Dans l'affaire Goodyear, on peut estimer que la justice a bien fonctionné. Elle a été accessible, puisque les représentants du personnel ont facilement trouvé un juge. Celui-ci a rendu rapidement sa sentence. Enfin, la diversité des actions, des demandeurs et des juridictions n'a pas empêché la justice de statuer. Autant de preuves que notre appareil judiciaire est apte à réagir à des traumatismes sociaux aussi importants que la fermeture de l'usine d'Amiens-Nord.
Je relèverai cependant deux problèmes.
En votant cette année la loi relative à la sécurisation de l'emploi, le Parlement a confié à l'administration le soin d'examiner les procédures, notamment en ce qui concerne l'information des représentants du personnel et la validité des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Alors que le juge judiciaire statue de manière rapide, contradictoire et publique, ce qui est fondamental dans une démocratie, l'administration n'est pas tenue aux mêmes exigences. Le principe contradictoire est soumis au bon vouloir des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), dont les analyses ne sont pas publiques. Hors de tout jugement sur la stratégie des syndicats, le cas de Goodyear montre qu'il est bon que les représentants du personnel puissent accéder à un juge de proximité. Le Parlement aurait dû réfléchir à deux fois avant de fermer la porte à la procédure judiciaire.
Ce qui s'est passé à Amiens s'est joué sur trois niveaux : un groupe a ordonné à une de ses filiales de fermer un établissement. Or le droit français ne permet pas de mettre en cause la responsabilité d'un groupe ni de considérer que l'intervention d'une société a été forcée. Même quand les juges ont conscience qu'un dirigeant n'a pas l'initiative des décisions – il peut exécuter un plan défini au sein du groupe par des instances plus ou moins formalisées –, même quand ils considèrent que le reclassement doit être recherché au sein du groupe, la responsabilité d'un licenciement n'incombe qu'à celui qui le décide formellement.
Une proposition de loi en cours de préparation tend à associer les sociétés mères à la responsabilité des décisions de leurs filiales, ce qui me paraît sage. Notre législation doit s'adapter à l'organisation des groupes, afin que la question de leur responsabilité ne puisse plus être évacuée.