Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 22 octobre 2013 à 21h10
Commission élargie : action extérieure de l'État

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Je suis évidemment à la disposition des différentes commissions de l'Assemblée nationale pour faire le point tant sur la politique générale de mon ministère que sur des aspects plus techniques.

Madame la présidente de la commission des affaires étrangères, vous avez soulevé des questions relatives notamment au bilan des représentants spéciaux, à la diplomatie économique, au lien entre les ambassades, le Quai d'Orsay et les autres administrations, ou encore à l'Institut français, auquel plusieurs députés se sont également intéressés.

Dès mon arrivée au Quai d'Orsay, j'ai fait de la diplomatie économique une de mes priorités tout en soulignant, comme vous, qu'on ne saurait séparer, dans le rayonnement de la France, la diplomatie économique des dimensions culturelles ou scientifiques, voire sportives de notre action à l'extérieur – je nommerai bientôt un ambassadeur pour le sport, qui est très important pour le rayonnement de la France. Les ambassadeurs sont chargés au premier rang de coordonner les différents aspects de la diplomatie économique, puisqu'ils dirigent l'administration française à l'étranger. D'autres services travaillent également sur le sujet : le ministère des finances ou celui du commerce extérieur. Les lettres de missions que j'envoie aux ambassadeurs comprennent des objectifs en matière de diplomatie économique : ils doivent m'envoyer des rapports réguliers sur l'évolution de la situation, leurs prévisions et les mesures prises. J'ai également créé une direction des entreprises, qui travaille sous l'autorité de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats.

Quant aux représentants spéciaux, qui sont peu nombreux – sept ou huit –, ils suivent avec un intérêt particulier, compte tenu de leur histoire personnelle, les dossiers qui leur sont confiés. J'évoquerai quelques noms : Jean-Pierre Chevènement pour les relations avec la Russie, Jean-Pierre Raffarin pour les relations avec l'Algérie – il avait commencé d'apporter des solutions à certains problèmes sous le gouvernement précédent –, ou encore Louis Schweitzer pour les relations avec le Japon : c'est lui qui a réalisé l'alliance entre Renault et Nissan. Je n'ai qu'à me féliciter de l'action bénévole de ces représentants spéciaux, comme de l'action des ambassadeurs, notamment dans leurs relations avec les entreprises. Les grandes entreprises sont du reste très satisfaites de cette orientation. S'agissant des moyennes entreprises, en revanche, l'effort sera de longue haleine : chacun le sait, le bât blesse par rapport à l'Allemagne. Je peux toutefois d'ores et déjà assurer que la priorité accordée à la diplomatie économique demeurera, quelles que soient les évolutions du Quai d'Orsay.

La coordination entre le ministère des affaires étrangères et les autres ministères est excellente au plan local. Elle est également correcte au plan national : je traite les éventuels problèmes avec les autres membres du Gouvernement. Nous avançons dans la même direction.

S'agissant de l'Institut français, j'ai décidé de conserver les éléments positifs de son expérimentation, en commençant par son nom et les fonctions de coordination que l'Institut a fort bien assurées sous l'autorité de Xavier Darcos. C'est pourquoi je compte étendre certaines fonctions de l'Institut français, notamment en matière d'analyse des publics ou de gestion des équipes culturelles. Toutefois, je ne suis pas favorable à une systématisation de l'expérimentation : je ne l'étendrai donc pas à d'autres postes, et ce pour deux raisons principales. La première a déjà été soulignée par certains d'entre vous : une telle mesure coûterait plus de 50 millions d'euros, qui ne pourraient être pris que sur le budget du ministère, ce qui est inacceptable. La seconde tient au rayonnement même de la France, qui est un tout. Une systématisation du rattachement des offres culturelles à un établissement unique réduirait la richesse de la palette dont les ambassades doivent disposer.

Je tiens toutefois à préciser, madame la présidente, que les conclusions du rapport sur l'Institut français n'ont pas été « très négatives » – même si ces mots ont pu être employés. Si je ne suis pas favorable à une systématisation du rattachement de l'offre culturelle à l'Institut français, en revanche, l'Institut a réalisé du bon travail et je tiens à rendre hommage à ceux qui l'ont conduit.

Madame la vice-présidente de la commission des affaires culturelles, le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de Campus France pour 2013-2015 sera signé avant la fin de l'année, après avoir été soumis pour avis aux assemblées. Je tiens à rappeler les objectifs qui ont présidé à la mise en place de Campus France : la promotion de nos établissements d'enseignement supérieur et de recherches, l'amélioration de l'accueil et de l'accompagnement des étudiants et chercheurs étrangers, ainsi que l'amélioration de la gestion administrative et financière des programmes de mobilité et d'attractivité. L'animation d'un réseau d'étudiants et de chercheurs est un élément nouveau que j'ai décidé de mettre en oeuvre afin de valoriser la fonction de réseau. En effet, alors que, dans de nombreux pays, il existe des réseaux d'alumni – mot latin repris dans les pays anglo-saxons, et qui signifie « anciens élèves » –, j'ai été choqué, lors d'une rencontre à l'ambassade de France au Viêt-nam avec un Vietnamien, ancien élève de l'École normale supérieure et médaille Fields, qu'on ne puisse pas répondre à son désir de constituer un réseau d'anciens étudiants vietnamiens ayant suivi leurs études en France. Nous n'avons en effet aucun recensement des étudiants étrangers ayant suivi leurs études en France. Aucune trace de leur passage n'existe. C'est la raison pour laquelle, au cours de la Conférence des ambassadeurs, j'ai fixé comme tâche aux ambassadeurs de constituer des réseaux des anciens étudiants étrangers qui ont fréquenté nos écoles ou nos instituts culturels ou ont bénéficié de nos bourses. Campus France, qui doit reconstituer sur vingt ou trente ans une mémoire dont nous ne disposons pas à l'heure actuelle, nous aidera à animer de tels réseaux.

