Le budget de la recherche a été examiné, avec celui de l'enseignement supérieur, lors du débat en commission élargie jeudi dernier. Il est cependant nécessaire d'en rappeler brièvement les grandes orientations, afin d'éclairer la Commission sur l'avis de son rapporteur.
Le budget proposé pour 2014 est, en effet, très illustratif de la contradiction entre une volonté politique fortement affichée en faveur de la recherche et de l'innovation, et la réalité des moyens proposés. On retrouve là le décalage permanent entre le discours et les actes de l'actuel gouvernement.
Les crédits qui sont globalement attribués à la recherche publique baissent d'un peu plus de 1 %. Cette diminution touche principalement l'Agence nationale de la recherche, et les organismes de recherche.
Rappelons que ces dotations en baisse ont à couvrir non seulement les charges pour pensions qui progressent, elles, nettement, chaque année, mais aussi le glissement vieillesse- technicité des fonctionnaires des EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique) ou les mesures salariales des personnels des EPIC (établissements publics industriels et commerciaux). Les moyens réellement disponibles pour les laboratoires et les équipes de recherche sont donc réduits d'autant, alors même que la chute des crédits de l'ANR (Agence nationale de la recherche) diminue parallèlement les financements sur contrat de recherche de ces organismes.
Les emplois des organismes de recherche en 2014 sont présentés comme stables en équivalents temps plein, mais il convient de s'interroger sur la réalité que recouvre cette stabilité : les emplois inscrits, qui sont un plafond, seront-ils réellement pourvus ? Les auditions des responsables des instituts permettent, pour le moins, d'en douter.
Ce budget très médiocre conduit également à s'interroger sur les grandes orientations de la stratégie nationale de recherche, dont la loi relative à la recherche et à l'enseignement supérieur du 22 juillet 2013 prévoit une présentation quinquennale, sous forme de livre blanc, avec la stratégie nationale de l'enseignement supérieur qui lui est liée. Cette nouvelle stratégie va-t-elle se traduire par la remise en cause de dix ans de progression des financements de la recherche ?
Il est nécessaire, au minimum, de « sanctuariser » les crédits de la recherche, à défaut d'en prévoir une programmation croissante, comme l'avait disposé et l'a effectivement réalisé la loi de programme pour la recherche de 2006. Ce n'est véritablement pas ce que fait cette loi de finances. Je suggère donc à la Commission de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits « Recherche » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Mais venons-en à la partie thématique de mon intervention, sur la recherche sur projet et sur les retombées économiques de la recherche.
Le financement de la recherche par des appels à projets et la mise en concurrence n'a trouvé sa forme actuelle que tardivement en France, même si la recherche sur projet existait, en pratique, à l'intérieur des organismes de recherche ou à l'initiative de fondations, ou encore dans le cadre des programmes cadres européens pour la recherche et le développement technologique. Par ailleurs, deux fonds, le Fonds national de la science – FNS – et le Fonds de la recherche technologique – FRT –, finançaient des actions concertées incitatives depuis la fin des années 90 et avaient pour objectif de permettre l'émergence de disciplines nouvelles, d'accompagner des politiques publiques et d'encourager les partenariats publics-privés en matière de recherche. Mais le véritable lancement en France d'une politique nationale de la recherche sur projet ne date que de 2005, avec la création de l'Agence nationale de la recherche – ANR –, dans le cadre du Pacte pour la recherche.
Le budget de la recherche pour 2013 s'était déjà traduit par ce qui était présenté comme un « rééquilibrage » des financements entre recherche sur projet et crédits récurrents, au profit des organismes de recherche.
Si, dans le projet de loi de finances pour 2014, les organismes de recherche sont cette fois-ci également touchés par les baisses de crédits, les moyens de l'ANR n'en continuent pas moins de diminuer. Les autorisations d'engagement de l'Agence sont inférieures à ce qu'elles étaient à la création de celle-ci, en 2005, et se rapprochent donc, en euros constants, des budgets dont disposaient les anciens fonds incitatifs au début des années 2000…
La Cour des comptes constatait, dans son rapport de juin 2013 sur le financement public de la recherche, que l'Agence était à la croisée des chemins. Le Gouvernement semble avoir dépassé cette étape, mettant en cause son existence même comme agence de financement de la recherche sur projet.
Lors des auditions, la question s'est posée d'une nouvelle approche du financement de la recherche, suivant la doctrine, en vogue dans le monde anglo-saxon : « Fund the people, not the project » – subventionner la personne, pas le projet. Il s'agit là de la volonté légitime de permettre à des chercheurs innovants d'accéder directement aux financements et de leur faire confiance pour développer leurs propres voies de recherche, cette dernière s'accommodant mal du carcan trop systématique des thématiques du moment.
Or c'est précisément à cet objectif que répondent les programmes « blancs » de l'ANR, qui représentaient encore 47,9 % des engagements totaux pris sur appels à projet en 2012. Il serait dommage, de ce point de vue également, que l'attrition des crédits de la recherche sur projet tarisse une indispensable respiration de notre système de recherche, si nécessaire aux jeunes chercheurs notamment, et que nous retournions à des pratiques que la création de l'Agence avait pour objet de dépasser.
