Tout à fait ! Au cours de notre histoire, nous avons su adapter nos réglementations à nos grands intérêts stratégiques : c'est cette capacité que nous devons retrouver. Mais, dans le même temps, il faut garantir aux entreprises un cadre stable.
La coopération internationale est un recours que nous avons systématiquement gardé à l'esprit. Il faut, sujet par sujet, se demander ce que nous pouvons construire et avec qui, en fonction des acteurs existants et des volontés politiques des uns et des autres. Il faudra toutefois faire attention car, sur certains thèmes, nous ne sommes pas prêts et nous risquerions de nous trouver marginalisés. Nous sommes là encore très demandeurs d'un travail en profondeur avec le Parlement.
Donner de la valeur aux données, savoir combien coûtent les choses, madame Erhel, est essentiel : c'est selon moi la meilleure façon de réformer l'État, de simplifier efficacement.
Sur la nécessité d'un cadre de confiance, je suis entièrement d'accord avec vous. Il faut notamment beaucoup discuter avec les start-ups ; mais c'est difficile, car ces entreprises n'ont pas de porte-parole. Elles ont à la fois du mal à se faire entendre et beaucoup à dire. Il ne sera pas aisé de créer les structures adéquates, mais c'est indispensable.
En matière d'amorçage, effectivement, nous sommes devenus bons, voire très bons ; en revanche, nous ne le sommes pas encore pour le deuxième, voire pour le troisième « tour de piste », lorsque les entreprises en arrivent à réaliser vingt ou trente millions de chiffre d'affaires. Les établissements financiers considèrent l'activité de « venture » comme insuffisamment rentable. Pourquoi, effectivement, ne pas créer des fonds de fonds ? On pourrait imaginer aussi de meilleures incitations à la création de fonds par les établissements financiers.
Les relations entre les grands groupes et les start-ups, madame de La Raudière, constituent une question de première importance. Souvent, les premiers rachètent les secondes : ainsi AREVA avait acheté Hélion. Mais certains groupes anglo-saxons, comme Google, savent s'y prendre bien mieux que nous : par exemple, lorsqu'ils achètent des start-ups – et ils en achètent beaucoup –, ils créent pour elles des structures spécifiques, avec notamment un système de reporting complètement différent de celui du reste du groupe. C'est une très bonne idée, car les moutons à cinq pattes se sentent vite très mal si on les oblige à entrer dans un système trop rigide. De même, Google n'a pas de département R&D : celle-ci est répartie partout. Chaque nouveau projet est ainsi accueilli très facilement et très rapidement par toute l'entreprise. Nous avons donc beaucoup à apprendre de ces nouveaux acteurs du numérique.
Vous avez mille fois raison, l'innovation rebat forcément les cartes et menace les situations établies : elle provoque donc une forte résistance. Mais protéger l'existant, c'est créer des freins ; du coup, on paye deux fois : on maintient à bout de bras des structures sans avenir, et pendant ce temps, d'autres innovent et progressent. Il faut donc savoir ce qui a un avenir et ce qui n'en a pas.
L'innovation culinaire, madame Le Loch, est cruciale. Comme le disait M. Borgel, l'innovation ne se limite pas à la technologie, bien au contraire, et, dans ce domaine précis, nous avons de grands atouts à faire valoir : la cuisine est une de nos forces. Les innovations ne sont pas vraiment des innovations technologiques, là, mais plutôt des innovations dans les usages : ainsi, vous pourrez bientôt acheter des oeufs mollets à cuire en trente secondes au micro-ondes ou des oeufs durs découpés au laser !
Il y a beaucoup d'entreprises qui réussissent très bien dans le secteur agro-alimentaire, et ce qui a fait la différence, c'est leur vision stratégique : Sofiprotéol, qui a réinventé l'ensemble de la filière protéo-oléagineuse, Unigrains, les vins et spiritueux, voilà trois belles réussites, et les trois postes bénéficiaires de notre commerce extérieur. J'admire beaucoup ce qu'ils ont réussi, sur le long terme, et notre commission a beaucoup réfléchi avec le monde agricole. Inversement, quand il n'y a pas construction d'une filière, pas de stratégie d'ensemble, on ne peut qu'être à la peine. J'espère que les drames actuels seront aussi l'occasion de reconstruire la filière agro-alimentaire.
Monsieur Laurent, je n'ai entendu aucune critique sur le principe d'innovation – je n'en aurais pourtant pas été surprise. Je veux y lire une envie largement partagée, et je crois beaucoup à la dynamique qui pourrait se créer. Le principe de précaution n'est pas un principe qui nous entraîne vers l'avenir… Mais je compte vraiment sur vous pour donner au principe d'innovation un contenu, une cohérence, un statut.
Madame Fabre, pourquoi pas effectivement des recherches sur la pollution des mers ? Nous avons identifié comme priorité le dessalement de l'eau de mer, car la croissance de la population rendra l'utilisation de cette eau indispensable, sachant qu'il faut à tout prix préserver les nappes fossiles.
Monsieur Straumann, les Allemands ont défini une stratégie et des objectifs plus nombreux encore qu'au Royaume-Uni. Mais ils ont aussi ajouté une dimension R&D, ce qui n'est pas absurde du tout.
Les États-Unis réfléchissent aussi à ces sujets. Il y a quelques années, ils ont travaillé sur l'innovation ciblée et le président Obama vient de recevoir un rapport qui montre que, lorsqu'elles cessent de produire aux États-Unis, les entreprises finissent par obérer leur capacité d'innovation et de conception. Quand on ne produit plus, on finit par ne plus créer ! Nous avons donc intérêt à avoir une base industrielle française aussi solide que possible.
Monsieur Borgel, vous avez entièrement raison s'agissant de la place faite aux docteurs. Le statut du savoir en France est indigne : nous payons les chercheurs de façon dérisoire par rapport à ce qu'ils gagneraient aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Le monde de la recherche n'est absolument pas traité comme il devrait l'être : il est urgentissime d'y réfléchir.
J'en viens au nucléaire ! Fessenheim représente 3,5 % de la production nucléaire française : si je comprends donc que sa fermeture pose problème dans la région, il faut bien dire que ce ne sera pas gravissime à l'échelle française. En revanche, faire passer de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique, c'est-à-dire fermer une vingtaine de réacteurs, c'est tout autre chose ! Et je ne vois pas bien comment les réseaux européens pourraient supporter l'arrêt de huit réacteurs allemands, puis de dix-neuf, et l'arrêt de nombreux réacteurs français. Les risques d'instabilité de la fourniture d'énergie seraient forts, car les énergies renouvelables sont par définition intermittentes. On jouerait avec le feu !
J'ajoute – c'est l'industrielle qui parle – que ce serait jouer aussi avec des investissements réalisés durant des dizaines d'années. Fallait-il les consentir ? C'est une autre question. Ils l'ont été, et si l'on arrête des réacteurs avant la fin de leur durée de vie normale, on détruit de la valeur, des investissements.