Intervention de François Fondard

Réunion du 24 octobre 2013 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales, UNAF :

Je vous remercie, monsieur le président et monsieur le rapporteur, d'avoir invité l'UNAF à se prononcer sur le financement de la branche famille et ses évolutions possibles. Je commencerai par évoquer l'évolution de ses recettes et de son financement, puis je répondrai à vos questions.

La branche famille est financée par trois types de ressources. La première provient des cotisations sociales patronales, qui représentent actuellement 65 % des recettes de la branche, soit 33 milliards d'euros dont 23 milliards issus des entreprises du secteur privé, et 10 milliards du secteur public et de régimes particuliers. Quant au taux de cotisation consacré à la branche famille, il n'a cessé de diminuer au fil des décennies, souvent au profit des autres branches. Et ce mouvement se poursuivra en 2014 puisque le taux actuel de 5,4 % sera diminué de 0,15 point afin de compenser une augmentation du même ordre de la cotisation patronale vieillesse. En outre, compte tenu de la politique d'allégement des coûts sur les bas salaires, ces 5,4 points de cotisation ne correspondent plus désormais qu'à un taux nominal : ainsi la cotisation patronale sur les salaires inférieurs à 1,65 SMIC s'étale-t-elle de 1,3 % pour 1,1 SMIC à 4,8 % pour 1,5 SMIC dans les entreprises de moins de vingt salariés et, pour les mêmes niveaux de SMIC, respectivement entre 1,6 % et 4,8 % dans les entreprises de plus de vingt salariés. Ainsi, pour les salaires situés entre 1 SMIC et 1,6 SMIC, le taux de cotisation moyen effectif s'élève à 2,6 %. Et ce mouvement pourrait se poursuivre avec l'instauration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui vise à un allégement du coût du travail pour la masse salariale correspondant aux salaires de moins de 2,5 SMIC.

La deuxième source de recettes est issue d'une partie du produit de la CSG, dont la branche famille a bénéficié dès son instauration en 1991. Le taux de CSG affecté à la branche famille est resté stable jusqu'en 2010 : il était jusqu'alors de 1,08 % pour la CSG assise sur les revenus d'activité salariée et de 1,1 % pour la CSG assise sur les revenus du capital. Puis, en 2011, 0,28 point de la part de CSG affectée à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a été transféré à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). De ce fait, la CSG ne représente plus qu'environ 18 % des produits de la branche famille, soit 9,7 milliards d'euros en 2012, alors qu'elle en constituait 24 % en 2010. Cela étant, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 prévoit une augmentation de la part de CSG revenant à la CNAF, portant son taux à 0,87 %, quelle que soit l'assiette, hormis celle des jeux. L'adoption de cette mesure apporterait à la branche famille une recette supplémentaire de 791 millions d'euros.

Enfin, troisième et dernière source de financement, les impôts et taxes affectées ont vu leur part progresser fortement parmi les ressources de la branche famille, notamment en raison de la compensation des allégements de cotisations sur les bas salaires. Ainsi la fiscalité représente-t-elle désormais 15 % des ressources de la branche, soit environ 8 milliards d'euros. Et entre 2006 et 2011, jusqu'à seize impôts et taxes ont vu une part de leur produit affecté à un moment donné à la branche famille. Ce paquet fiscal est en constante évolution – comme l'illustre une nouvelle fois le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui, outre la CSG, prévoit le transfert de recettes supplémentaires issues d'une demi-douzaine de taxes et contributions diverses pour un montant de 1,6 milliard d'euros.

Je vais à présent tenter d'apporter des réponses à vos interrogations.

S'agissant de la pertinence du financement de la branche famille par les cotisations patronales, les arguments avancés par les représentants des entreprises en faveur de la suppression totale de la cotisation patronale de 5,4 % versée à la branche famille sont principalement de deux ordres : ils citent, d'une part, le handicap de compétitivité-prix qu'induit cette cotisation pour les entreprises et, d'autre part, la disparition depuis 1978 de toute condition d'activité professionnelle pour pouvoir bénéficier des prestations familiales – la substitution d'une logique de solidarité nationale à celle de la solidarité professionnelle justifiant selon les représentants patronaux un financement de la branche par l'impôt. Si ces arguments sont recevables, l'UNAF considère cependant que le financement de la branche famille par des cotisations patronales pourrait trouver sa légitimité dans le fait qu'elles représentent la participation des employeurs à l'effort fourni par les salariés pour concilier vie familiale et vie professionnelle. En cela, il ne s'agit pas de charges sociales mais bien de la contribution des entreprises à une politique publique dont elles sont très directement bénéficiaires. Il s'agirait ainsi de refonder la légitimité de ces cotisations, qui ne repose plus sur sa logique historique.

