Intervention de Jacques Lapouge

Réunion du 30 octobre 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique :

Merci, en m'accueillant au sein de votre commission, de me donner l'occasion de faire un point sur la préparation de la COP 19 de Varsovie et de la COP 21 qui doit se tenir à Paris en 2015. Il n'y a certes pas de conférences plus importantes que d'autres, mais le mandat donné à Durban en 2011 fixait clairement l'horizon de 2015. La COP de Varsovie puis celle de Lima l'an prochain doivent ouvrir à la conclusion d'un accord à Paris en 2015.

Les conclusions du cinquième rapport du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) sont sans appel. Les changements observés dans le climat depuis 1950 sont sans précédent : chacune des trois dernières décennies a été plus chaude que toutes les décennies précédentes depuis 1850. Depuis 1971, les océans se réchauffent et s'acidifient, les glaciers reculent et le niveau des mers et océans ne cesse de s'élever. Dans le même temps, les événements climatiques extrêmes se multiplient. Si aucune mesure n'était prise et si devait perdurer le scénario dit du business as usual, la hausse de la température moyenne à la fin du siècle pourrait approcher les 5°C, hypothèse cohérente avec les conclusions des récents rapports de la Banque mondiale et de l'Association internationale de l'énergie. Dans son scénario le plus optimiste, le GIEC estime toutefois possible de limiter le réchauffement à 2°C, hausse qui, même si elle pose déjà des problèmes, est considérée comme encore gérable par l'humanité. Ce scénario suppose néanmoins une mobilisation collective, massive et immédiate.

Les réponses apportées jusqu'à présent par la communauté internationale n'ont pas été à la hauteur du défi. Plusieurs pays ont quitté le protocole de Kyoto, refusant d'entrer dans la deuxième phase d'engagements décidée à Durban. Alors qu'à l'origine, le protocole couvrait 33 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, pour sa deuxième phase d'application 2012-2020, il n'en couvre plus que 15 %, dont 11 % émanant de l'Union européenne. Des engagements ont certes été pris à Copenhague puis confirmés à Cancun, qui couvrent près de 75 % des émissions mondiales. Mais ces engagements, d'ailleurs de nature différente selon les États, n'ont aucun caractère contraignant et demeurent insuffisants.

C'est dans ce contexte que le Président de la République a annoncé l'année dernière la candidature de la France à l'organisation de la COP 21 en 2015. Notre pays, dont chacun connaît l'engagement sur le sujet, dispose donc de trois ans pour préparer cette conférence. À l'exception du Danemark qui avait engagé la préparation de celle de Copenhague très en amont, la plupart du temps, les pays ne présentent leur candidature à l'organisation de la prochaine conférence que lors de la conférence précédente.

Le groupe régional au sein duquel siège la France aux Nations unies soutient sa candidature et, même si notre pays ne sera formellement désigné qu'à la COP de Varsovie, nous sommes sûrs qu'il le sera – il n'y a d'ailleurs pas d'autre candidat. La conférence aura lieu au Bourget et son secrétaire général a été choisi, en la personne de l'ambassadeur Pierre-Henri Guignard. L'administration et tout le réseau diplomatique sont déjà mobilisés. Depuis avril-mai, un comité ministériel de pilotage, placé sous la présidence du ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, et auquel sont associés le ministre de l'environnement, du développement durable et de l'énergie, M. Philippe Martin, et le ministre délégué chargé du développement, M. Pascal Canfin, se réunit tous les mois. Le ministère de l'économie et des finances et le ministère chargé de l'agriculture sont également mobilisés. Ma propre lettre de mission est signée des trois ministres précités et je travaille avec toutes les administrations concernées.

Nous avons commencé de sensibiliser l'ensemble de nos partenaires. Lors de tous leurs entretiens bilatéraux, les ministres des affaires étrangères, de l'environnement et du développement évoquent la future conférence sur le climat. Ainsi, lors de chacune de leurs rencontres, M. Laurent Fabius et le secrétaire d'État américain, M. John Kerry, dont chacun sait l'importance qu'il accorde au sujet, abordent le dossier climatique.

