Intervention de Gilbert Cette

Réunion du 17 octobre 2013 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Gilbert Cette, directeur des analyses microéconomiques et structurelles de la Banque de France, membre du Haut Conseil du financement de la protection sociale :

C'est exact, mais je brosse le tableau de la situation à grands traits. À raison de dix-huit à dix-neuf points de prélèvements sur la masse salariale – contribution « famille » et contribution « maladie » confondues –, on atteint des sommes considérables, si bien que la modification brutale du mode de financement des prestations universelles non contributives entraînerait des bouleversements phénoménaux. Aborder la chose de manière progressive en se concentrant d'abord sur les 5,5 % de contribution « famille » n'est donc pas une mauvaise approche.

Pour ce qui est de l'efficacité économique, on a cherché récemment à réduire le coût du travail parce qu'on est amené à considérer que les problèmes de compétitivité de notre économie sont pour partie liés au coût du travail et que le manque d'innovation des entreprises françaises tient aussi à une rentabilité moyenne insatisfaisante. La comparaison du taux d'épargne des entreprises des grands pays industrialisés montre que la France est en bas de la liste. Cette orientation date du début des années 2000 ; elle n'est pas due à la crise, le problème est beaucoup plus structurel et inquiétant. Le souci de baisser le coût du travail reflète le désir d'aider les entreprises à financer dans le long terme leurs efforts d'innovation – c'est la compétitivité hors coût – et, éventuellement, à faire de la compétitivité coût à court terme, sachant que ce que l'on ne fait pas avec l'un, on le fait en partie avec l'autre, mais que l'on ne peut agir sur tous les tableaux simultanément.

Le « rapport Gallois » ayant fortement souligné cette situation, des dispositions ont été prises, dont l'instauration du CICE. Ce dispositif conduit à se poser la question facétieuse « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », puisqu'un transfert équivalent aurait pu prendre pour forme la fiscalisation d'une partie de la protection sociale. On voit bien l'intérêt du CICE : il a un effet immédiat et son coût pour les finances publiques est décalé à 2014 et 2015. Mais, outre que le dispositif est complexe, il n'est pas certain qu'il remplisse complètement l'objectif visé et que le comportement des agents soit le même que si l'on avait choisi la baisse directe du coût du travail. Il y a par ailleurs un effet de seuil. Le plafond de rémunération conditionnant le crédit d'impôt, parce qu'il est fixé à 2,5 SMIC, complique encore l'édifice, un seul euro versé au-delà de ce plafond majorant le coût annuel du travail de 2 500 euros par salarié concerné. Or la rémunération des chercheurs est généralement supérieure à 2,5 SMIC. Le crédit impôt recherche (CIR) est une bonne mesure, mais il y a une percussion entre ce dispositif, qui aide les efforts de recherche, et le CICE, qui peut les dissuader par cet effet de seuil en faveur des salariés les moins qualifiés et au détriment des salariés très qualifiés, dont les chercheurs.

Fallait-il cibler le dispositif vers l'industrie, productrice de biens exportables directement exposée à la concurrence ? Ce n'est pas très simple à concevoir et, a priori, cela ne s'impose pas. En effet, dans la branche manufacturière, les coûts directs en travail – entre 30 et 35 % des coûts de production – sont égaux au coût indirect en travail, celui des emplois de service mobilisés pour produire des produits manufacturiers. C'est dire que si des mesures réduisent le coût du travail dans les services, la baisse se répercutera dans le secteur manufacturier et sa compétitivité en bénéficiera.

En résumé, le CICE est certes un second best, mais c'est mieux que rien. On pouvait faire un petit peu mieux et j'imagine qu'à l'avenir il faudra simplifier le dispositif, le rendre plus cohérent avec les objectifs d'équité et plus conforme à une stratégie de long terme pour le financement de la sécurité sociale.

Enfin, le CICE comme le basculement d'une partie du financement de la protection sociale vers les ménages ressortissent à la dévaluation fiscale. Or, les dévaluations peuvent avoir un effet favorable sur la compétitivité, mais il n'est que temporaire ; après quelques années, le gain compétitif est perdu et l'on est ramené à la situation dans laquelle on se serait trouvé sans l'avantage lié à la dévaluation fiscale. Cela signifie que le basculement d'assiette et le CICE doivent être articulés avec des politiques d'amélioration structurelle de la compétitivité. Parce que les politiques structurelles ont des effets progressifs, décalés dans le temps, ces dispositifs servent en quelque sorte à faire la soudure, mais en rester là ne procurerait qu'un avantage transitoire.

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