Intervention de Antoine Lyon-Caen

Réunion du 8 octobre 2013 à 17h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Antoine Lyon-Caen, professeur agrégé de droit du travail à l'université Paris X, Paris Ouest Nanterre la Défense :

J'ai bien connu cette période. En 1977, j'ai écrit un article intitulé : « La loi du 3 janvier 1975 : une loi morte ? » À l'époque où tout licenciement pour motif économique devait donner lieu à autorisation, on s'était engagé dans une voie bureaucratique. En fait, le silence de l'administration valant autorisation après un certain délai, moins d'une demande sur dix était examinée. Le système déresponsabilisait tout le monde.

Il a eu du moins un effet positif. L'administration devait procéder à des choix draconiens, car elle ne disposait pas d'un personnel suffisant pour traiter toutes les demandes. Les directeurs régionaux ou départementaux ont choisi de se concentrer sur le départ de personnes âgées ou l'existence de discriminations. L'enquête privilégiait le cas des personnes vulnérables, au détriment de l'existence d'un motif économique, que l'administration n'avait pas le temps de vérifier de manière systématique.

Dans le nouveau système, le juge administratif ne contrôlera pas la décision de l'employeur, c'est-à-dire le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), mais le fait que l'administrateur a bien joué le rôle que lui impartit la loi. Il jugera l'action de l'administration. Il s'assurera par exemple que celle-ci a contrôlé que le plan ne comportait pas de discrimination manifeste.

Le contentieux a commencé en 1978. Dans un arrêt de 1981, le Conseil d'État affirme que l'administration n'a pas à se prononcer sur les options de gestion de l'employeur, n'étant pas armée pour effectuer ce type de contrôle. Les CE et les syndicats suivent la vie de l'entreprise. En outre, ils se font assister par des experts, que la loi leur permet de solliciter. Ils peuvent donc ouvrir avec le chef d'entreprise un dialogue plus riche que le contrôle administratif.

Enfin, l'administration du travail devra se spécialiser, en confiant le contrôle à certains membres de la DIRECTTE. Cette segmentation est critiquable, car il peut être nécessaire de suivre des questions de santé en même temps que des problèmes de restructuration.

Le juge judiciaire est un arbitre, qui se demande si les prérogatives de l'employeur et des représentants du personnel ont pleinement joué dans le cadre de la loi. Il occupe à ce titre un terrain que lui a laissé le Parlement. Celui-ci, alors qu'il pouvait définir clairement la mission du juge, s'est réfugié derrière deux adjectifs : « réel » et « sérieux ». Or, dans la langue française, plus on recourt aux adjectifs, moins on dit de chose : le substantif nomme les situations, que l'adjectif ne permet que d'apprécier. En 1973, en choisissant ces adjectifs, le Parlement a dit au juge : « À vous de jouer ! »

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