S'agissant des résidences de créateurs, je vous transmettrai la réponse par écrit.

Monsieur Lambert, dans l'ensemble, le remplacement de la PEC par des bourses a plutôt bien fonctionné. Des ajustements sont toutefois nécessaires dans le mécanisme d'attribution – le bilan sera tiré en décembre. Les bourses permettent de mieux prendre en compte la situation sociale et économique des familles.

Quant à la réforme de l'Assemblée des Français de l'étranger, elle est trop récente pour que je puisse, ce soir, en tirer le bilan. Elle a été faite dans un esprit positif.

Oui, nous continuerons l'an prochain de rééquilibrer les moyens de nos postes : 300 postes sont concernés sur trois ans – 100 par an. Même si on doit constater et déplorer, comme M. Loncle, la réduction de nos moyens depuis de trop nombreuses années, rien n'interdit, dans le cadre d'une contrainte que chacun connaît, d'agir intelligemment pour permettre au Quai d'Orsay de fonctionner efficacement et d'assurer le rayonnement de la France.

C'est vrai, monsieur Lambert, une partie de nos ressources provient de la vente de notre patrimoine immobilier. S'il existe encore des marges de manoeuvre, on ne saurait poursuivre éternellement dans cette voie. Il faut procéder à de telles opérations avec un esprit d'à-propos. En effet, autant on peut céder des biens dont le caractère somptuaire est inutile, autant il faut préserver la qualité de l'installation de notre représentation diplomatique. Comme me le confiait récemment l'un d'entre eux, un ambassadeur doit pouvoir convier de hauts responsables dans sa résidence et non au restaurant ! Il est faux, en revanche, de prétendre que tous nos bâtiments à l'étranger participeraient du rayonnement de la France. C'est ainsi que nous disposons dans le Sud-est asiatique d'un terrain valant 150 millions d'euros, ce qui est loin d'être négligeable. Du reste, seuls des spécialistes de l'immobilier doivent, sous notre surveillance, procéder à des cessions de notre patrimoine à l'étranger. En effet, la formation des ambassadeurs ne les conduit pas à valoriser les biens dont ils ont la charge.

Il est vrai qu'on observe parfois un décrochage du revenu de nos personnels de droit local, qui font un travail remarquable, par rapport à la réalité de la vie. Il peut leur arriver de nous quitter pour une meilleure offre, ce qui conduit à un taux important de rotation. C'est pourquoi nous avons intégré une augmentation de 3 % de la rémunération des personnels de droit local et assurons leur protection sociale. Le tout est de trouver un équilibre entre leurs exigences et nos capacités financières. La difficulté de l'exercice, qui a des limites, varie selon les pays. Il convient de se montrer pragmatique en la matière.

Monsieur Baumel, la décision concernant la Maison de France de Berlin sera prise en décembre. J'ai demandé à notre ambassadeur en Allemagne, M. Gourdault-Montagne, de réexaminer la question à la suite des nombreuses protestations que la décision de fermeture a suscitées. Il faut toutefois savoir que, si l'immeuble est beau, il n'est pas du tout fonctionnel. Est-il possible d'en garder une partie ? J'attends les propositions de notre ambassadeur.

Plusieurs d'entre vous ont abordé la question des visas qui est très importante, car le visa est le premier contact que nos futurs visiteurs ont avec la France. J'ai évoqué cette question à plusieurs reprises avec le Premier ministre et le ministre de l'intérieur. Je rappelle que tout pays doit aujourd'hui avoir une politique migratoire. Aucun ne peut accepter que ses frontières soient entièrement ouvertes. Nous sommes donc conduits à avoir une politique des visas.

Il convient toutefois de prendre également en considération la question de notre attractivité. S'il faut être attentifs vis-à-vis des pays dont la pression migratoire est forte, en revanche, il faut savoir que nous ne subissons aucune pression migratoire de la part d'autres pays, auprès desquels nous exerçons un grand attrait. Il convient, de plus, d'encourager certaines catégories de migrants, notamment les étudiants. Nous voulons recevoir en France des étudiants étrangers de grande qualité car, comme les autres pays, à l'avenir, nous nous renforcerons à proportion du nombre d'étudiants étrangers de grande valeur que nous accueillerons et qui, une fois rentrés chez eux, deviendront nos meilleurs ambassadeurs. Recevoir des étudiants étrangers est donc un bon investissement.