L'objectif de la COP 21 a été fixé à Durban. Il s'agit de parvenir à un accord applicable à tous les pays, juridiquement contraignant et assez ambitieux pour permettre de contenir le réchauffement en-dessous de 2°C d'ici à la fin du siècle. Cet accord devra donc fixer des objectifs quantifiés de réduction des émissions, différenciés selon les pays, chacun devant contribuer à l'effort selon son niveau de développement et ses capacités. Pour emporter l'adhésion de tous, il conviendra qu'à la différence du protocole de Kyoto qui comportait des engagements généraux dits economy wide, cet accord accepte d'autres types d'engagements : dates de pic d'émission, baisse d'intensité énergétique… Cela fera partie de la négociation. Il faudra également trouver une formule permettant de relever dans le futur les engagements pris, sans qu'il soit nécessaire de renégocier périodiquement l'accord.

Celui-ci ne portera pas seulement sur l'atténuation, mais aussi sur l'adaptation et les moyens de mise en oeuvre, avec notamment pour les pays en développement, l'accès aux technologies, le renforcement des capacités et les financements. La question du financement sera l'un des enjeux essentiels, mais aussi les plus délicats, de la conférence de Paris. L'engagement a été pris à Copenhague et à Cancun de créer un Fonds vert et de mobiliser dans les pays du Nord 100 milliards de dollars par an de financements publics et privés au profit des pays du Sud à l'horizon 2020.

Au-delà de l'accord stricto sensu, nous souhaitons que la COP 21 ouvre à des solutions concrètes. Il faudra donc y insister sur les opportunités de croissance et de développement qu'offrent la transition écologique et la lutte contre le changement climatique, car celle-ci ne doit plus être présentée seulement comme « le partage d'un fardeau » (burden share). Cet « agenda positif » regroupe toutes les initiatives, et elles sont nombreuses, des gouvernements, des organisations internationales, du secteur privé ou des collectivités, ayant un effet, direct ou indirect, sur la réduction des émissions, sur l'adaptation au changement climatique ou contribuant au financement des actions. À côté de la logique des engagements contraignants visés dans la négociation internationale, il y a la logique de moyens et de résultats sur le terrain. Il faudra mettre toutes les initiatives en valeur lors de la conférence, d'autant qu'elles peuvent aider au processus de négociation.

La tâche est difficile. Tout d'abord, le contexte économique actuel conduit à privilégier le court terme au long terme, à répondre aux problèmes d'aujourd'hui plutôt qu'à relever les défis de demain. Ensuite, l'essor des classes moyennes dans les pays émergents s'accompagne inévitablement d'une augmentation de la consommation d'énergie de ces pays. Enfin, la situation budgétaire actuelle des États du Nord ne facilite pas la recherche des solutions de financement.

Pour autant, il existe des signes politiques encourageants. Jamais l'administration américaine n'a été aussi ouverte sur le sujet du changement climatique ; Pékin également adresse des signaux positifs. En juin dernier, la Chine et les États-Unis ont jugé possible un accord visant à l'élimination progressive des hydrofluorocarbures (HFC). Enfin, l'opinion mondiale est désormais pleinement consciente des conséquences du réchauffement climatique, et les discussions dans le cadre des forums de négociation de la plate-forme de Durban ont été plutôt constructives cette année.

Nous avons engagé le dialogue avec tous les États parties à la convention. Nous avons bien l'intention de jouer collectif, comme il est du devoir d'une présidence : nous travaillerons étroitement avec les présidences polonaise et péruvienne. Sur le plan juridique, un pays ne prend la présidence de la COP que le premier jour de celle-ci, mais en pratique, dès la fin de la COP précédente, la future présidence commence de se mobiliser. Je me suis déjà rendu à Lima, d'autres responsables suivront en janvier, de façon à mettre au point une stratégie commune. L'une des clés de la réussite d'une COP est la capacité de la présidence à écouter tous les pays et à obtenir leur confiance. Le Mexique, qui a organisé à Cancun la COP qui passe pour la plus réussie de ces dernières années, a parfaitement joué ce rôle.

Nous nous appuierons également sur des enceintes hors convention cadre des Nations-unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour donner une impulsion politique à la négociation. Je pense bien sûr au G 8, dont la Russie prendra la présidence tournante en 2014 avant l'Allemagne en 2015, et au G 20 qui, encore présidé par la Russie jusqu'en novembre, le sera ensuite par l'Australie en 2014 puis la Turquie en 2015. Je pense surtout à la prochaine Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014, dont nous espérons qu'elle sera l'occasion pour les chefs d'État et de gouvernement de marquer leur ambition en matière de climat et d'indiquer des lignes directrices à leurs négociateurs. Nous saisirons également toutes les occasions de rencontres régionales, comme le sommet de l'Elysée, organisé entre la France et les États africains début 2014, dont l'un des thèmes sera l'évolution du climat. Nous aurons bien sûr un dialogue étroit avec les plus gros émetteurs – les États-Unis, la Chine, l'Inde et le Brésil, pour ne citer qu'eux –, dont il est essentiel qu'ils prennent des engagements en 2015, mais aussi avec les pays les plus vulnérables comme les petites îles du Pacifique et de la Caraïbe et les pays africains les moins avancés, qui militent en faveur d'un accord ambitieux afin d'enrayer les dérèglements climatiques, dont ils seront et sont déjà les premières victimes.

