Intervention de Michel Lesage

Réunion du 22 octobre 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lesage :

Contrairement à certaines auditions de notre commission, je ne dispose pas des quatre ou cinq collaborateurs qui me permettraient de répondre aux questions nombreuses et pertinentes que vous avez bien voulu me poser. (Sourires) Je rappelle que mon rapport est le résultat d'un travail personnel autour des aspects qualitatifs de la gestion de l'eau, et qu'il n'avait pas vocation à traiter l'ensemble des questions que vous avez abordées. Bien entendu, la question de la qualité ne peut être abordée indépendamment de celles de la quantité, du financement, ou de la gouvernance. Mon travail a consisté à remettre à plat ce secteur, et à faire des propositions, soumises au débat, visant à nous permettre d'affronter les enjeux, présents et à venir, dont il reste porteur. Le système actuel a apporté des avancées, mais il présente certainement des limites.

La création d'une haute autorité indépendante – j'ai proposé qu'elle prenne la forme d'une structure souple – a suscité de nombreux articles de presse, questions et critiques. Pourquoi donc envisager une telle création ? Certains ont mis en valeur les atouts des organismes existants : ainsi, à ma grande surprise, certains membres du conseil national de l'eau, qui n'a qu'un rôle consultatif puisqu'il rassemble tous les acteurs, ont affirmé que cette instance pourrait jouer ce rôle. Cela rejoint une de mes réflexions : trop souvent en matière d'eau on raisonne en termes de structures, pour ne pas dire de pouvoir. Il me semble qu'il faut au contraire s'interroger sur l'évolution de notre politique publique, sur notre niveau de pollution, sur nos condamnations par la Cour européenne et sur notre mode de gouvernance du secteur.

Il n'existe pas aujourd'hui d'autorité administrative indépendante régulant le secteur de l'eau dans notre pays. Pourquoi ? Très clairement, la politique de l'eau reste pour l'essentiel gérée par le ministère en charge de l'écologie, qui se trouve très clairement « coincé » entre les finances, l'agriculture, l'énergie, etc. Comment peut-il, dans ces conditions, mener une politique environnementale, compte tenu du poids des autres départements ministériels que je viens de citer ? Le morcellement des compétences, comme les conflits entre logiques présidant aux politiques publiques, pénalise la nécessaire régulation de ce secteur.

Pendant la préparation de mon rapport, j'ai assisté, à l'invitation de ses membres, à toutes les réunions du groupe de travail sur la politique de l'eau du conseil national de l'eau. Le président de ce groupe, le sénateur Henri Tandonnet, avait sous son autorité, à 80 %, des représentants socioprofessionnels, ce qui explique que quasiment jamais il n'a pu aboutir à un consensus. C'est normal, car l'addition d'intérêts catégoriels n'a jamais construit une politique publique. Le résultat du vote – 20 pour, 17 contre – sur le rapport relatif à la politique de l'eau illustre bien mes propos.

Les agences de l'eau restent des opérateurs et les comités de bassin des instances de concertation. On ne peut, de mon point de vue, jouer à la fois le rôle d'opérateur et celui de régulateur.

Le pilotage par l'État, ce qui inclut à mon sens les collectivités avec toute la chaîne, de la politique de l'eau doit donc être amélioré : il lui faut reposer sur des outils, comme cette autorité administrative indépendante dont je viens de parler. Elle s'impose d'autant plus, à mon avis, que l'ONEMA – qui regroupe police, recherche, et système d'information, et dont on connaît les difficultés – sera peut-être intégré dans l'agence française de la biodiversité, mais nous aurons ici l'occasion d'y revenir.

La création d'une autorité de régulation constituerait également une réponse aux conflits d'intérêt potentiels qui peuvent émerger dans le domaine. À titre d'exemple, les mêmes acteurs distribuent et reçoivent, au niveau local, des subventions.

La Cour des comptes et le Conseil d'État nous enjoignent d'approfondir notre connaissance, et d'améliorer la transparence, des flux financiers – les fameux 23 milliards d'euros – circulant dans le secteur. Dans son rapport, Anne-Marie Levraut suggère d'ailleurs qu'une mission complémentaire soit lancée sur cette question.

Je relève enfin que de nombreux autres secteurs de l'économie – l'énergie, les mobilités – bénéficient de l'existence d'une autorité de régulation, et que plusieurs de nos voisins européens, comme l'Angleterre, l'Italie et le Portugal, s'en sont dotés précisément dans le secteur de l'eau. La mise en oeuvre d'une régulation dans ce secteur fait par ailleurs partie des recommandations de l'OCDE, et des conclusions d'un rapport sénatorial. Bref, la création d'une autorité de régulation de l'eau ne me paraît pas scandaleuse eu égard aux enjeux du secteur. Je préconise d'ailleurs une gouvernance répondant à ces enjeux, avec des représentants des corps de contrôle ou des autorités juridictionnelles, comme le Conseil d'État, la Cour des comptes ou la Cour de Cassation et des représentants du Parlement. Il s'agirait d'une structure légère.

