La LPM couvrira en principe tout le spectre des capacités nécessaires pour honorer le nouveau contrat opérationnel. Si elle est correctement appliquée, nous devrions éviter les risques de ruptures capacitaires les plus graves. Si en revanche, comme cela s'est produit dans le cadre de la LPM précédente, nous subissons des étalements de certains programmes à effet majeur ou de nouvelles réductions de cibles – non seulement Scorpion, mais aussi d'hélicoptères de tous types, des véhicules de transport logistiques (VTL) et d'autres équipements plus spécifiques –, nous serons confrontés à un déficit de certains matériels.
Ainsi, il est impératif que le contrat de développement des missiles moyenne portée (MMP) soit notifié d'ici à la fin de l'année 2013 – il y a de bonnes chances qu'il le soit – pour que les premiers missiles nous soient livrés en 2017 ou en 2018. En effet, en 2016, nous ne disposerons plus que de 400 postes de tir Milan et ce chiffre ira ensuite en décroissant. De même, nous n'aurons plus, à partir de 2017 de missiles de cette catégorie : dans la mesure où nous ne disposons pas des crédits nécessaires à leur revalorisation, ils se périment.
D'une manière générale, les chefs d'état-major ont accepté des ruptures de capacité temporaires sur certains équipements dans le cadre de la LPM – c'est d'ailleurs un point marquant de cette loi. Dans l'armée de terre, ce sera le cas pour les blindés moyens tels que les AMX10 RC, les ERC90 Sagaie et les VAB. Nous ne pouvons donc plus nous permettre de perdre du temps. Bien sûr, encore faut-il que les lignes budgétaires soient maintenues ! À cet égard, le contrat Scorpion tel qu'il sera notifié en 2014 ne représentera que la moitié du programme prévu dans le cadre de la dernière LPM : non seulement sa réalisation a été décalée dans le temps, mais sa cible a été réduite. Néanmoins, je demeure très satisfait que ce programme soit lancé.
Les équipements me préoccupent moins que les hommes. Vous avez raison de rappeler, monsieur Pueyo, que l'armée de terre va continuer à recruter – heureusement ! Recruter, former, gérer les soldats sont des choses que nous savons très bien faire. Vous avez tous rencontré des jeunes qui, après deux ou trois mois de service dans l'armée de terre, ressemblaient déjà à de bons soldats. Quant aux risques de mouvement social, nous avons su jusqu'à présent les maîtriser, à une exception près. En mars 2012, les dysfonctionnements du système Louvois – une véritable catastrophe – ont provoqué une manifestation de six jeunes épouses de militaires place Jacques-Bainville à côté du ministère de la Défense, un samedi matin. Leurs photos ont circulé sur Internet. Cela a été un épisode très douloureux pour nous. D'autant que la crise suscitée par l'échec de Louvois est d'une infinie complexité : personne, n'a en main tous les leviers pour la résoudre. Un an à un an et demi sera encore nécessaire pour trouver une solution de secours, c'est très long.
Pour vous répondre, monsieur Fromion, je ne suis nullement opposé à une évolution des rôles de chacun au sein du ministère de la Défense en matière de gestion des ressources humaines, à condition que l'organisation conserve une certaine cohérence : en tant que chef d'état-major de l'armée de terre, je suis responsable du moral de mes hommes devant le chef d'état-major des armées et le ministre de la Défense – cela figure dans le décret qui fixe mes attributions – ; dès lors, je dois disposer de leviers en matière de gestion des carrières, de mutation, de promotion, de discipline. Si tel n'était pas le cas à l'avenir, mes successeurs ne pourraient pas assumer la plénitude de leur responsabilité quant au moral de leurs hommes ! Mais je suis persuadé qu'une bonne et saine coopération entre le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense et les chefs d'état-major des trois armées, qui sont chacun assistés d'un directeur des ressources humaines, est possible.
Les seuls points de divergence portent aujourd'hui sur la « manoeuvre ressources humaines ». Le directeur des ressources humaines du ministère de la Défense assure le suivi de la réduction des effectifs. Or les cibles de déflation sont très élevées et peuvent apparaître pour certaines excessives. C'est ce que j'ai fait remarquer à propos de la déflation des effectifs d'officiers. Pour ramener le taux d'encadrement « officiers » à 16 % à l'échelle du ministère, il est prévu de conduire une réduction drastique de leur nombre dans l'armée de terre, où ce taux n'est pourtant que de 12 %. C'est difficilement compréhensible pour mes subordonnés. Nous allons très probablement revenir, dans les jours qui viennent, à une cible plus accessible, qui restera néanmoins difficile à atteindre. C'est un sujet sensible. J'ai donc eu parfois des discussions franches avec les responsables concernés, ce qui n'enlève rien à la confiance mutuelle que nous nous manifestons et au fait que nous travaillons ensemble.
C'est non pas une brigade interarmes en tant que telle, mais l'équivalent d'une brigade interarmes qui sera supprimé. J'ai adopté une approche rationnelle au regard de nos capacités. L'effort principal portera sur l'infanterie et la cavalerie. En effet, dans le cadre de la précédente LPM, mise en oeuvre par mon prédécesseur, ce sont davantage les fonctions d'appuis – artillerie, génie, train, matériel et transmissions – qui ont été touchées. Or nous avons atteint aujourd'hui un niveau « tout juste suffisant » pour ces fonctions. Il serait déraisonnable de continuer à supprimer des postes dans ces unités. Je suis donc contraint de le faire au sein des armes « de mêlée », celles que vous connaissez le mieux, car elles sont les plus visibles sur les théâtres d'opérations. Nos soldats qui rentrent d'engagements ne comprennent d'ailleurs pas que l'on puisse supprimer leur régiment. Mais il n'existe pas d'autre solution. D'où ma volonté de limiter au maximum – à quatre, je l'espère – les dissolutions de régiments.