La Cour des comptes relève d'ailleurs dans son rapport de mai 2013 à la MECSS sur le financement de la branche famille que « ces actions ont un impact positif sur le taux d'activité et contribuent ainsi au dynamisme global du marché du travail et à l'augmentation de la croissance potentielle. Les entreprises bénéficient directement au premier chef de la politique ainsi conduite en termes de meilleure productivité individuelle de leurs salariés ayant la charge d'enfants ».

Dans le même rapport, la Cour des comptes présente un tableau actualisé de données fournies dans le projet de rapport de M. Yves Bur, récapitulant l'ensemble des prestations familiales tendant à favoriser la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. S'appuyant pour ce faire sur une hypothèse haute et sur une hypothèse basse qui ne prend en considération que les prestations destinées aux seuls actifs, la Cour souligne que « Les dépenses concernées sont très loin d'être négligeables. Elles se situent pour 2011 dans une fourchette d'un peu plus de 10 à près de 15 milliards d'euros, à comparer à un total de prestations légales et d'action sociale servies par la branche la même année de 38,7 milliards d'euros, soit entre 25 et 38 % de ce total ou encore entre 19 et 29 % de l'ensemble des charges techniques de la branche (52,8 milliards d'euros) ». La Cour ajoute qu'« en termes de financement, ces montants représentent de l'ordre de 1,4 à 1,8 point de cotisation patronale famille. Ces actions ont donc un impact positif sur le taux d'activité et contribuent ainsi au dynamisme global du marché du travail et à l'augmentation de la croissance potentielle. Les entreprises bénéficient directement au premier chef de la politique ainsi conduite en termes de meilleure productivité individuelle de leurs salariés ayant la charge d'enfants ». L'UNAF ajoute qu'en termes de gouvernance, c'est précisément ce lien avec l'activité professionnelle qui justifie l'actuelle organisation institutionnelle des caisses d'allocations familiales, caractérisée par la présence de représentants des employeurs et de salariés dans les conseils d'administration.

Vous nous interrogez également sur la pertinence du financement de la branche famille par des taxes affectées. Historiquement, l'UNAF a toujours plaidé en faveur d'un financement par des cotisations sociales, s'appuyant en cela sur un raisonnement plus concret et pragmatique que théorique : le financement par cotisation est simple, lisible et facilement compréhensible ; il s'agit d'un financement affecté qui ne risque pas d'être remis en cause chaque année au gré des lois de finances et de financement de la sécurité sociale ; les cotisations sont perçues par la branche recouvrement de la sécurité sociale ; enfin, ce mode de financement ne fait pas intervenir le budget de l'État.

Plus récemment, avec la généralisation des aides familiales et l'apparition de prestations familiales sous conditions de ressources à objet redistributif, l'UNAF a admis le principe d'un financement par la solidarité nationale – c'est-à-dire par l'impôt – de certaines prestations de sécurité sociale non contributives ou dites de solidarité. Elle a notamment jugé acceptable le basculement de la part salariale des cotisations sociales vers la CSG – contribution qui présente l'avantage de reposer sur une assiette plus large que les cotisations sociales, englobant les revenus de remplacement et ceux du capital. Le produit de la CSG, comme celui des cotisations, est affecté à la sécurité sociale selon des clés de répartition par branche et cette contribution est prélevée par les Urssaf. Elle est en revanche moins lisible que les cotisations du fait de l'application de taux réduits et de taux différant selon les assiettes concernées.

Le recours à la CSG est cohérent avec la généralisation progressive de la branche famille, mais aussi de l'assurance maladie qui bénéficie de 70 % des recettes tirées de la CSG. La difficulté réside cependant dans le fait que cette contribution finance plusieurs postes de dépenses concurrents : non seulement ces deux branches de la sécurité sociale mais aussi le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et la CADES.

Quant à la TVA, peut-elle contribuer au financement de la branche famille, sachant qu'en 2013, 8,7 milliards d'euros de TVA nette seront rétrocédés à la branche maladie de la sécurité sociale en remplacement des TVA « sectorielles » qui pesaient auparavant sur les produits pharmaceutiques et les fournisseurs de tabac ? L'UNAF juge inacceptable de compenser une éventuelle baisse des cotisations patronales par une augmentation de la TVA : car non seulement cela aurait un effet récessif sur la consommation des ménages mais en outre, cela ne ferait qu'amplifier le mouvement de fiscalisation des ressources de la branche famille. Qui plus est, la TVA n'est pas familialisée.

Plus fondamentalement, tout renforcement de la fiscalisation des ressources de la branche famille porte en lui un risque de budgétisation d'une part importante de ses recettes – évolution à laquelle l'UNAF est opposée. Il est certes possible d'y affecter certaines recettes fiscales, à l'image des taxes « comportementales » dont le produit est reversé à l'assurance maladie. Mais il convient d'assurer un minimum de cohérence entre cette fiscalité affectée et les différentes finalités de la branche famille.

