Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 30 octobre 2013 à 21h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Présentation commune

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, c’est la troisième fois que nous discutons de ce texte. Vous êtes donc en situation de statuer définitivement sur ce projet de loi de lutte contre la corruption et la grande délinquance économique et financière et sur le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier.

Ces textes contiennent des dispositions aggravant la sévérité des peines encourues par la grande délinquance économique et financière et par la corruption. Ils améliorent surtout l’effectivité de l’exécution de ces peines. Ils enregistrent des progrès, aussi bien sur le plan national qu’international. Ils émanent d’une volonté clairement exprimée par le Président de la République et de sa résolution très forte à lutter contre la corruption et la grande délinquance économique et financière.

En effet, ces délits et ces crimes fragilisent le pacte social et ont des effets ravageurs sur le pacte républicain. Il est temps de disposer d’un arsenal répressif garantissant la sévérité et l’effectivité des peines. Cet arsenal doit être à la hauteur de l’astuce qui nourrit constamment ce type de délits et de crimes, et qui en est devenue l’aspect courant.

Ces textes se trouvent aujourd’hui en troisième lecture devant votre assemblée. Ils ont donc connu une navette parlementaire que ne connaissent pas beaucoup de textes de loi. Ils se sont enrichis tout au long des discussions, grâce aux auditions, grâce au travail très attentionné de vos deux rapporteurs et grâce aux discussions en séance publique.

Les divergences entre les deux chambres sont apparues assez tôt. Certaines d’entre elles se sont durcies. Une commission mixte paritaire a eu lieu en juillet, qui n’a pas pu aboutir. Vous avez donc revu ces textes en deuxième lecture début septembre et vous avez tenu compte à cette occasion de plusieurs observations émise par le Sénat.

Aujourd’hui, vous avez rétabli une rédaction qui tient compte d’un certain nombre de propositions pertinentes adoptées au Sénat, mais qui revient en substance quand même au texte tel que vous l’aviez conçu dès la première lecture.

Le Sénat, lui, a confirmé en deuxième lecture au début de ce mois d’octobre ses divergences avec l’Assemblée nationale. D’ailleurs, des divergences ont pu également être constatées en son sein même, entre la séance plénière et la commission des lois, cette dernière ayant des positions plus proches de l’Assemblée sur certains points.

Parmi les divergences affirmées par le Sénat, figure son refus de la possibilité que vous ouvrez aux associations de se constituer partie civile. Le Sénat a donc supprimé l’article premier, qui reconnaissait ce droit aux associations dont l’objet social consiste à lutter contre la corruption.

La jurisprudence de la Cour de cassation a pourtant évolué récemment, il y a quelques mois : elle reconnaît désormais à des associations dont l’objet vise à lutter contre la corruption la possibilité de se constituer partie civile. Ce droit est d’ailleurs conforme à des préconisations fortes énoncées par l’OCDE, et le Gouvernement avait pris l’engagement de permettre à ces associations d’agir contre la corruption.

Une inquiétude a été formulée, au Sénat notamment, quant au risque d’instrumentalisation de l’action publique à des fins privées. Ce risque est vraiment réduit. En tout cas, il peut être contenu. En effet, des garanties sont apportées, aussi bien en matière d’objet social que d’ancienneté de ces associations. Surtout, elles auront l’obligation de disposer d’un agrément préalable.

Il faut bien noter que reconnaître à ces associations le droit de se constituer partie civile est en cohérence avec l’objectif de lutte active contre la corruption économique et financière. Cette lutte peut précisément être menée grâce à la vigilance de ces associations représentant la société civile, car c’est elle qui est pénalisée par ces actes de corruption, de fraude, et de délinquance économique et financière.

