Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

S'agissant du transfert des fonds européens aux départements, je vous rappelle que d'ici deux ans la Martinique et la Guyane seront des collectivités uniques. Personnellement, je considère qu'il n'est pas idéal, en matière de gestion du foncier, de prévoir deux entités sur un même espace. Le développement économique nécessite une vision globale, c'est pourquoi le transfert des fonds européens doit être effectué au sein d'une structure unique.

Je suis surpris du peu de résultats que vous avez obtenus en matière d'installations, mais je suis satisfait du rôle que joue l'ASP en Martinique, où elle constitue une structure souple et bien adaptée pour la gestion des paiements.

En matière d'installation et d'accès aux terres agricoles, nous assistons à une vraie cacophonie : votre agence est membre du conseil d'administration de la SAFER dans certains départements, tandis que dans d'autres elle est un acteur opérationnel. Vous avez évoqué les problèmes de viabilisation et les difficultés d'accès au foncier. Le drame n'est pas le manque de terres, surtout en Guyane, mais leur accessibilité, or, sur ce plan là, vous n'intervenez pas. Pourquoi ne pas renforcer votre compétence en la matière, ou définir clairement à qui il appartient de financer l'accessibilité et de réaliser les travaux ?

Nous avons mis en place en Martinique un plan de désenclavement. C'est un projet complexe et très coûteux, or, ni les financements, ni l'opérateur ne sont clairement identifiés. Cette limite constitue un frein aux projets d'aménagement.

Par ailleurs, vous indiquez que la gestion du foncier exige un chef de file opérationnel. Mais où est la cohérence si ce chef de file distribue des terrains sur lesquels on plantera de la banane ou de la canne, alors que nous avons besoin de promouvoir des filières de diversification ?

J'en profite pour dire que je regrette profondément que l'engagement du Président de la République, M. François Hollande, portant sur l'adoption d'une loi spécifique à l'agriculture ultramarine, n'ait pas été respecté : c'est une erreur économique grave et une erreur politique majeure, comme je ne manquerai pas de le faire remarquer en séance. De fait, l'agriculture, le tourisme et la biodiversité – en lien avec la mutation énergétique et écologique – sont les trois grands vecteurs qui, dans nos pays, pourraient nous porter et nous réconcilier avec nous-mêmes. Au lieu d'un texte spécifique, nous devrons nous contenter d'une sorte d'annexe et de deux articles et, qui plus est, d'un renvoi à des ordonnances. Et je sais, Madame la présidente, que vous partagez mon point de vue – même si votre fonction ne vous permet pas de vous exprimer aussi librement que moi.

Quoi qu'il en soit, la stratégie foncière est un véritable problème dans nos pays. En effet, sans accès au foncier, on ne peut pas produire. En Martinique, la monoculture est liée à une structuration agraire qui ne bouge pas facilement. Dans ces conditions, il est difficile d'accompagner la mutation économique en valorisant certains produits locaux, puisque cela suppose de développer certaines filières et d'installer ceux qui souhaitent se lancer dans telle ou telle production. Nous avons parfaitement réussi à produire de la pulpe de Goyave, au point que nous sommes maintenant complètement autonomes et que nous assurons 100 % des besoins des agro-transformateurs. Mais aujourd'hui, nous souhaitons relancer le café de Martinique. Or, ce café d'excellence ne pousse que dans deux ou trois communes de Martinique, et nous devons disposer de 150 hectares. Il en est de même de la production de cacao, qui ne pousse que dans cinq communes.

Il y a donc un lien entre la politique économique agricole, la politique foncière à mettre en oeuvre et les produits à valoriser – destinés aux agro-transformateurs et aux marchés locaux. Mais dans une telle chaîne, les intervenants sont nombreux – ASP ; SAFER ; chambre d'agriculture – et le financement éclaté – région, FEADER (premier et deuxième pilier), département. En Guadeloupe, par exemple, la situation est très alambiquée : d'un côté la région définira la stratégie, et de l'autre le FEADER restera aux mains du département. C'est complètement incohérent ! Il en va de même de la formation professionnelle, dont une partie est transférée au département, une autre à la région et une autre à l'État. Pourquoi diviser la société en trois ? Mieux vaudrait prendre en charge globalement l'individu qui entre dans un cycle de formation.

Je n'ai pas d'observation négative à faire, Madame la présidente, mais cela me préoccupe beaucoup. La loi pourrait être l'occasion de poser le problème et de proposer des amendements. Nous avons besoin tout à la fois : d'un pilote dans l'avion, d'une organisation structurée, d'une politique déclinable en grandes actions par filières, d'une personne parfaitement identifiée qui maîtrise des fonds financiers pour pouvoir faire de la viabilisation, d'opérateurs, d'une relance des structures coopératives, et donc de la petite agriculture – mais c'est un voeu pieux de parler d'une petite agriculture, endogène, capable de satisfaire le marché local, en ne comptant que sur la bande de terre régionale. En résumé, il y a une véritable stratégie à mettre sur pied. Sans oublier une fiscalité propre.

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