Intervention de Jacques Lapouge

Réunion du 30 octobre 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique :

Diplomate chargé des négociations internationales sur le climat, je sais combien il est important que la France soit exemplaire mais je ne suis pas nécessairement le plus compétent pour répondre à vos questions sur la politique française en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Sans vouloir me dérober, je pense que le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie serait mieux à même que moi de vous répondre sur ce sujet.

Les performances de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique sont bonnes, et reconnues au niveau international. En dépit d'un taux déjà faible d'émissions, lié à son mix énergétique, la France s'est engagée au titre du paquet énergie-climat à les réduire encore de 14 % d'ici à 2020, hors entreprises soumises à quotas. Elle s'est également engagée à porter à 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie contre 13 % aujourd'hui ; à réduire de 20 % sa consommation d'énergie primaire grâce à l'amélioration de l'efficacité énergétique, ; à lancer la rénovation thermique de 500 000 logements d'ici à 2017 dans la perspective de réduire en 2020 la consommation énergétique de 38 % par rapport à son niveau de 2005. L'objectif d'une réduction de 40 % puis de 60 % ; ainsi que celui dit du facteur quatre, demeurent. Aucun pays n'a jamais remis en question dans les négociations internationales l'engagement de la France ni les résultats qu'elle a obtenus en ce domaine.

Dès lors que la Chine représente à elle seule quelque 23 % des émissions mondiales, et même si le niveau d'émissions de pays comme l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du sud est nettement moindre, les pays émergents constituent bien évidemment, avec les pays développés, l'une des clés de la négociation. Tous les pays ont approuvé à Durban le principe d'un accord applicable à tous, y compris aux émergents, et se sont dit prêts à s'engager. À quel niveau ? C'est tout l'enjeu de la négociation future. Les pays en développement soulignent tous la responsabilité historique des pays développés et sont attachés au principe d'une « responsabilité commune et différenciée ». Ils estiment que les pays développés ont utilisé une grande partie de « l'espace carbone disponible » au cours de leur développement et qu'il serait illégitime de leur interdire à eux de suivre la même voie. Mais les pays émergents, qui commencent aussi d'être victimes du changement climatique, ont intérêt à ce qu'on parvienne à un accord global. Ils doivent donc y contribuer. Tout en tenant compte de leurs besoins de développement, il faut obtenir qu'ils s'engagent à réduire significativement leurs émissions.

On ne peut néanmoins pas s'attendre à ce qu'un pays comme l'Inde, dont une grande partie de la population n'a pas encore accès à l'électricité, commence dès maintenant à réduire ses émissions. On essaie plutôt d'obtenir d'elle des engagements sur l'intensité énergétique de son économie et le moment du pic de ses émissions. La plupart de ces pays adressent d'ailleurs des signaux positifs. Mme Catherine Beaubatie, c'est le cas de la Chine où la pollution, de sujet environnemental est devenue un sujet social. Les contacts que nous avons avec les think tanks chinois laissent vraiment à penser que le gouvernement chinois, qui travaille sur le 12ème plan quinquennal, a pris le sujet à-bras-le-corps. Un dialogue s'est également engagé entre la Chine et les États-Unis sur le sujet. Que les deux plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre s'engagent ne peut qu'être une bonne nouvelle.

