Les pneumatiques qui sont fabriqués en Europe et exportés en Inde paient aujourd'hui à leur arrivée dans ce pays des droits de douane de 10 %, auxquels viennent s'ajouter un ensemble de taxes additionnelles, qui représentent 17 % de la valeur de ces pneumatiques. À cela s'ajoute le fait que l'administration a mis en place des réglementations et des standards particuliers. J'ai évoqué tout à l'heure le marquage des pneumatiques ; or apposer un marquage supplémentaire sur le flanc d'un pneumatique impose de refaire des moules, dont le coût est loin d'être négligeable. Nous devons donc faire face aussi bien à des barrières douanières qu'à des barrières non douanières.
Dans le même temps, en vertu des accords qui ont été conclus entre l'Union européenne et la République indienne, les pneumatiques fabriqués en Inde et importés en Europe le sont en franchise de droits de douane. En effet, l'Inde bénéficie du statut privilégié que constitue le système de préférences généralisées (SPG) de l'Union européenne.
Monsieur Baumel, vous avez évoqué le pneu radial. Michelin a inventé en 1946 la technologie radiale, qui a fait la fortune et la croissance de notre groupe dans les cinquante et soixante dernières années. Sans entrer dans le détail, je peux vous dire que cette technologie permet de distinguer la performance de la bande de roulement – et donc d'avoir le maximum de contact au sol – de la fonction des flancs du pneumatique, qui est essentiellement d'amortir les chocs et de dissiper l'énergie et la chaleur.
En Inde, le marché du poids lourd n'est pas radialisé. L'Inde a lancé un très grand programme de développement routier. Or la technologie conventionnelle du pneu bias, c'est-à-dire à carcasse diagonale, n'est pas adaptée à des poids lourds qui roulent vite et chargés : les pneus finissent par éclater. C'est ce qui s'est passé en Chine lorsqu'elle a commencé à développer son réseau routier.
Pour attaquer ce marché agricole, nous devons être présents industriellement. Mais comme nous n'avons pas de base industrielle en Inde, nous produisons en Europe et nous exportons vers ce marché, et nous sommes soumis à ces droits de douane.
Cela m'amène à vous parler de la réglementation européenne. Les problèmes que vous évoquiez sont liés à la technologie dite du « X One ». Aujourd'hui un poids lourd américain a 12 pneus. Un poids lourd européen en a 18 – avec des pneus jumelés sur les essieux porteurs. Cette technologie américaine permet de remplacer ces deux pneus par un seul pneumatique, et ce faisant, de limiter l'impact du véhicule sur la route et sur l'environnement. Mais pour que cette technologie soit utilisée en Europe, il faut qu'une réglementation autorise les constructeurs de poids lourds et les utilisateurs à mettre ce pneu sur leurs véhicules et autorise les poids lourds ainsi équipés à circuler d'un pays à un autre. Or, jusqu'à présent, un certain nombre d'États n'ont pas accepté la mise en place de pneumatiques de ce type. Nous n'avons donc pas pu développer cette technologie en Europe, alors que, depuis dix ans, elle nous assure un leadership très significatif en Amérique du Nord et contribue par ailleurs très fortement à la réduction de la consommation des poids lourds.
Monsieur Baumel, nous espérons en effet que le marché du pneumatique poids lourd se développera au niveau mondial. Les pays aujourd'hui émergents vont, demain, s'approcher de la maturité, avec des réseaux routiers plus étendus et des véhicules et donc des pneumatiques de haute technologie. Cela permettra à un groupe comme le nôtre de développer un leadership sur ces marchés et de continuer de faire de la France une base exportatrice de ces pneumatiques vers d'autres pays. Simplement, compte tenu des coûts de production et de la réalité de notre outil industriel, il est important que nous soyons capables d'agir de manière compétitive pour exporter ces produits vers des pays où les prix de vente sont inférieurs à ce qu'ils sont sur les marchés matures.
Enfin, madame la rapporteure, je pense que le SNCP faisait référence à la démarche volontaire engagée par l'industrie pneumatique dans les années 2000, consistant à éliminer des pneumatiques certains types d'huiles aromatiques, considérées comme cancérigènes, et à les remplacer par d'autres huiles, qui améliorent les performances du pneumatique – notamment son adhérence sur sol mouillé.
L'industrie a trouvé des solutions techniques et l'Europe a mis en place une réglementation. Malheureusement, les États membres, qui sont chargés de veiller à l'application de cette réglementation, n'ont pas les moyens, ou la volonté, de la faire respecter.
En 2011, au travers de l'Association des manufacturiers pneumatiques européens, l'ETRMA, basée à Bruxelles, nous avons procédé à un certain nombre de tests sur les marchés. Nous avons acheté des pneumatiques à l'aveugle et nous les avons fait tester par des laboratoires indépendants. Il y a eu deux campagnes de tests, réalisés sur une centaine de pneumatiques tourisme et de pneumatiques poids lourd. Il en est ressorti qu'à peu près 10 % des pneumatiques testés – donc, peut-on le supposer, 10 % des pneumatiques vendus en Europe – ne respectaient pas la réglementation. Malheureusement, il n'appartient pas aux acteurs de l'industrie de faire respecter cette réglementation. L'industrie pneumatique européenne peut seulement mener collectivement un travail de lobbying, au sens noble du terme, et alerter les autorités des différents pays sur certaines lacunes. Aujourd'hui les gouvernements allemand, français et britannique nous ont dit qu'ils entendaient bien faire respecter cette réglementation. Mais – et cela dépasse largement les problématiques du groupe Michelin et de l'industrie pneumatique – encore faut-il qu'ils aient les moyens de le faire. Et ce n'est à l'évidence pas leur priorité.