Il en est de même du monde des affaires ou de la coopération décentralisée, en direction du monde des artistes. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de conduire une politique des visas mieux adaptée aux diverses situations que par le passé. Les catégories de personnes auxquelles la France ne délivre pas de visas sont peu nombreuses et différentes selon la pression migratoire. Il convient en revanche d'encourager la venue d'autres catégories en facilitant l'obtention des visas. L'année prochaine verra le cinquantième anniversaire de l'établissement par le général de Gaulle des relations diplomatiques avec la Chine populaire : or, en Chine, le visa sera délivré sous quarante-huit heures en 2014 – tel est l'objectif que j'ai fixé. C'est un élément considérable d'attractivité.

Le tourisme, comme l'a déclaré le Président de la République à la Conférence des ambassadeurs, est une grande cause nationale. C'est un des secteurs dans lesquels nous pouvons réaliser des progrès extraordinaires en termes économiques. Avec 30 % de touristes en moins que la France, l'Espagne réalise 30 % de recettes en plus : nous avons donc des progrès à réaliser. Or le progrès commence avec le visa. Il continue avec l'amélioration de l'accueil à Roissy-Charles-de-Gaulle, actuellement très triste : je l'ai dit récemment à Augustin de Romanet, le nouveau président-directeur général d'Aéroports de Paris (ADP). Il en est de même de l'accueil des touristes britanniques à la Gare du Nord de Paris, bien inférieur à celui de Saint-Pancras, à Londres – je l'ai dit à Guillaume Pepy.

Madame Schmid, vous avez raison, la décision du tribunal administratif de Paris d'annuler la contribution de 6 % destinée à aider l'AEFE à financer la part patronale est ennuyeuse. La quasi-totalité des établissements ont manifesté leur soutien à l'agence lorsqu'ils ont eu connaissance du jugement et ont confirmé leur volonté de l'aider. L'AEFE a pris ses dispositions pour faire face à un éventuel arrêt du Conseil d'État confirmant le jugement en appel. Si tel était le cas, l'AEFE serait très fortement pénalisée et ce sont les familles qui en supporteraient les conséquences financières. Or il n'est dans l'intérêt de personne de fragiliser cet établissement. J'espère que les choses se passeront pour le mieux.

S'agissant du Label France, je me rappelle très bien la communication de Mme Conway au Conseil des ministres du 28 août dernier. Je tiens à rappeler que nous n'avons pas les moyens de financer partout des établissements AEFE, alors même qu'ils rencontrent un succès extraordinaire. C'est pourquoi nous proposons de donner le Label France à des établissements locaux qui font un effort particulier dans l'enseignement du français. J'ai visité l'un de ces établissements, tout à fait extraordinaire, à Brooklyn. Dans cette petite école primaire publique, qui dépend de la ville de New York, les enfants apprennent à la fois l'anglais et le français. Ce type d'établissement ne nous dispense certes pas d'efforts, d'autant qu'il faudra assurer la suite dans le secondaire, mais il concourt indubitablement à notre réseau. On en compte une trentaine actuellement, dont un bon nombre aux États-Unis. Il faut encourager ces initiatives.

Monsieur Loncle, vous avez rappelé que les crédits avaient diminué par le passé, à l'exception de deux années. Pour ce qui est de l'évaluation de la Cour des comptes, elle est dans l'ensemble objective et juste. Je ne reviens pas sur la décision concernant l'Institut français. Nous allons nous efforcer de clarifier l'ensemble des crédits. Pour ce qui est de la cartographie du réseau, dès lors que les moyens ne sont pas extensibles à l'infini, l'orientation est de faire porter l'effort dans les pays où nous ne sommes pas assez présents. Lorsqu'on pense au développement auquel sont promis des pays comme l'Indonésie en Asie, le Mexique en Amérique latine ou le Nigéria en Afrique, il est évident que nous n'y sommes pas du tout au niveau où nous devrions être.

Pour ce qui est de la création de conseils d'influence, j'ai demandé aux ambassadeurs de regrouper autour d'eux diverses personnalités susceptibles de faire le lien entre les différents aspects de notre influence, économique, culturelle, scientifique, sportive…

J'en viens à France Expertise Internationale. Le Premier ministre nous a demandé de de rationaliser l'expertise française, car voilà un domaine où nous faisons beaucoup, mais de manière trop dispersée. Avec le potentiel qui est le nôtre, nous devrions emporter davantage de contrats.

Au total, le ministère des affaires étrangères respecte bien entendu le cadre budgétaire qui s'impose à nous compte tenu de la situation des finances publiques. Bien que nous ayons déjà été assez lourdement ponctionnés, nous essayons de concilier l'indispensable discipline budgétaire avec le lancement ou la poursuite de certaines réformes.

Enfin, je ne voudrais pas conclure sans saluer la compétence et le dévouement de notre administration. Les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères, tant en France qu'à l'étranger, ne sont pas arrivés là par hasard, mais l'ont choisi. La représentation nationale peut, comme moi, compter sur leur loyauté et la qualité de leur travail.

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