Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 30 octobre 2013 à 21h00
Commission élargie : travail et emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille :

, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour l'emploi. Ce budget est un bon budget, qui prépare l'avenir et anticipe la décentralisation de la formation. Contrairement à ce que l'on entend souvent dire, le Gouvernement sait s'affranchir du carcan des lois de programmation pluriannuelle et du plafonnement des dépenses publiques pour intervenir efficacement lorsque la situation l'exige. La forte remontée du chômage provoquée par la crise financière, puis économique exige une intervention ferme du service public de l'emploi pour inverser la courbe ; le budget de la mission « Travail et emploi » lui en donne les moyens.

Ainsi, 1,6 milliards d'euros de crédits de paiement supplémentaires financeront en 2014 les emplois d'avenir, l'allongement de la durée des contrats aidés, les contrats de génération et la garantie jeune. Ces mesures ont pour objectif commun de donner aux jeunes les moins qualifiés et les moins favorisés – ceux que les sociologues appellent parfois les « invisibles » –, non un stage de quelques mois pour qu'ils ne soient plus comptabilisés dans les statistiques du chômage, mais un premier emploi d'une ou plusieurs années, qui leur ouvre le marché du travail, leur redonne confiance en eux et leur permette d'acquérir une qualification professionnelle. De ce point de vue, les 75 000 contrats d'avenir déjà signés sont un succès. La garantie jeune permettra aux plus démunis, que menacent le repli sur soi et l'exclusion sociale, de s'engager, avec les missions locales, dans un parcours de réinsertion par étapes.

Si sont ainsi tenus les engagements pris par le Président de la République en faveur des jeunes qui ont quitté le système scolaire sans qualification et qui se retrouvent sans emploi ni ressources, souvent à la charge de familles elles-mêmes démunies, ce n'est pas au détriment des autres charges du service public de l'emploi. Ainsi la réorganisation de Pôle Emploi et l'augmentation planifiée de ses effectifs sont financés par une hausse de 70 millions d'euros de sa dotation, qui s'ajoute à la hausse mécanique de l'apport de l'Unedic, laquelle représente 50 millions d'euros. Il paraît nécessaire d'abonder également la dotation des missions locales, bloquée depuis plusieurs années, et d'accroître le montant alloué à l'accompagnement des emplois d'avenir.

La réforme de l'insertion par l'activité économique est engagée. À la suite d'un rapport de l'IGAS, le Centre national d'appui et de ressources a créé un groupe de travail en vue de faire de l'aide au poste le mode de financement des quatre formes d'insertion par l'économique, tout en ménageant une possibilité de modulation locale à la marge. Le montant de l'aide et le nombre de postes étaient bloqués depuis 2002. Votre rapporteur avait obtenu l'an dernier par voie d'amendement que le plafond des postes des entreprises d'insertion, acteurs majeurs du secteur, soit revalorisé. Toutefois, compte tenu de la fongibilité des crédits, un tiers seulement de ceux qui ont été votés sont allés aux entreprises d'insertion. Le Gouvernement s'est engagé à mener à bien cette réforme en deux ans. Il provisionne, pour 2014, 15 millions d'euros supplémentaires afin de porter l'aide au poste à 10 500 euros ; à compter de 2015, il indexera le montant des aides sur le SMIC, après que 90 000 contrats d'accompagnement dans l'emploi auront basculé, au second semestre, dans ce dispositif d'aide au poste.

Le transfert aux régions de recettes fiscales, qui remplacent à l'euro près les dotations de décentralisation qu'elles percevaient pour la formation, recentre le programme 103 sur l'accompagnement des mutations économiques. Des inquiétudes se sont certes exprimées à propos de la prime d'apprentissage, mais vous allez certainement les dissiper, monsieur le ministre. Les transferts budgétaires devraient s'achever avec la prochaine réforme de la taxe d'apprentissage et de la formation professionnelle.

