Depuis vingt ans, le contrôle du juge sur le motif économique s'est amplifié, jusqu'à ce qu'en décembre 2002, l'arrêt SAT rendu non par la chambre sociale mais par l'assemblée plénière de la Cour de cassation apporte un coup de frein à cette évolution. Un employeur, qui, pour redresser sa société, avait le choix entre trois options, avait choisi la plus dommageable pour l'emploi. La cour d'appel de Riom a considéré que sa décision excédait la mesure de ce qui était nécessaire pour assurer la compétitivité de l'entreprise. Cette formulation me paraissait pertinente : compte tenu de la double obligation qui pèse sur le chef d'entreprise – atteindre l'équilibre économique et sauvegarder l'emploi –, on peut lui demander de privilégier la seconde. La Cour de cassation a censuré la décision, en considérant qu'elle constituait une immixtion dans le pouvoir de gestion du dirigeant.
L'arrêt a pesé sur l'évolution du contentieux en limitant les pouvoirs du juge. L'arrêt Viveo est un avatar de l'arrêt SAT. Je ne suis pas convaincu que la chambre sociale aurait été aussi réticente à l'idée de censurer des options inutilement dommageables pour l'emploi. Un coup de pouce du législateur aurait pu l'aider à sauter le pas. Le fait que l'assemblée plénière ait statué sur cette affaire traduisait peut-être une défiance à l'égard de la chambre sociale, qui aurait sans doute jugé différemment.
Me Gilles Belier recommande à tous les employés dont l'usine va fermer de se mettre en grève… procédure où s'exprime le vrai rapport de force entre les hommes. Ce n'est pourtant pas la première idée qui vient à l'esprit, quand on risque de perdre son emploi. S'il est logique d'interrompre le travail pour définir une stratégie, la grève ne doit pas servir à peser sur le choix de l'employeur. La meilleure solution est de demander au tribunal qu'il mette fin à une situation qu'on juge injuste.
Je souscris en revanche à une idée que Me Belier défend depuis longtemps : le recours à un médiateur, en cas de désaccord majeur sur l'existence de difficultés économiques. C'est d'ailleurs le dispositif que vous avez retenu. Il me paraît sage et conforme à la possibilité jadis offerte au CE d'user d'un droit de veto, débouchant le cas échéant sur une médiation. Pourquoi ne pas revenir à cette formule, en prévoyant que le médiateur soit assisté d'experts, ce qui lui assurerait une fine analyse de la situation ?
Accéder à la vérité est en soi un enjeu. Trop souvent les salariés sont persuadés que la société réalise des bénéfices, alors que les employeurs affirment que les pertes s'accumulent. On sortirait de l'opacité si un arbitre calculait le taux de retour sur investissement ou proposait des secteurs de reconversion, quand l'activité principale de la société est en déclin.