Intervention de Estelle Grelier

Séance en hémicycle du 29 octobre 2013 à 21h30
Loi de finances pour 2014 — Débat sur les enjeux budgétaires européens

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, mes chers collègues, au nom du groupe SRC, je veux me féliciter de l’organisation de cette séance sur les enjeux budgétaires européens. En effet, il est essentiel que notre assemblée puisse débattre de ces sujets, qui l’engagent. Le budget est l’instrument du projet, dans l’Union européenne comme dans notre pays et dans toutes nos collectivités territoriales.

Sauf à paraître totalement décalé, il est toutefois difficile d’évoquer les questions européennes sans s’inquiéter du malaise des citoyens européens, qui ne reconnaissent plus l’Europe qu’ils veulent et qu’ils aiment. Cette crise de confiance semble s’installer durablement, conjuguée à une méfiance lourde à l’égard des dirigeants européens, à qui nos concitoyens reprochent leur manque de prise sur la réalité économique et sociale et leur fixation sur le niveau des déficits publics. Ils dénoncent l’Europe des normes – celles qui libéralisent et fragilisent les entreprises et les emplois – et se désespèrent de l’absence d’initiative normative forte, en matières sociale et industrielle, qui les protégerait d’une mondialisation qui les effraie car elle est synonyme de dumping social, fiscal et environnemental.

Dans le contexte de raréfaction des fonds publics et des contraintes fortes imposées aux budgets nationaux, le budget européen devrait être un instrument de solidarité au service de la croissance et de l’emploi. Par un soutien massif aux investissements d’avenir, il devrait permettre de porter, dans une subsidiarité bien comprise, ce que les États membres ne peuvent plus financer, spécialement en matière d’infrastructures et de réseaux énergétiques et numériques. Le budget européen devrait aussi contribuer à la réalisation des missions de l’Union et, partant, apporter des réponses rapides aux problèmes d’aujourd’hui et imaginer des projets ambitieux pour l’avenir. L’Union européenne doit pouvoir s’appuyer sur une arme budgétaire forte, collective, orientée vers les secteurs porteurs de croissance et d’emplois, à court et moyen termes.

Pourtant, c’est autour de positions nationales crispées sur la question du juste retour que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’Union européenne a été élaboré. À ce jour, d’ailleurs, le Parlement européen doit encore adopter ce dernier, puisqu’il l’a repoussé à maintes reprises, eu égard notamment à sa faiblesse.

S’il est adopté en l’état, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit un plafond de dépenses de 960 milliards d’euros en engagement et de 908 milliards d’euros en paiement. La Commission, qui connaît le budget dont elle a besoin pour mettre en oeuvre ces politiques, avait prévu 1 060 milliards d’euros, eu égard au renforcement des compétences de l’Union qui est prévu par le traité de Lisbonne, ainsi qu’au nombre plus important d’États membres par rapport au précédent cadre.

Les montants prévus par le cadre financier pluriannuel 2014-2020 constituent un recul de 3,4 % en engagement et de 3,6 % en paiement, en euros constants, par rapport au précédent cadre. Depuis la mise en place du dispositif de programmation pluriannuelle des finances européennes en 1984, c’est la première fois que les montants décidés sont inférieurs à ceux du cadre précédent. Ces montants sont éloignés de la position que l’Assemblée nationale a adoptée dans le cadre d’un rapport de la commission des affaires européennes.

Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 montre ses limites : dans la faiblesse des crédits accordés à la relance tant souhaitée et dans son mode de financement. Si la priorité est donnée au soutien à la croissance, notamment au programme de recherche et de développement « Horizon 2020 » et aux projets d’infrastructures, c’est au détriment des politiques agricole et de cohésion. La rubrique « Compétitivité pour la croissance et l’emploi » ne représente que 13 % du montant total du cadre ; certes, elle bénéficie d’une hausse de 37 %, mais la Commission avait proposé une augmentation de 81 %. La rubrique « Cohésion économique, sociale et territoriale » subit une diminution de 8,5 % alors même qu’elle inclut le Fonds européen d’aide aux plus démunis, la catégorie des régions en transition et l’initiative pour l’emploi des jeunes. La rubrique « Croissance durable », qui inclut notamment la PAC, continue de représenter 38 % du total des dépenses de l’Union européenne : elle reste stable.