Les actions de force n'ont pas été oubliées dans le Livre blanc, même si cela a bien failli être le cas. Nous avons d'ailleurs entendu les propositions les plus folles : réduire les effectifs de l'armée de terre à 25 % de ce qu'ils sont actuellement selon l'option A ; à 50 % selon l'option B. Finalement, j'estime que nous avons préservé l'essentiel, même s'il faudra réduire nos forces de 6 000 hommes. Mais la difficulté principale est ailleurs : comment allons-nous faire pour supprimer environ 15 000 postes dans les fonctions de soutien, alors qu'elles ont déjà été rationalisées ?
S'agissant de l'opération au Mali le niveau d'engagement de la France reste significatif, légèrement supérieur à ce qui avait été annoncé : à la fin de l'année, nous devrions encore disposer non pas de 1 000, mais plutôt de 2 000 hommes sur le terrain. Nous avons ainsi répondu à la demande du Mali et des autres pays africains, qui ne sont pas encore prêts à prendre le relais. D'autre part, nous adaptons notre dispositif militaire à l'évolution de la menace au niveau régional : nous avons mis nos forces au Tchad en vigilance ; nous renforçons notre coopération avec le Niger.
Le Watchkeeper est un programme majeur pour l'armée de terre, comme cela a été annoncé lors du dernier salon du Bourget. Il existe une vraie volonté des autorités politiques et militaires d'avancer sur ce dossier. Le 61e régiment d'artillerie – déjà équipé de drones – est actuellement en train de se former avec son équivalent britannique à l'emploi du Watchkeeper. Nous allons peut-être envoyer prochainement des officiers et des sous-officiers de ce régiment en Afghanistan, aux côtés des équipes britanniques, pour tester le comportement de l'appareil sur un théâtre d'opérations. La réalisation du programme Watchkeeper est à notre portée. C'est actuellement le seul drone tactique de cette catégorie disponible sur le marché européen et le seul à avoir reçu une certification lui permettant de voler – délivrée récemment par l'autorité britannique compétente. Il représentera un atout indispensable pour nos forces en opérations. Nous ne devons pas perdre trop de temps. Il ne faut pas reporter la livraison du Watchkeeper à 2018 ou 2019, alors que le SDTI sera très difficile à maintenir à niveau au-delà de 2017. La différenciation est un concept qui a été mis en avant au cours des travaux du Livre blanc. Bien que le terme soit relativement nouveau, l'armée de terre pratique la différenciation depuis longtemps déjà et a pu constater à quel point elle était source d'économies. Ainsi, nos brigades sont différenciées et optimisées pour certaines missions, par exemple le combat de haute intensité, l'action aéroportée ou amphibie. Mais les hommes demeurent polyvalents et d'une manière générale, toutes les unités contribuent à la protection des Français et aux opérations extérieures. La différenciation est avant tout une question d'organisation et d'adaptation aux besoins. Par exemple, si la disponibilité des équipements doit être supérieure à 90 % en opérations, on peut tolérer qu'elle ne soit que de 50 % en métropole pour certains équipements, notamment dans l'attente de leur renouvellement.
S'agissant de l'objectif de « civilianisation », l'armée de terre compte environ 9 000 civils qui lui sont très précieux. Une grande partie de son personnel administratif et de soutien a été transférée aux services interarmées avec la création des bases de défense. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il restait, à l'issue des restructurations, un sureffectif de 500 civils qui n'avaient pas pu être mutés ou qui n'avaient trouvé aucun poste. Ce sureffectif a été ramené aujourd'hui à 130 personnes. D'un autre côté, il manque des civils dans certains domaines, comme par exemple des spécialistes dans les services de maintenance terrestre, pour remplacer ceux qui partent en retraite. D'une manière générale, le recrutement de civils par le ministère de la Défense est pratiquement bloqué depuis plusieurs années. Nous n'avons pu recruter en 2013 que 117 personnes, dont 60 surveillants pour les lycées militaires et des informaticiens sous contrat ou vacataires pour travailler en urgence sur le logiciel Louvois. Nous travaillons en lien avec la direction des ressources humaines du ministère de la Défense pour « civilianiser » certains postes administratifs de l'armée de terre qui le pourraient, n'étant pas projetables.
Cependant, il faut se garder de pousser le concept de « civilianisation » à l'extrême. L'ensemble de l'armée de terre a été surprise de lire, dans un rapport, que les militaires affectés à des postes administratifs ne travaillaient que 1 000 heures par an. Vous connaissez pourtant le dévouement de nos soldats, aussi bien en métropole que sur les théâtres d'opérations extérieures. D'autre part, le message ne passe pas très bien dans les rangs lorsque l'on dit à une armée qui voit fondre ses effectifs militaires qu'il convient de consolider les effectifs civils. La mission du ministère de la Défense est avant tout d'engager des soldats sur le terrain ! D'ailleurs, en réduisant son format à 66 000 hommes projetables, l'armée de terre comptera bientôt un nombre de militaires équivalent aux effectifs civils du ministère.
Comment le format de l'armée de terre peut-il demeurer « tout juste suffisant » ? Dans le cadre du Livre blanc de 2013 et de la LPM, les contrats opérationnels ont été revus à la baisse : dans l'hypothèse d'une opération majeure de coercition, en particulier, l'armée de terre devra être capable de projeter non plus 30 000, mais 15 00 hommes avec leur environnement.