Dans les territoires, la gouvernance est organisée autour des commissions locales de l'eau (CLE), avec comme principal outil les schémas d'aménagement des eaux, qui s'emboîtent – et l'on retrouve ainsi l'articulation grand cycle petit cycle – dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), élaborés par les comités de bassin et les agences de l'eau. Toute ma région d'origine, la Bretagne, en dispose, sur 100 % de son espace. Nous considérons qu'il s'agit d'outils pertinents et adaptés : aussi proposé-je que nous les généralisions sur l'ensemble des territoires, et que leur mise en place soit assurée par des syndicats mixtes mis en oeuvre par le bloc communes – EPCI, qui disposera de la compétence intégrale grand et petit cycle de l'eau. Il s'agit d'outils de proximité, dont la capacité de mobilisation des acteurs est grande et qui permettent une bonne appropriation des enjeux de toutes les politiques d'aménagement du territoire. Les CLE constituent, au niveau local, de véritables parlements de l'eau, car leur composition intègre des représentants de la société civile, des associations, des représentants du monde économique, et, bien sûr, les élus. Puisque le dispositif fonctionne bien, il n'y aucune raison que ce ne soit pas le cas dans les territoires où ils pourraient voir le jour. Proximité, transversalité, volonté, solidarité, voilà leurs maîtres-mots.

S'agissant des pollutions diffuses d'origine agricole, les exploitants doivent connaître les spécificités des intrants qu'ils utilisent, et faire appel à l'expertise des chambres d'agriculture. On assiste ensuite à une appropriation des diagnostics et des plans d'actions, dont la mise en oeuvre s'effectue au plus près du terrain. Un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental (CESE) relevait justement que la terre ne se cultive pas sans eau, et que l'eau ne se gère pas sans la terre. L'agriculture reste au coeur des politiques publiques de l'eau : il ne faut pas la stigmatiser, car elle a adopté après-guerre un modèle intensif qui aujourd'hui évolue, à la fois dans le choix des productions mais aussi des pratiques culturales. L'agro-écologie, que le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll a défendu ici-même, me paraît une bonne approche car elle marie rentabilité économique et respect de l'environnement. Bien sûr, la PAC et la directive cadre sur l'eau (DCE) doivent être mieux articulées, et même si des enjeux de verdissement de la PAC existent, c'est d'abord sur les territoires, à l'échelle de la parcelle, que se trouvent les réponses.

La question des financements est naturellement fondamentale. On entend beaucoup que les principes sur lesquels repose le modèle de l'eau, « l'eau paye l'eau » et la récupération des coûts, seraient de bons principes. Élu territorial depuis une trentaine d'années, je n'ai pourtant jamais vu ou entendu que le « transport devrait payer le transport », « les déchets, les déchets », « la restauration scolaire, la restauration scolaire », etc. La mise en place d'une politique publique s'accompagne toujours de la recherche d'un équilibre entre ce que paye l'usager et ce qui relève d'une solidarité territoriale ou nationale. À l'heure actuelle, le système de l'eau pèse plus largement sur les consommateurs que sur les responsables des pollutions : il semble donc inéquitable et j'appelle de mes voeux son rééquilibrage. La question de sa viabilité même à moyen terme se trouve posée, à l'aune des enjeux considérables liés au grand cycle de l'eau, aux problèmes des pollutions, aux inondations, etc. Le temps des petits ajustements techniques, à la marge, est révolu et il doit laisser place à un débat d'ensemble, et en particulier au Parlement.

Certains ont évoqué la question de la démocratie dans les agences de l'eau. Il est exact que seuls quelques élus ont la possibilité de participer à leurs travaux, mais le travail que réalisent leurs 1 500 salariés est absolument nécessaire pour la connaissance de l'eau. Il serait d'ailleurs opportun que puissent se développer, en complément, de véritables capacités d'ingénierie publique au niveau local. Les compétences des collectivités territoriales sont essentielles pour intégrer la globalité du cycle, de l'aval à la mer, et pour laisser le choix selon les territoires – ce qui n'empêche nullement la conclusion de partenariats avec de grands opérateurs privés, dans le cadre de délégations de service public ou de sociétés publiques locales.

En matière de financement, l'article 35 B du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, en cours de discussion devant le Parlement, ouvre des pistes intéressantes, avec la création de nouvelles taxes pour financer quatre nouvelles compétences attribuées aux ensembles constitués par les communes et les EPCI : ceux-ci se trouveront ainsi attributaires de l'ensemble de la compétence « eau », c'est-à-dire non plus seulement le petit cycle, mais également le grand cycle.

Le rôle des régions dans le domaine de l'eau est également appelé à se renforcer, dans le cadre des conférences techniques de l'action publique mises en place par ce même projet de loi. Et au vu de certains sujets : sécheresse, inondations, etc.

Au regard de certaines problématiques du grand cycle, il est clair que le niveau du bassin versant n'est pas suffisant – sans même parler de toutes petites structures comme les trente-et-un mille services publics de l'eau et de l'assainissement. Il faut rationaliser et simplifier, pour avoir une ingénierie suffisante permettant d'agir aux échelons pertinents. L'amélioration des services rendus conduit d'ailleurs quelquefois à des recrutements supplémentaires à l'échelon intercommunal.

Pour ce qui concerne les aspects quantitatifs de la gestion de l'eau, notamment évoqués par Philippe Plisson, je ne peux que renvoyer aux rapports de Philippe Martin et Anne-Marie Levraut, qui formulent de nombreuses préconisations sur les usages et le partage des ressources en eau, par exemple avec le projet de schéma territorial concerté.

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