J'aimerais rappeler quelques éléments de contexte. La France compte 4 000 PME et ETI de défense qui sont des entreprises essentielles à la compétitivité du pays. En effet, la défense est l'un des rares secteurs dont la balance commerciale et positive, et ceci grâce à la conduite d'une véritable politique industrielle. Les grands groupes, qui sont des fleurons nationaux, sont portés par une innovation et une différenciation qui est essentiellement le fait de sous-traitants et d'équipementiers qui constituent ces 4 000 entreprises de la BITD, lesquelles représentent 165 000 emplois directs. Je suis chef d'une entreprise de 120 personnes qui existe depuis 1927 et consacre 13 % de son chiffre d'affaires en R&D sur fonds propres. Je travaille avec des sous-traitants qui ne font pas partie de la BITD mais qui me sont essentiels pour assurer les livraisons auprès de grands maîtres d'oeuvre tels Sagem, Thales, Cassidian, etc.
Les hasards du calendrier font que, il y a une semaine, avant d'être entendu au Sénat, un sous-traitant avec qui nous travaillons depuis 20 ans m'a annoncé son dépôt le bilan. Il s'agit d'une TPE de quatre salariés dont ma société assure 50 % du chiffre d'affaires. Cette entreprise fabrique des casques communicants pour tous les blindés de l'armée de terre. Nous fournissons ces produits depuis des décennies. Ils doivent être remplacés tous les 15 à 20 ans du fait de leurs conditions d'utilisation extrêmes. Le général avec qui nous concluions pour environ trois millions d'euros de contrat par an m'a récemment annoncé qu'à son grand regret, compte tenu de la réduction des moyens à sa disposition, le contrat ne pourrait pas être reconduit. Il préférait privilégier des blindés plus ou moins opérationnels avec des casques communicants hors d'âge plutôt que nos casques flambant neufs aux normes de sécurité qui auraient équipé de véhicules remisés au garage pour défauts techniques… Cet arrêt brutal constitue un choc pour une société comme la mienne et pour ses sous-traitants.
C'est pourquoi lorsque le ministre de la Défense a annoncé, dès juin 2012, un SBA, il a créé l'espoir. Le Comité Richelieu et nos confrères des autres associations – le Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT), le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le Groupement industriel des constructions et armements navals (GICAN), le cluster EDEN (European Defense Economic Network) – ont immédiatement réagi en se mettant à la disposition du ministre pour mettre en place cette initiative. Nous avons soumis un certain nombre d'idées à son cabinet et, en novembre 2012, lors de l'annonce des 40 mesures par M. Le Drian, nous avons eu la bonne surprise de constater que plusieurs d'entre elles avaient été retenues. Tout était a priori parfait, cette initiative allait nous aider à survivre et à préserver des emplois, de l'innovation, de la compétitivité et des perspectives d'exportation.
Nous le savons, l'industrie française est en péril depuis 10 ans. M. Gallois l'a bien rappelé. Dans ce contexte, la défense reste un secteur qui fonctionne bien et il est important de le maintenir. Il convient maintenant de mettre en application les 40 mesures annoncées par le ministre. Nous nous sommes immédiatement portés volontaires pour aider l'État dans cette tâche, sachant que 24 d'entre elles sont consacrées aux 4 000 entreprises de la BITD, les 16 restantes étant davantage tournées vers les sous-traitants divers de la défense.
Je me dois d'être franc : nous sommes un peu inquiets, car nous avons le sentiment que le temps de la mise en oeuvre administrative de ces mesures ne coïncide pas avec le temps économique relatif à la survie de nos industries de défense. Je ne mets nullement en doute la volonté du gouvernement en la matière. Je tiens à la souligner : nous ne faisons pas de politique ; nous disions la même chose en 2007 lorsque M. Morin a présenté ses propres mesures.
Par ailleurs, et c'est un autre motif d'inquiétude, peu de mesures réellement pragmatiques, qui « parlent » aux patrons de PME, sont prises. Nous avons rencontré les personnes responsables de la mise en oeuvre de ces mesures en leur assurant que nous et nos confrères étions à leur entière disposition afin de concrétiser ces actions de manière efficace et dans un temps économique raisonnable. Nous sommes en attente.
