Intervention de Michel Henry

Réunion du 8 octobre 2013 à 17h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Michel Henry, avocat :

Le point de vue d'un avocat un peu accoutumé à ce type de procédures ne peut en réalité se faire que de l'extérieur de ce contentieux, parce que je sais trop l'irritation que provoquent, quand ils viennent de l'extérieur, des propos sur des dossiers sur lesquels on a une connaissance intime. Je ne voudrais pas me hasarder à commenter les procédures qui ont été conduites dans cette affaire, simplement faire des observations qui sont celles d'un praticien.

Selon la Cour de cassation, la fermeture d'un établissement – contrairement à la cessation de l'activité d'une entreprise – ne constitue pas nécessairement un motif de licenciement économique valable, la réalité de ce motif devant s'apprécier au niveau de l'activité du groupe. La Cour de cassation considère d'autre part que les sociétés mères ou holdings peuvent être tenues pour responsables en tant que co-employeurs. De ce fait, l'action en justice tend généralement à rechercher des informations qui permettront d'apprécier la validité des données économiques fournies par l'employeur.

L'abondance des décisions rendues dans l'affaire Goodyear n'a rien d'extravagant. Celle-ci dure depuis quatre à cinq ans. Les projets de la direction ont évolué plusieurs fois. Les données fournies aux représentants des salariés sont relativement opaques. La multiplicité des actions se justifie par l'obligation d'ajuster la réaction des instances représentant le personnel aux consultations. Sont intervenus ici les acteurs habituels de ces contentieux : le comité d'entreprise, comité de groupe ou comité consultatif, qui peut exiger une information pertinente afin d'émettre un avis éclairé, les syndicats, qui défendent les intérêts de la profession, et le CHSCT, qui prévient la détérioration des conditions de travail.

L'action contentieuse est faite de ruses et de louvoiements, compte tenu de l'impossibilité de s'immiscer dans la gestion du chef d'entreprise. Ne pouvant contester la légitimité de ses décisions, on cherche à prendre en défaut son discours sur son projet économique. S'il annonce des pertes, on vérifie les résultats du groupe. On se demande s'il n'a pas considéré seulement l'état financier de la filiale en France ou d'un établissement, voire d'une partie d'un établissement. On reconstitue des résultats consolidés et l'on prend en compte la logique du groupe. Chaque fois, il est apparu que Goodyear, Continental ou Metaleurop avaient déplacé la charge de travail d'un atelier de fabrication vers un autre pour des raisons de coût, de résistance sociale ou d'opportunités diverses.

Il y a quelques années, Continental a dû réintégrer des personnels dans leur emploi après qu'ils s'étaient mis en grève, parce qu'une charge de travail avait été déplacée en Italie ou en Allemagne. Dans le cas de Goodyear, les plaignants ont demandé au juge de suspendre la procédure jusqu'à ce que leur employeur produise une information économique pertinente. Certains ont regretté que l'action leur ait fait perdre du temps. Des dissensions ont éclaté au sein des syndicats entre ceux qui préféreraient toucher leur chèque au plus tôt et ceux qui entendaient prolonger le statu quo.

L'enjeu central du contentieux est de se situer en amont des décisions et non de faire reconnaître que des licenciements n'ont pas de cause réelle et sérieuse, ce qui n'est pas si difficile, comme l'ont montré, fin août, à Compiègne, la condamnation de Continental ou, fin septembre, la confirmation par la Cour de cassation de la décision prud'homale, au motif que la société n'avait pas fourni d'éléments justifiant les difficultés économiques dans le secteur d'activité concerné. Seul un juge judiciaire, celui des référés, auquel la Cour de cassation a confié des pouvoirs étendus en matière de contrôle des plans sociaux, est compétent pour agir.

L'an dernier, cependant, dans l'affaire Viveo, la Cour de cassation a fermé une porte, ce qui est dommage, en revenant sur une décision de la Cour d'appel de Paris. Elle a suspendu une décision dans une affaire qui s'achèvera fatalement, dans quatre ou cinq ans, par le versement aux salariés de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Je regrette aussi que la loi de sécurisation de l'emploi n'ait pas renforcé le pouvoir du juge judiciaire sur les plans sociaux, en lui permettant d'affirmer qu'il ne saurait y avoir de plan social pertinent en l'absence de cause économique.

Depuis quelques années, sous l'impulsion des milieux patronaux, la loi évolue dans le sens d'une défiance accrue à l'égard du juge. Après le rapport Virville, la loi de modernisation sociale et la loi de sécurisation de l'emploi ont restreint son pouvoir, notamment en raccourcissant les délais de prescription ou en lui retirant des prérogatives. Or on se souvient qu'entre le 3 janvier 1975 et le 31 décembre 1986, lorsque les licenciements étaient soumis à un contrôle administratif, le Conseil d'État n'a récusé aucun plan social.

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