Les contrats de génération progressent très lentement, mais les représentants des organisations syndicales et patronales que nous avons auditionnés estiment que le retard pris lors de la négociation des accords préalables de branche est en passe d'être rattrapé.

Ils sont moins rassurants sur la situation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA. Après avoir alerté l'année dernière à ce sujet, puis entrepris de faire le point sur son plan de refondation, j'ai approfondi au fil des auditions l'analyse des causes de ses difficultés, et vous trouverez mes conclusions dans le rapport.

L'AFPA n'est pas tirée d'affaire, loin s'en faut. La nouvelle direction, installée en début d'année, a fait beaucoup en très peu de temps. Elle a pris de l'avance sur le plan de réduction des coûts fixes et lancé plusieurs chantiers de reconquête de marchés et de clientèles laissés de côté tant que la commande publique suffisait à faire vivre l'association. Cette refondation inclut des chantiers de longue haleine tels que la modularisation des certifications et la création de nouvelles formations, plus courtes ou plus segmentées, à l'intention des salariés qui bénéficieront bientôt du compte personnel et de parcours adaptés aux restructurations d'entreprises. L'adaptation du maillage territorial de l'AFPA doit être négociée au cas par cas avec les conseils régionaux. Le déploiement des personnels et le changement des méthodes de formation prennent du temps. Mais il y a des urgences : l'AFPA continue de perdre des marchés, notamment ceux de l'État, alors qu'elle n'a récupéré qu'une faible part des 30 000 formations prioritaires demandées par le Président de la République. Elle aura donc du mal à atteindre le chiffre d'affaires qu'elle s'est fixé.

L'avenir de l'AFPA se joue donc sur le fil, à 30 millions d'euros près. L'État lui a déjà apporté 110 millions d'euros de fonds propres mais les banques, qui doivent prendre le relais de la recapitalisation, attendent la suite. Nous ne pouvons dissimuler notre inquiétude. Il faut un accord général avec les régions, qui assurent l'essentiel des recettes de l'AFPA par leurs commandes ; quant à l'État, il doit appliquer l'engagement pris par le Premier ministre. Nous devons parvenir à maintenir dans les territoires des formations à recrutement national, souvent onéreuses, car pointues, et que chaque région rechigne à subventionner pour les autres. Ne pourrait-on mettre à profit les programmes d'investissements d'avenir pour entretenir et adapter les plateaux techniques, ce qui permettrait de réduire le coût de l'heure stagiaire pour les régions ?

La régionalisation des formations a réduit de moitié leur mobilité interrégionale. L'AFPA dispose de la structure administrative et technique nécessaire pour assurer sa mission nationale, mais elle n'en a plus les moyens financiers. Je m'interroge donc sur la stratégie immobilière du Gouvernement, qui semble hésiter entre la signature complexe de baux emphytéotiques administratifs et une dévolution du patrimoine de l'AFPA aux régions, comme le prévoit le projet de loi de décentralisation. Imposer à l'AFPA des conditions draconiennes en matière de loyers et de taux d'intérêt des obligations associatives, c'est prendre le risque d'un défaut de trésorerie. On ne peut faire dépendre d'un incident de ce genre le sort des 9 000 salariés de l'AFPA, ni le patrimoine de ses 216 centres de formation.

Le « tout État » n'étant plus possible, non plus que le « tout régions », nous devons trouver le moyen de conjuguer l'action à ces deux niveaux. L'AFPA n'ayant été ni intégrée au service public de l'emploi ni privatisée, nous devons la placer au coeur des futurs services publics régionaux de la formation tout en lui conservant une dimension de service public national. Le SIEG – service d'intérêt économique général – pourrait le permettre. Le destin de l'association va se jouer dans les mois qui viennent ; monsieur le ministre ; les orientations que vous allez donner à propos des possibilités de financement de l'État, notamment pour les publics spécifiques, de l'évolution du patrimoine et de la constitution d'un SIEG national seront décisives, et significatives du nouvel équilibre entre État et régions auquel vous souhaitez parvenir dans la future réforme de la formation professionnelle.

