Intervention de François Brottes

Réunion du 29 octobre 2013 à 17h10
Commission élargie : outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Brottes, président :

La commission des affaires économiques, pour sa part, est habituée à des échanges d'une grande fluidité avec le ministère des Outre-mer.

Ce n'est pas parce que la présente mission ne représente qu'une faible part des efforts de l'État en direction des outre-mer que le rapport pour avis de M. Letchimy s'est borné à l'analyse des questions énergétiques : il me semble de bonne méthode que les commissions pour avis se focalisent sur des thèmes précis, afin de ne pas réciter l'analyse du budget, qui incombe à la commission des finances.

Par ailleurs, j'organiserai au mois de novembre, selon un engagement pris en séance, une audition de l'Autorité de la concurrence sur la loi relative à la régulation économique outre-mer, qui commence à porter ses fruits. Une date sera donc bientôt communiquée aux membres de la commission.

M. Patrick Ollier, rapporteur spécial de la commission des finances. Les collectivités ultramarines cumulent les handicaps structurels : éloignement, insularité, climat difficile et étroitesse du marché domestique. Ces handicaps, pour l'essentiel géographiques, nécessitent la mise en place de dispositifs spécifiques. La politique d'aménagement du territoire justifie donc des traitements différents lorsque la situation objective le commande. Les zones de revitalisation rurale en métropole, à la création desquelles je fus à l'origine, participent de cet esprit, au nom duquel je défends aujourd'hui les systèmes dits de « défiscalisation ».

De fait, les incitations fiscales permettent l'investissement et créent de la richesse, donc de l'emploi ; aussi, je m'élève contre leur assimilation aux « niches fiscales ». Je puis comprendre que les « orthodoxes » de la loi fiscale combattent de tels dispositifs, qu'ils considèrent comme des outils d'évaporation : leur fonction est de faire rentrer l'impôt. Reste que l'incitation fiscale est nécessaire pour drainer l'épargne privée vers les Outre-mer et y créer de la richesse et de l'emploi, dans un contexte d'argent public rare, où l'État n'a plus les moyens d'abonder les budgets au niveau nécessaire.

Ces incitations fiscales se chiffrent globalement, pour 2014, à un peu plus de 3,9 milliards d'euros. Ce montant peut paraître important, mais il correspond, pour près d'un tiers – soit 1,2 milliard d'euros –, aux taux de TVA à 8,5 % – pour le taux normal – et à 2,1 % – pour le taux réduit.

Je me réjouis, en tout état de cause, que le Gouvernement ait accepté mes propositions, qui pour l'essentiel proviennent du rapport que j'ai cosigné avec M. Fruteau. Je voterai donc les crédits de cette mission, car ils s'inscrivent dans la continuité de la politique que nous avions menée, sous l'autorité du Président Sarkozy et du Premier ministre, François Fillon.

Ma première série de questions concerne précisément les dispositifs d'incitations fiscales et le fonctionnement des futurs crédits d'impôt : en ce domaine, je souhaite que le Gouvernement prenne des engagements. Je me suis rendu en septembre dernier en Martinique et en Guadeloupe, et y ai rencontré des acteurs de la vie économique locale. Il m'a été fait état – et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres – d'une entreprise qui attendait un agrément depuis plus de deux ans. Or il se trouve que l'administration centrale invoque souvent le système des agréments pour critiquer les défiscalisations. Comment peut-on confier à une administration distante de 7 000 kilomètres le soin de juger du bien-fondé d'un investissement, de le retarder pour un temps indéterminé alors que, pendant ce temps, les circonstances économiques ayant changé, l'investissement n'est plus forcément opportun ? Quelles pistes envisagez-vous, monsieur le ministre, pour mettre fin à cet exemple unique d'économie administrée ?

Si rien n'évolue, les PME et les TPE se décourageront d'utiliser les dispositifs de défiscalisation, d'autant qu'elles seront fortement incitées à opter pour le crédit d'impôt, pourtant moins favorable du fait des intérêts liés au préfinancement. Cette « amicale pression » prépare, j'en ai peur, la disparition pure et simple de la défiscalisation dans les années à venir. Aussi ai-je défendu un amendement à l'article 13 du PLF, tendant à réserver le crédit d'impôt aux seules entreprises déclarant un chiffre d'affaires supérieur à 20 millions d'euros, c'est-à-dire aux entreprises dont le volume financier permet de faire face à cette mesure. Cet amendement a malheureusement été rejeté en première lecture. Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que la disparition de la défiscalisation n'est pas un des buts du Gouvernement ? Certains signes ne laissent pas de m'inquiéter ; or la stabilité fiscale est une nécessité, notamment pour l'investissement, en outre-mer comme en métropole.

J'ai également constaté, au cours de mon déplacement, que l'administration sur place ne procédait, faute de moyens ou de directives, ni aux contrôles nécessaires, ni aux vérifications permettant de rendre le système totalement vertueux ; de fait, on ne peut nier certains excès ou contournements ; mais il est à craindre que ces critiques ne conduisent à « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Votre ministère, en lien avec le ministère de l'économie et des finances, envisage-t-il des évolutions réglementaires afin de renforcer l'encadrement et les contrôles a posteriori ? Sans ces contrôles, le cas échéant assortis de sanctions, certains seront tentés de supprimer le système, qui fait l'objet des recommandations 6 et 8 du rapport que j'ai cosigné avec M. Fruteau.