En ce qui concerne les scénarios de réforme, l'UNAF juge envisageable le transfert partiel des cotisations sociales sur d'autres ressources, à condition que ces dernières soient suffisamment dynamiques pour garantir la pérennité du financement de la branche famille. Cela supposerait que leur indexation soit elle-même dynamique, ce qu'il est difficile de garantir dans la mesure où elle est soumise aux aléas des besoins de financement de l'État. Comme nous l'avons déjà souligné, nous sommes très réticents au financement de la branche famille par la TVA, impôt qui pèse lourdement sur les familles et qui conserve un caractère anti-redistributif. Il nous paraîtrait donc plus acceptable d'augmenter une nouvelle fois la part de la CSG dans le financement de la branche famille, même s'il est regrettable que ce prélèvement ne tienne pas compte des charges familiales.

Quant à savoir si la fiscalisation des recettes de la branche famille est une évolution nécessaire, il est indispensable mais non moins préoccupant que le budget de l'État finance la compensation de toute nouvelle exonération de charges car cela suppose une réduction des interventions de l'État dans d'autres domaines – ce qui peut s'avérer tout aussi préjudiciable aux familles. Qui plus est, on peut douter que la compensation des exonérations de cotisations ayant été instaurées depuis 1993 ait véritablement été intégrale.

Plus encore, la démultiplication des impôts et taxes affectés au financement de la branche famille est telle que celui-ci est devenu illisible et fragile : illisible tout d'abord, comme en témoigne par exemple l'article 15 du PLFSS qui prévoit l'affectation à la branche famille de la taxe perçue sur les appels des jeux télévisés ou en ligne – recette amenée à se tarir dans la mesure où l'État mène par ailleurs une politique de prévention de l'addiction aux jeux en ligne. On peut par ailleurs s'interroger quant à la pertinence de l'affectation d'une telle taxe à la branche famille. Illisible, ce financement est également fragile, car la branche famille se retrouve à la merci des tours de passe-passe opérés chaque année en lois de finances et de financement de la sécurité sociale – tels que le retrait de certaines ressources et la compensation de la perte qui en résulte par un panier de taxes, à l'affectation desquelles ne semblent présider aucune logique ni aucune vision à moyen terme.

En l'état actuel du financement de la branche famille, l'attribution de recettes fiscales complémentaires ne permet plus de compenser la progression dynamique de certaines prestations, dont celles liées à la petite enfance qui correspondent à une dépense de l'ordre de 12 milliards d'euros – somme comparable à celle que représentent les allocations familiales. De plus, la branche famille a fait l'objet de transferts importants au bénéfice du FSV et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). De sorte que si, entre 1978 – année de la généralisation des prestations familiales à l'ensemble de la population – et 1992, la branche famille n'a été déficitaire qu'à deux reprises, elle l'a en revanche été une douzaine de fois depuis cette date. Enfin, la pérennité de la crise économique a révélé l'une des faiblesses de notre système de financement de la branche famille – comme des autres branches de la sécurité sociale – qui repose sur les cotisations patronales et sur la CSG, c'est-à-dire sur une assiette salariale. De ce fait, l'essentiel des recettes de la branche famille dépend très largement de la conjoncture économique.

Si l'on explique généralement le succès de la politique familiale par sa permanence et sa continuité, la fragilité du financement du système des prestations familiales fait peser une lourde hypothèque sur la poursuite de la performance de cette politique. Il est donc indispensable d'allouer des recettes complémentaires à la branche famille même si, en période de crise, l'UNAF fait preuve d'une attitude responsable, consentant aux efforts nécessaires au rétablissement de la branche. La politique familiale ayant fait la preuve de son efficacité, elle ne doit pas être remise en cause par une action qui s'appuierait uniquement sur un ajustement des dépenses.

Enfin, vous nous interrogez quant à l'éventualité d'une budgétisation de certaines dépenses de la branche famille relevant de la solidarité : si une telle solution est simple à appliquer sur les plans juridique, technique et financier, elle ferait cependant sortir la politique familiale du champ de la sécurité sociale, ce qui constituerait une remise en cause très significative du modèle institué en 1945. Une telle évolution ne paraît pas souhaitable à l'UNAF – pas même une sélection de certaines dépenses de la branche relevant de la solidarité, qui conduirait à revenir à une prise en charge des majorations de pension pour enfants à charge par le FSV et à s'interroger sur la nature exacte de certaines prestations familiales.

En conclusion, je rappellerai que le déficit de la branche famille est artificiel et que cette dernière ne serait pas dans une telle situation s'il ne lui avait pas fallu supporter le poids des majorations de pension.

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