovation.

Cette feuille de route s'appuie sur des principes simples et concrets. Avant tout le refus de l'inertie, pour renouveler les approches et les pratiques, pour redonner du souffle et du sens à notre action. Également la concertation et la participation, afin de fédérer les énergies et de recueillir les propositions constructives, d'où qu'elles émanent. Enfin la remise en question, par un vrai travail d'introspection sur les habitudes, les routines organisationnelles, pour ne pas dire les pesanteurs.

Cette feuille de route se veut réaliste car elle tient compte des impératifs budgétaires. Elle vise, tout particulièrement, à assurer, au bénéfice de la mission de sécurité, la meilleure utilisation possible des dotations du programme 152, au travers de l'emploi optimal des moyens disponibles et du temps des gendarmes.

Cela se traduit par des mesures concrètes en termes d'organisation, de synergies et de priorités opérationnelles. Ainsi, l'adaptation de notre outil opérationnel, déjà bien engagée, sera poursuivie avec résolution en 2014. L'achèvement de la réforme régionale viendra rationaliser nos structures de commandement en regroupant, dans les 15 régions non-zonales, les états-majors de la région administrative et du département chef-lieu, sous l'autorité d'un seul chef qui, à l'instar du préfet, cumulera la responsabilité des deux niveaux. L'adaptation, au cas par cas, en concertation avec les élus locaux, de la cartographie de nos unités territoriales permettra de répondre aux évolutions de la démographie, des flux et de la délinquance. S'agissant des unités spécialisées, il faudra également remettre en perspective certaines capacités avec la réalité budgétaire, je pense par exemple aux moyens aériens. L'ajustement des zones de compétence entre la gendarmerie et la police se poursuivra, là encore au cas par cas et en fonction des réalités locales. L'amélioration de nos synergies opérationnelles avec la police se traduira par des initiatives communes : le rapprochement en matière de criminalistique dans certains départements, l'emploi des moyens rares et spécialisés – cynophiles, aériens... En 2014, nous accompagnerons aussi la création de la nouvelle structure de renseignement territorial. Pour cela, nous réorganisons dès à présent, et en profondeur, notre propre chaîne de renseignement et de conduite des opérations. Nous concentrerons également nos moyens pour mieux lutter contre toutes les formes d'insécurité, avec un certain nombre d'axes prioritaires. La lutte contre les cambriolages, dans le prolongement du plan annoncé par le ministre le 25 septembre, sera une de ces priorités. Nous gardons enfin pour objectif, dans chaque département et sous l'autorité des préfets et des magistrats concernés, d'entretenir un contact étroit avec les élus et la population, d'expliquer notre action, de délivrer des messages de prévention et de rendre des comptes sur la qualité du service rendu. Là réside un puissant levier de confiance, notamment pour battre en brèche le sentiment d'insécurité.

Ces priorités, je les conduirai en conservant à l'esprit que l'homme est le coeur de notre système. Je veux donc mettre notre personnel au centre des évolutions à venir. À l'occasion de ce débat budgétaire, si je veux insister sur la prééminence de l'humain, c'est qu'il s'efface malheureusement trop souvent derrière les chiffres. Or derrière chaque ETP ou derrière les lignes de crédits, il y a avant tout des femmes et des hommes, militaires et civils, qui se dévouent à leur mission, parfois au risque de leur vie.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre attention et je suis prêt, maintenant, à répondre à vos questions.

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