S'agissant du service militaire adapté (SMA) en Guadeloupe et en Martinique, dont j'ai pu visiter les établissements, le Président Sarkozy avait annoncé un doublement – de 3 000 à 6 000 – du nombre de bénéficiaires en 2012. Cet objectif a été repoussé à 2014, puis à 2016. Le SMA et l'apprentissage au bénéfice des jeunes ultramarins sont-ils toujours une priorité pour le Gouvernement ?

Enfin, l'article 70 du PLF vise à plafonner les exonérations de cotisations sociales sur les plus bas salaires. Je défendrai un amendement de suppression de cet article : j'espère qu'il recueillera l'assentiment.

M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Outre-mer ». Malgré des signes de reprise, et même si la loi Lurel relative à la régulation économique a permis de contenir l'augmentation des prix, la situation économique des Outre-mer reste morose. Les collectivités ultramarines, notamment dans les Caraïbes, sont dans une dynamique d'intégration régionale qui les conduit à siéger dans des organismes internationaux tels que l'OECS – Organisation des États de la Caraïbe de l'Est –, CARICOM – Caribbean Community and Common Market –, l'AEC – Association des États de la Caraïbe – ou la CEPALC – Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Nos atouts, considérables, doivent assurément être valorisés à travers des politiques de filières.

Le budget de la mission est en augmentation : il faut s'en féliciter, au vu du contexte budgétaire difficile, même si certains aspects méritent quelques observations. En tout état de cause, les outre-mer, loin de profiter des arbitrages budgétaires, participent eux aussi à l'effort de redressement des finances publiques. Enfin, la défiscalisation a été sauvegardée dans ses principes, et la ligne budgétaire unique (LBU) sanctuarisée, notamment sur le logement.

Notre monde connaît différentes mutations, écologiques, climatiques et énergétiques. Dans ce contexte, la transition énergétique nous donne l'opportunité de développer des filières économiques. Nous avons des atouts dans bien des domaines, qu'il s'agisse de l'énergie thermique en mer, de l'éolien ou de la géothermie, pour laquelle des projets sont en cours, en association avec d'autres régions, en Caraïbe et ailleurs. Une nouvelle vision du développement économique est donc possible, même si, j'en suis d'accord avec M. Ollier, la stabilité fiscale et financière est nécessaire à l'innovation. Le dépassement du seuil de 30 % de la puissance appelée par les énergies intermittentes sur le réseau classique peut engendrer des « bugs » ; mais le stockage peut précisément être à l'origine d'innovations, en particulier sur les smart grids, afin de permettre un accès différencié, démocratique et social. De ce point de vue, les outre-mer sont à même de participer à ce que Jeremy Rifkin appelle la « Troisième révolution industrielle », à laquelle il serait intéressant d'associer des politiques d'habilitation. L'habilitation obtenue par la Martinique et la Guadeloupe relativement à l'énergie permet ainsi de faire le lien entre la réglementation, la législation, le financement et les projets. Nous avons également obtenu, dans le même esprit, une habilitation relative aux transports.

La défiscalisation est un outil essentiel. La stigmatisation dont elle fait l'objet nous a conduits à mener une réflexion, mais, avec l'appui de M. Ollier et de présidents de commission, la majorité a obtenu le maintien de ce dispositif. Pour ce qui est du financement des logements sociaux, le seuil, fixé à 5 % sur proposition du rapporteur général Christian Eckert, me paraît néanmoins trop élevé ; aussi conviendrait-il de le ramener à 3 %. Quoi qu'il en soit, une analyse d'impact me semble à tout le moins nécessaire.

La loi dite « Grenelle I » a fixé, pour les outre-mer, un objectif de 50 % d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique. Certaines régions ont les moyens d'atteindre cet objectif très ambitieux, et les outre-mer peuvent, sur ce sujet, devenir des espaces de recherche. On comprend mal, néanmoins, le retrait d'EDF du projet de centrale géothermique à la Dominique. Au moment où les collectivités ultramarines prennent des initiatives fortes pour assurer leur insertion dans les espaces régionaux, comment éviter qu'une telle mésaventure, qui constitue un camouflet pour le Gouvernement et les collectivités, ne se reproduise ? La décision unilatérale d'EDF, après les engagements pris par le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de collectivité, pose un vrai problème de gouvernance.

Gardons-nous, enfin, de calquer les projets des outre-mer sur ceux de l'Hexagone. Comment, de ce point de vue, s'assurer de la pleine intégration des outre-mer dans les futures lois sur la transition énergétique ? Les dispositions relatives aux outre-mer méritent un chapitre entier, et non deux ou trois articles, voire un seul comme dans le projet de loi d'orientation agricole. Un tel chapitre pourrait notamment assurer le lien avec le projet de loi relatif à la compétitivité et à l'emploi, afin de faire émerger une filière, au bénéfice de l'activité et de l'emploi dans nos territoires.

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