M. Francis Vercamer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail. Pour la cinquième année consécutive, j'ai l'honneur d'avoir été nommé rapporteur pour avis de la Commission des affaires sociales pour les programmes 111 et 155 de la mission « Travail et emploi ».

Je ne peux que constater qu'aucune impulsion nouvelle n'est donnée à ces programmes, dont les priorités restent celles qui avaient été fixées par la précédente majorité, mais dont les moyens sont réduits en ce qui concerne la santé au travail, la qualité et l'effectivité du droit ainsi que le dialogue social, domaines cruciaux pour l'avenir du marché de l'emploi. Pourtant, l'actuel gouvernement n'a-t-il pas fait du dialogue social une priorité ? En outre, cette année encore, il ne nous a communiqué que l'évolution prévisionnelle globale de la mission pour 2015, alors que le précédent gouvernement nous présentait ses prévisions programme par programme. Enfin, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) ne dispose toujours pas de nouveau contrat d'objectifs et de moyens, alors que son dernier contrat de progrès est arrivé à échéance fin 2012.

Je me suis intéressé cette année aux addictions pendant le travail – et non au travail ! Dans ce domaine, les nombreuses auditions que j'ai menées font apparaître une véritable irresponsabilité collective. En effet, les employeurs ne disposent pas de moyens efficaces de prévenir ce phénomène ou de le combattre ; les médecins du travail considèrent souvent que leur rôle n'est pas de « fliquer » les salariés ; enfin, les représentants syndicaux réduisent le problème à une question d'organisation du travail. Or les responsabilités en jeu sont lourdes pour tous les acteurs, notamment en cas d'accident. La responsabilité pénale du chef d'entreprise peut ainsi être engagée, de même que celle des collègues de travail de la victime. Dans certains secteurs professionnels, comme le bâtiment, les entreprises demandent instamment de nouveaux moyens d'action, en particulier en matière de dépistage de la consommation de drogues et d'alcool. Monsieur le ministre, comptez-vous autoriser les entreprises à employer des outils de détection simples et fiables de l'absorption de drogues, à l'image des tests comportementaux de vigilance aujourd'hui pratiqués par les forces de l'ordre lors des contrôles routiers ?

Les conseils de prud'hommes doivent être renouvelés au plus tard en 2015 ; envisagez-vous une réforme du mode de désignation des juges prud'homaux ?

Enfin, quand comptez-vous inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le projet de loi de révision constitutionnelle sur le dialogue social, déposé en mars dernier ?

M. Gérard Cherpion, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage. Pour la deuxième année consécutive, la Commission des affaires sociales m'a confié le rapport pour avis sur le compte d'affection spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».

Je ne peux cacher aux commissaires les difficultés auxquelles je me suis heurté en préparant mon rapport. En effet, les documents déposés au Parlement ne retracent pas la réalité du budget réellement alloué à l'apprentissage, notamment du fait de la suppression de l'indemnité compensatrice forfaitaire – l'ICF – annoncée en juillet dernier. Les arbitrages interministériels étant intervenus après le dépôt du projet de loi, c'est par voie d'amendement que le Gouvernement a équilibré les dépenses et les recettes du compte. Certains amendements ont d'ores et déjà été adoptés à l'article 25 du projet de loi de finances pour 2014. Ainsi, avant même son examen en commission élargie, le budget de l'apprentissage s'est beaucoup éloigné du bleu budgétaire. En outre, 18 % seulement des réponses au questionnaire budgétaire sont parvenues à votre rapporteur pour avis. Cette incertitude a nourri l'inquiétude, notamment celle des régions, compétentes en matière d'apprentissage, qui risquent de devoir compenser le désengagement de l'État.

L'action n° 01 du programme 787, qui concerne la péréquation entre les régions, se voit attribuer 60 millions d'euros au lieu des 200 millions d'euros octroyés depuis sept ans. Il semble toutefois que le Gouvernement ait l'intention de rétablir la précédente dotation. Pouvez-vous nous le confirmer, monsieur le ministre ?