Enfin, il est essentiel que l'Union européenne conserve un rôle moteur dans ces négociations et continue de montrer la voie de l'ambition. Il faut donc engager rapidement la ratification de la deuxième phase d'engagements du protocole de Kyoto – cette étape est un symbole très attendu des pays du Sud – et relever de 20 % à 30 % l'objectif de baisse des émissions d'ici à 2020 : il est possible de l'atteindre si chacun s'engage. Il faut qu'à la mi-2014, l'Union européenne soit en mesure de présenter une position politique commune à ce sujet et de prendre des engagements pour la période postérieure à 2020. Dans son livre vert, la Commission envisage une diminution de 40 % des émissions à l'horizon 2030. Les discussions ont commencé et une proposition sera présentée à la fin de l'année. Rendez-vous a été pris pour le Conseil européen de mars. Il est important pour la présidence française que l'Union européenne, qui a toujours par le passé tiré vers le haut les négociations sur le climat, continue de défendre un objectif ambitieux pour parvenir à un compromis satisfaisant.

Il nous faudra aussi bien entendu associer la société civile – ONG, secteur privé, collectivités territoriales – à la préparation de la conférence de Paris Dans le rapport sur le rôle des collectivités dans la mise en oeuvre d'une politique de lutte contre le réchauffement climatique qu'ils ont remis en septembre, les sénateurs Ronan Dantec et Michel Delebarre ont montré combien les collectivités étaient déjà mobilisées et souhaitaient être associées. Par leur expérience et leurs réseaux internationaux, les parlementaires ont aussi tout leur rôle à jouer. Nous serons heureux de voir avec vous comment avancer ensemble.

La conférence de Varsovie, où nous nous réjouissons d'avance de retrouver une délégation de votre Assemblée, sera une étape importante pour qu'un accord puisse intervenir deux ans plus tard à Paris. Nous en attendons quatre résultats principaux. Tout d'abord, des avancées sur le volet financier : on a eu l'impression à Doha que les pays développés ne s'engageaient pas assez. Il faut qu'à Varsovie, ils envoient un signal clair sur leur volonté d'accompagner financièrement la transition écologique des pays en développement. La présidence polonaise organisera une session ministérielle sur le volet financier. Après la réunion du conseil d'administration du Fonds vert qui s'est tenue à Paris il y a deux semaines, on espère que la première opération de capitalisation de ce Fonds pourra être lancée avant fin 2014. La France mobilise déjà plus de deux milliards d'euros par an pour des projets liés au climat, au travers notamment de l'Agence française de développement (AFD) qui, dans le cadre de sa nouvelle stratégie, consacre la moitié de ses engagements aux projets climatiques. Une partie du produit de la nouvelle taxe sur les transactions financières sera consacrée à la lutte contre le changement climatique.

La conférence de Varsovie devra en deuxième lieu établir une feuille de route pour aboutir à un accord global en 2015. Au temps des échanges succédera celui de la négociation effective du texte de l'accord lui-même. Il faut fixer les étapes qui permettront de soumettre un projet d'accord lors de la conférence de Lima.

Troisième objectif de la conférence de Varsovie : lancer le processus de définition des engagements de réduction des émissions, qui pourront être de nature différente selon les pays. Il faut que chaque pays puisse en 2015 s'engager à un objectif quantifié. La présidence polonaise demandera à tous les pays de préparer leurs engagements – nous souhaiterions qu'elle les invite à le faire le plus rapidement possible. Il faudra ensuite évaluer si ceux-ci sont d'une part assez ambitieux, d'autre part équitables.

Dernier objectif : avancer dans la mise en oeuvre des décisions précédentes, en particulier pour ce qui concerne l'adaptation et les pertes et dommages. Les pays du Sud y tiennent.

Le processus de ratification de l'amendement au protocole de Kyoto adopté à Doha est engagé : espérons qu'il sera le prélude à la ratification du futur accord de 2015.

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