Face à cette cure d’amaigrissement, le Président français a, au cours des débats au Conseil, sauvé un certain nombre de symboles de la solidarité collective pourtant menacés. Faute d’un axe franco-allemand suffisamment puissant sur cette question, la position britannique s’est fait entendre plus fortement encore. Quatre programmes ont toutefois été préservés grâce au Président de la République. Le programme européen d’aide alimentaire, menacé d’extinction après le recours de l’Allemagne devant les juridictions européennes, a finalement fait l’objet d’un compromis : il sera doté de 2,5 milliards d’euros pour l’ensemble du CFP, avec une possibilité pour les États membres d’abonder directement le dispositif. Son périmètre d’action sera élargi : il ne concerne plus simplement l’aide alimentaire. On s’en remet désormais aux États : c’est le petit bémol de cette victoire. L’initiative pour l’emploi des jeunes, souvent évoquée, créée à l’initiative de la France et dotée de 6 milliards d’euros, bénéficiera aux huit régions françaises dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %. Le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 préserve également l’aide aux régions en transition, régions au niveau de vie intermédiaire dont le PIB est compris entre 75 % et 90 % de la moyenne européenne ; dix régions françaises sont concernées. Enfin, le maintien du Fonds d’ajustement à la mondialisation est aussi une victoire de l’implication française.

Au regard de la foire d’empoigne dont ont fait l’objet les idéaux collectifs, il ne restait qu’à s’assurer que, si le budget adopté était mauvais pour l’Europe, il demeurait correct pour la France en termes de taux de retour. C’est, convenons-en, voir les choses par le petit bout de la lorgnette !

La contribution des États membres au budget européen constitue 72 % des recettes globales de l’Union européenne. La France est le deuxième contributeur net à ce budget en valeur absolue. Pour 2014, la contribution de la France s’élève à 22,2 milliards d’euros, soit 16,4 % du total du budget européen et presque 8 % des recettes fiscales nettes françaises. Sur ces 22 milliards, le prélèvement sur recettes s’élève à 20,1 milliards d’euros. Il faut noter, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, que cette participation financière ne fait plus l’objet, depuis deux ans, d’un débat spécifique dans le cadre du PLF puisque nous l’avons votée mardi dernier dans le cadre de l’article 41. En termes d’implication démocratique des Parlements nationaux, nous gagnerions pourtant à organiser un débat spécifique.

Le solde net de la France – la différence entre ce que nous donnons et ce que nous récupérons – s’établit à -6,4 milliards d’euros en 2011. Il est en forte baisse : nous nous positionnons derrière l’Allemagne, mais devant l’Italie et, depuis 2011, le Royaume-Uni.

Je rappelle que 11 % des dépenses du budget européen sont faites sur le sol français. La France est le troisième bénéficiaire en volume des dépenses européennes. Les dépenses agricoles représentent 72 % du total des dépenses réparties sur notre territoire. Les politiques de compétitivité font l’objet de dépenses à hauteur de 1,3 milliards d’euros. Quant aux politiques de cohésion, elles représentent 1,8 milliards d’euros. Nous ne devons toutefois pas nous satisfaire d’un juste retour qui s’amenuise et qui occulte totalement, monsieur le ministre, la plus-value de l’existence de l’Union européenne. Le projet européen doit être collectif, ou alors il n’a pas lieu d’être !

Dès lors, quelles sont les conditions d’un budget plus offensif ? Nous avons besoin d’un budget apuré de ses boulets financiers – j’en conviens, monsieur le ministre, c’est ma marotte –, pour revenir à un dispositif innovant et en phase avec les enjeux actuels.