Le présent projet de loi de finances inclut deux réformes importantes : le resserrement du crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage et le remplacement de l'ICF.

La formation d'un apprenti reste pour les entreprises une dépense, que le crédit d'impôt les incite à consentir. En 2013, le montant de ce crédit atteint 500 millions d'euros, ce qui représente une aide substantielle. Mais en resserrant le crédit d'impôt sur la seule première année de formation des apprentis et sur les seuls niveaux 5 à 3, le Gouvernement réalise une économie de 234 millions d'euros, soit de près de moitié. Voilà qui ne favorise guère la signature de contrats d'apprentissage alors que les entreprises perçoivent toujours moins d'aides, qu'elles ont déjà subi la suppression de l'ICF et que les entrées en apprentissage diminuent.

Quant à la nouvelle prime à l'apprentissage, elle sera ouverte aux seules entreprises de moins de 11 salariés et s'élèvera à 1 000 euros au minimum, les régions pouvant éventuellement décider de l'augmenter. Un dispositif spécifique assure la transition des contrats en cours. Le montant de l'indemnité reste inchangé la première année, sur la base de 1 360 euros, calculée par l'État. Pour les entreprises de moins de 11 salariés, l'aide atteindra 1 000 euros pour les deuxième et troisième années de formation. Pour les entreprises de plus de 11 salariés, elle sera de 500 euros la deuxième année et de 200 euros la troisième. La mesure pose un problème juridique puisqu'elle modifie les règles applicables à des contrats déjà signés.

Le financement du dispositif de transition s'élèverait à 430,8 millions d'euros en 2014 pour passer à 231 millions en 2017. Alors que l'État se fonde comme je l'ai dit sur une indemnité de 1 360 euros, les régions se fondent, elles, sur un montant moyen de 1 570 euros, ce qui représente pour elles une perte de 50 millions dont les calculs de l'État ne semblent pas tenir compte. Pourriez-vous nous fournir des précisions à ce sujet, monsieur le ministre ?

Afin de financer la nouvelle prime, le Gouvernement affecte aux régions une fraction des produits de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Cette taxe est dynamique puisqu'elle est liée à l'impôt, mais elle sera fixée différemment à chaque exercice budgétaire alors que la dotation garantissait la pérennité des montants.

Enfin, de nombreux acteurs du secteur considèrent que le seuil de onze salariés est trop restrictif. J'ai donc déposé un amendement visant à le porter à vingt salariés, amendement qui bénéficie d'une approbation quasi unanime – certains voulaient même aller jusqu'à 50 salariés. Le Gouvernement y sera-t-il favorable ?

Par ailleurs, le quota d'alternants sera porté à 5 % en 2015, mais de nombreuses entreprises du tertiaire qui recherchent des jeunes hautement qualifiés ne peuvent atteindre cet objectif. Non seulement elles ne trouvent pas les apprentis dont elles ont besoin, mais elles devront payer pour cette raison une lourde pénalité. Ces entreprises recrutent pourtant de nombreux jeunes pour des stages longs de fin d'études, souvent mieux rémunérés que ne l'impose la loi. Le Gouvernement est-il prêt à réformer le statut de ces jeunes de manière à les comptabiliser dans le quota d'alternants, à des conditions strictes – rémunération minimale, durée minimale de stage, embauche à la fin du stage ?

Enfin, le nombre de contrats d'apprentissage conclus dans le secteur public ne dépasse pas 10 000, malgré un vivier considérable. Monsieur le ministre, avez-vous l'intention d'aider le secteur public, notamment les collectivités territoriales, à recourir à ce type de formation ? Rappelons que le Gouvernement devait rendre un rapport sur le sujet pour juillet 2012, en application de l'article 14 de la loi du 28 juillet 2011, et que de nombreuses personnes auditionnées, dont des représentants des collectivités, ont proposé d'étendre à ces dernières la taxe d'apprentissage, moyennant un taux à déterminer.

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