Je vais vous donner quelques exemples. Parmi les 24 mesures qui nous concernent directement, j'en ai retenu trois. La première est relative aux conventions bilatérales que doivent signer l'État et nos grands maîtres d'oeuvre de défense. Interviewé par Les Échos à ce sujet, j'ai indiqué n'avoir aucune idée de l'avancement de ces travaux, qu'il s'agisse de l'identité des signataires ou du contenu des conventions. Nous savons dorénavant que six grands maîtres d'oeuvre ont signé et nous connaissons les grandes lignes de ces conventions. Mais le diable est dans les détails et nous ignorons tout du détail.
Par ailleurs nous faisons face à un problème de back-to-back. Lorsque l'on est sous-traitant de rang 1, le minimum que l'on puisse demander est que les conventions passées avec les maîtres d'oeuvre reflètent au mieux les contrats que ceux-ci passent avec l'État, que les conditions générales d'achat de la DGA soient transposées mot pour mot vers les maîtres d'oeuvre. Or ce n'est pas le cas ! Ainsi, lorsque des acomptes à la commande sont versés au maître d'oeuvre, les sous-traitants de rang 1 n'en bénéficient pas. De la même manière, alors que l'État demande, via les accords de propriété intellectuelle, un simple droit d'usage sur les technologies qu'il finance, les maîtres d'oeuvre exigent de leurs sous-traitants une pleine propriété ! Nous demandons simplement le bénéfice des mêmes conditions commerciales, ce qui est somme toute peu de chose. Il s'agit simplement d'égalité. En tout état de cause l'État serait en droit de l'exiger et n'en violerait pas le code des marchés publics pour autant.
Le deuxième exemple concerne la labellisation. Nous sommes conscients que l'État dispose de moins de moyens pour sa défense et nous comprenons que chacun doit consentir des efforts. Les patrons de PME ne sont ni des idiots ni des mendiants qui iraient quémander auprès des pouvoirs publics sachant que ceux-ci sont incapables de leur donner davantage. Nous sommes réalistes et cela fait déjà quelque temps que nous avons adapté nos stratégies vers, d'une part, la dualité, c'est-à-dire l'ouverture vers le marché civil, et, d'autre part, l'export. Toutefois la défense est un secteur très particulier. Les premières questions qui nous sont posées à l'export sont les suivantes : avez-vous vendu vos équipements à votre armée nationale ? Quelles sont vos références ? Lorsque l'on est incapable d'y répondre, on se retrouve immédiatement écarté du marché. La labellisation devrait permettre à la DGA de délivrer aux patrons de PME un courrier officiel attestant de la qualité de l'entreprise, de ses produits et services. Nous attendons beaucoup de ces « lettres de recommandation » susceptibles d'indiquer, par exemple, que même si tel produit n'équipe pas les forces françaises, il a été testé et fait ses preuves. Or que nous propose-t-on ? On nous rappelle qu'en vertu du code des marchés publics, un appel d'offres doit être lancé qui va mettre en compétition plusieurs entreprises désireuses de faire tester leur matériel. Mais ceci va prendre un temps déraisonnable, sans répondre aux attentes des PME. L'autre alternative consisterait à rémunérer la DGA pour qu'elle opère ces tests. Cela serait également chronophage et n'aurait qu'un intérêt limité puisque nous pourrions tout aussi bien recourir à des prestataires privés. Nous ne réclamons pas de tels tests ; nous souhaitons simplement nous voir délivrer un courrier attestant que l'entreprise est connue des services de l'État compétents. Je rappelle que 653 entreprises de la BITD ont été choisies par la DGA en tant qu'entreprises stratégiques pour notre compétitivité. Il est temps que cette liste soit utilisée pour asseoir la compétitivité de la France.
Le troisième exemple a trait à l'export. L'aide de l'État en la matière peut se matérialiser par des actions simples. Nous venons d'acheter 12 drones MALE aux Américains, sans demander de compensation. Nos alliés, eux, n'hésitent pas à le faire. Je suis actuellement porté par un grand groupe de défense pour vendre mes matériels aux Pays-Bas. Ce pays pratique les offsets, théoriquement interdits en Europe depuis 1991. La France est l'un des seuls pays des 27 à se refuser aux offsets. Il est temps de le dire et de le dénoncer car il s'agit d'un problème majeur en Europe. Si nos concurrents européens le pratiquent, pourquoi pas nous ? Si cette pratique est interdite, qu'elle le soit effectivement dans toute l'Europe. Mais utilisons-la à l'extérieur pour préserver nos PME.
Si les grandes associations de PME de défense et l'État ne se mettent pas ensemble autour de la table pour mettre en oeuvre les 24 mesures BITD, cela ne fonctionnera pas. Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de nous aider à faire passer ce message auprès du gouvernement.