Cette disposition est en cohérence avec les dispositions que vous avez choisi de retenir sur les lanceurs d’alertes et sur l’amélioration du statut des repentis. Il y a là un dispositif en forme de trépied permettant, en plus de l’action publique pouvant toujours être initiée par le ministère public, à la société civile d’aider la justice à identifier les réseaux et à repérer et à démanteler les circuits. Nous savons en effet que ces pratiques délictueuses et criminelles sont très sophistiquées.

Cette aide pourra par exemple être apportée par les associations, les fonctionnaires, les personnes qui, dans le cadre de leur activité professionnelle, ont connaissance de ces actes délictueux ou criminels, ou par ces repentis qui choisissent de sortir de ce parcours de délinquance et de criminalité.

Il y a donc une logique qu’il est souhaitable de maintenir. C’est ce que votre commission a choisi de faire avant cette discussion en séance plénière.

Le Sénat a également modifié l’article 2 bis relatif à l’assouplissement de la preuve du délit et choisi de remplacer ces dispositions par une aggravation de la peine encourue. Le rapporteur du Sénat a pris acte des améliorations rédactionnelles que vous aviez introduites sur cette disposition, mais il a considéré que demeurait un risque de non-conformité à la Constitution, au regard de la présomption d’innocence.

L’observation n’est ni mineure, ni négligeable. Pour ma part, je suis extrêmement attentive aux risques d’anti-constitutionnalité. Nous avons donc examiné les choses de très près, et interrogé beaucoup de monde.

Comme vous, mesdames et messieurs les députés, nous partageons le souci de mieux appréhender et réprimer ces délits, parce qu’ils reposent souvent sur des circuits et des méthodes visant à brouiller le parcours des flux financiers et à dissimuler l’origine de ces fonds. Lorsque des indices montrent que ces montages ne traduisent pas une rationalité économique, il y a lieu de considérer qu’il faut armer la justice de façon à ce qu’elle puisse sévir.

Nous avons évidemment examiné ce sujet de très près. Il apparaît que le Conseil constitutionnel a déjà accepté des présomptions non irréfragables en matière pénale. Par ailleurs, la Cour de cassation a reconnu sur le plan conventionnel le délit de non-justification de ressources imputable à une personne qui fréquente habituellement des personnes coupables de délits et de crimes procurant un bénéfice direct. Il s’agit donc, non pas de dispositions inédites ou sans précédent, mais d’une situation qui, par analogie, peut se rattacher aux deux cas que je viens d’indiquer.

Le Gouvernement exprime ainsi son souci d’armer l’autorité judiciaire de façon à ce qu’elle soit en capacité de poursuivre, tout en fournissant des garanties : il est toujours possible d’apporter la preuve en cours de procédure, et les droits de la défense seront dans ce cas-là bien entendu respectés.

Par ailleurs, le Sénat a également supprimé l’article 9 septies relatif à la protection des lanceurs d’alerte : il a choisi de réduire le champ de la protection de ces derniers en le limitant aux témoignages adressés aux seules autorités judiciaires ou administratives.

Comme vous, le Gouvernement pense qu’il vaut mieux élargir ce champ de protection des lanceurs d’alerte parce que, à l’instar des repentis et des associations de lutte contre la corruption, ils permettent d’agir de façon plus efficace dans la lutte contre la corruption et contre la fraude fiscale.

Enfin, le Sénat a choisi une fois de plus de supprimer les dispositions relatives à la création du procureur de la République financier. Le débat sur ce sujet a été extrêmement nourri : chacun d’entre vous a pris la parole, d’abord dans la discussion générale et ensuite dans la discussion sur les articles, puisque de nombreux amendements visaient à la suppression de ce parquet financier.

Je rappelle que ce parquet financier aura sa propre légitimité et des moyens dédiés, et fonctionnera avec des magistrats spécialisés. C’est la clé de voûte même de l’amélioration de la lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière. Par conséquent, le Gouvernement comme vous-mêmes tient à la création de ce parquet financier.

Vous avez aujourd’hui le dernier mot sur ce texte. Je m’en réjouis…

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