Faut-il voir dans cette évolution rapide l'abandon des financements sur projet dans notre pays, ce qui serait une rupture avec la pratique générale, au niveau tant européen qu'international ? Ce serait d'autant plus paradoxal que le programme des investissements d'avenir, de financement extrabudgétaire, repose sur la même logique des appels à projets, d'ailleurs confiés très majoritairement à l'ANR – dont l'expertise se voit ainsi confirmée. Je précise également que Louis Gallois – qu'on ne peut pas accuser d'avoir été impliqué dans l'ANR du temps de la précédente majorité – insiste beaucoup sur la nécessité de développer ces financements de recherche sur projet.
Les crédits annoncés par le Premier ministre au mois de juillet pour financer le deuxième programme des investissements d'avenir sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2014, mais avec une répartition interne et des montants inférieurs aux annonces gouvernementales de l'été dernier.
Le premier programme, lancé à l'initiative du précédent gouvernement, est un succès dont il convient d'apprécier le caractère structurant pour l'ensemble de notre dispositif de recherche et d'enseignement supérieur, en soulignant en particulier qu'il contribue à remédier à une faiblesse française majeure : l'insuffisante valorisation de la recherche. Tout le monde en convient, les retombées économiques de notre recherche sont insuffisantes. Cette absence de corrélation entre une recherche scientifique française, qui reste performante, et la valorisation en entreprises est un problème culturel propre à notre pays.
Si la France a le cinquième PIB mondial, elle occupe le septième rang pour les activités de R&D, mais seulement la seizième place pour l'innovation. Le décrochage est sans appel et illustre parfaitement l'une des raisons de notre moindre compétitivité économique. Nous devons absolument corriger cette situation si nous voulons rester durablement dans le peloton de tête des pays créateurs de richesse.
Les indices français, en matière de publications scientifiques, évoluent de façon intéressante : si leur part relative diminue au niveau mondial, comme pour tous les pays de tradition scientifique ancienne confrontés aux nouveaux pays industriels, notamment les BRICS, leur indice d'impact, c'est-à-dire leur rayonnement, progresse significativement depuis cinq ans. Pour autant, un véritable continuum entre recherche et innovation, caractéristique des économies dynamiques d'un monde globalisé, reste à établir. Les résultats décevants de la France dans la captation des financements des programmes européens de recherche le confirment.
Les études portant sur le système français de recherche et d'innovation convergent toutes vers le même constat : l'accroissement de la performance et de la visibilité de la recherche française passe par la clarification du rôle de ses acteurs, le renforcement de leur autonomie et l'amélioration de la coordination nationale et européenne. Pour ce faire, notre pays a développé un certain nombre d'outils de soutien à l'innovation, sous tous ses aspects, la plupart créés durant la dernière décennie, en particulier dans le cadre du Pacte pour la recherche de 2006 et des investissements d'avenir décidés en 2009. Il convient sans doute de mieux les coordonner.
Renforcer l'innovation, c'est à la fois développer l'interface entre la recherche publique et l'entreprise, et favoriser la recherche directement effectuée en entreprise. C'est à faciliter les partenariats et renforcer les liens entre recherche publique et entreprises que concourt, hors programme des investissements d'avenir, la mise en place des alliances, des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, des pôles de compétitivité, des instituts Carnot ou des conventions CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche), conventions tripartites passées entre un laboratoire de recherche, une entreprise et un doctorant.
Dans le cadre du programme des investissements d'avenir ont été fondés, dans le même but, huit instituts de recherche technologique, moteurs des campus d'innovation technologique, ainsi que des sociétés d'accélération du transfert technologique, qui ont vocation à regrouper l'ensemble des équipes de valorisation des sites universitaires et à mettre fin au morcellement des structures existantes. Leur présentation détaillée et leurs éventuels financements figurent dans le rapport.
Enfin, le soutien principal à la recherche directement effectuée en entreprise relève aujourd'hui du crédit d'impôt recherche. C'est un instrument dont l'efficacité est soulignée par les tous les acteurs du secteur, qu'il convient donc de maintenir et de renforcer. Il est, du fait de la faiblesse actuelle des partenariats public privé de la recherche sur projet, le seul levier véritablement efficace pour développer l'innovation en entreprise. C'est ce que rappelait M. Louis Gallois lors des premières rencontres parlementaires pour l'innovation que Mme Anne-Yvonne Le Dain et moi-même avons coprésidées le 9 octobre dernier : « L'innovation, pour éclore, a besoin de trouver un écosystème favorable. Cet écosystème est d'abord fiscal. […] Ceux qui critiquent le crédit impôt recherche ne se rendent pas compte de la férocité de la concurrence pour l'implantation des sites de recherche. Le CIR représente un puissant élément pour retenir la recherche en France. »
Plus que jamais notre pays doit se préoccuper des insuffisantes retombées économiques de sa recherche. Tandis qu'en Allemagne, la recherche technologique représente 20 % de l'ensemble des recherches, elle n'en représente en France que 7 %. Nous devons donc davantage coordonner recherche, innovation et formation. Le préalable à tout choc de compétitivité est un choc d'innovation. Notre appareil de recherche, quoique excellent, n'est pas suffisamment orienté vers la création de valeur économique, orientation pourtant essentielle si nous voulons maintenir la France au rang des nations qui comptent.