Le montant des restes à liquider fin 2013 est estimé à 207 milliards d’euros : c’est le différentiel entre les engagements que l’Union européenne a pris et les paiements qui doivent encore être honorés. Cette prise en charge pèsera à hauteur de 52 % des crédits de paiement en 2014 et constituera une part non négligeable des dépenses en 2015 et 2016. Nous avons besoin de retrouver un budget sincère, où les paiements collent aux engagements. Monsieur le ministre, la question que je vous pose est simple et claire : le cadre financier pluriannuel sera-t-il flingué par les 207 milliards d’euros, ou allons-nous l’augmenter d’autant et solder ce que nous devons sur le précédent cadre financier ?

Ma deuxième question concerne les rabais. Ce point a été évoqué lors de la réunion du Conseil des 7 et 8 février 2013 : la France et l’Italie ont demandé à revoir le système de rabais à la baisse, car il n’a plus lieu d’être – il est d’ailleurs basé sur des données historiques qui n’existent plus. Le système reste pourtant globalement inchangé à l’issue de cette réunion : peu de modifications ont été apportées à la formule de calcul du rabais britannique, les rabais sur les rabais ont été maintenus, les versements forfaitaires aux Pays-Bas et à la Suède ont été maintenus également. Pire : le Danemark a obtenu pour la première fois le rabais qu’il demandait. Je veux toutefois souligner quelques avancées : l’amorce d’une réforme avec l’augmentation du taux d’appel réduit de TVA pour les Pays-Bas et la Suède, la fin du taux d’appel réduit pour l’Autriche, une petite diminution de l’assiette du chèque britannique, et une baisse des frais de perception des ressources propres traditionnelles, ce qui entraîne une économie de 120 millions d’euros pour le budget de la France.

Je ne reviens pas sur la révision du mode de financement : c’est la question des ressources propres pour sortir de l’impasse des discussions entre contributeurs et bénéficiaires nets. La mise en oeuvre d’une taxation sur les flux financiers est actuellement débattue. En Allemagne, on considère que cette taxation ne constituerait pas une ressource propre du budget européen. J’aimerais vous entendre sur ce point, monsieur le ministre.

D’autres instruments financiers innovants doivent être mis en place. Cette question a été évoquée par les précédents orateurs, s’agissant notamment des project bonds.

Pour conclure, il faut que toutes ces procédures soient en phase avec le temps démocratique si nous voulons que chacun s’y intéresse à hauteur de ce qu’elles méritent. Je pense notamment à la procédure de semestre européen, qui ne colle pas au calendrier de l’exercice national annuel de la loi de finances. En outre, sur les questions budgétaires, les Parlements nationaux sont mis sur la touche puisque les procédures interparlementaires sont plutôt en berne, alors même que l’emprise politique est extrêmement nécessaire. Enfin, le cadre financier pluriannuel ne colle pas aux échéances électorales européennes. Les nouveaux députés européens, élus à l’issue du scrutin du 25 mai 2014, n’auront pas la possibilité de réviser le cadre ; ils le réviseront à la marge mais ne pourront pas voter le budget. Il s’agirait pourtant d’une avancée démocratique importante.

Le véritable enjeu consiste à doter l’Union d’un cadre financier qui lui permette de relever les défis auxquels elle est confrontée, en particulier celui de la croissance, et de porter un projet mobilisateur aux effets palpables et bénéfiques pour les citoyens plutôt que de concentrer l’attention sur le juste retour. Aujourd’hui, les discussions budgétaires sont symptomatiques de l’état de l’Union : sans ambition commune, sans dynamique collective et sans solidarité – bref, sans conviction. Souhaitons que les prochaines échéances européennes permettent de redonner du souffle à un budget, et donc à un projet européen qui en manque tant, monsieur le ministre !

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