J'en viens aux enjeux financiers. Le financement de l'adaptation passera essentiellement par des financements publics : en effet, les investissements nécessaires dans ce cadre ne sont pas nécessairement rentables. Les pays du Nord devront consentir un effort supplémentaire d'aide publique au développement. Étant donné la situation budgétaire sur laquelle je ne m'appesantis pas, on peut envisager de réorienter des projets de développement vers des actions en faveur du climat. Beaucoup de projets de l'AFD y sont déjà affectés : l'Agence s'est engagée à consacrer sur la période 2012-2016 au moins 50 % de ses engagements financiers à des actions dans le domaine du climat. On peut également envisager que certains pays augmentent leur aide publique au développement et que les montants de cette aide additionnelle soient consacrés à la sauvegarde du climat. On peut aussi s'appuyer sur les financements innovants, comme la taxe sur les transactions financières : la France est motrice sur le sujet. On peut enfin compter avec des financements privés pour la transformation de l'économie. Lorsqu'il est question de mobiliser 100 milliards de dollars par an, cela inclut financements publics et privés. Les flux financiers des pays du Nord au profit des pays du Sud dépassent déjà très largement 100 milliards de dollars. L'enjeu n'est donc pas de trouver de nouveaux financements mais de réorienter les financements privés de l'émissif vers le non-émissif. Les agences publiques de développement comme l'AFD ou son homologue allemande, la KfW, les institutions financières internationales comme la Banque mondiale, les banques régionales, les agences de crédit export doivent elles aussi réorienter leur aide vers des technologies non émissives. Les grands opérateurs financiers, les fonds de pension, les entreprises et les banques doivent également travailler dans cette perspective. Si on s'organise bien, on devrait pouvoir y arriver.

Quant au Fonds vert, c'est un instrument parmi d'autres qui a vocation, à terme, à rassembler la plupart des financements internationaux en faveur du climat. Sa mise en place avance lentement, sans doute trop lentement par rapport aux défis à relever. Il n'en est pas moins doté maintenant doté d'un siège et d'un directeur exécutif. Espérons que les deux réunions de son conseil d'administration qui se tiendront au début de l'année prochaine permettront de boucler son business model, de façon à pouvoir lancer la première capitalisation en 2014, avant la conférence de Lima et peut-être même avant l'Assemblée générale des Nations unies. Je ne connais pas à ce stade les intentions de contribution des États à ce Fonds. La France a annoncé qu'elle y consacrerait une partie du produit de la nouvelle taxe sur les transactions financières.

Monsieur Martial Saddier, l'objectif de contenir le réchauffement à 2°C est-il encore crédible ? Je suis obligé de vous répondre oui (Sourires), sinon, tout ce que nous faisons n'aurait aucun sens. Il existe un scénario du GIEC dans lequel il est encore possible de rester en deçà de ce seuil. Nous ferons tout sur un plan politique pour pousser les États à relever leurs engagements d'ici à 2015. « L'agenda positif », qui peut donner assez vite des résultats tangibles, par exemple en matière de lutte contre la déforestation ou d'élimination du méthane et des gaz HFC, nous y aidera. Si on parvient, dans le cadre d'une approche sectorielle, à convaincre des secteurs fortement émissifs comme le secteur agricole ou certains secteurs industriels de coopérer, on devrait pouvoir obtenir assez vite des résultats concrets. Si on devait s'apercevoir en 2015 que la somme des engagements ne permet pas de contenir la hausse de la température moyenne à 2°C, il conviendrait d'élaborer un accord durable et dynamique permettant de relever les engagements de chaque pays afin de revenir sur la trajectoire de ces 2°C.

Je ne vous cacherai pas que les négociations seront difficiles, comme il est prévisible lorsque quelque 200 pays doivent s'accorder sur des décisions ayant des incidences en matière de compétitivité, de pouvoir ou de place dans la gouvernance mondiale. Pour autant, nous ne nous engagerions pas à ce point si nous n'étions pas convaincus de pouvoir à Paris parvenir à un accord applicable à tous les États, les engageant tous et permettant que les objectifs puissent être relevés autant que nécessaire.

Monsieur Denis Baupin, je n'ai pas l'impression, pour ma part, que l'Union européenne soit à la traîne. Il y a deux ans à Durban, elle a été motrice dans la négociation de la deuxième phase d'engagements du protocole de Kyoto. C'est elle qui, avec les pays africains et les petites îles, a accouché de l'accord de Durban, nul ne le conteste. Elle ne m'est pas apparue non plus en retrait à Doha et aujourd'hui, elle est la première à avoir mis sur la table, avec le livre vert de la Commission, un objectif de réduction de 40 % des émissions et des projets précis pour l'atteindre. Il est important qu'elle continue d'être en première ligne.

Chaque État membre doit contribuer en fonction de ses capacités et de ses contraintes. La Pologne, qui partait certes de haut, est l'un des pays qui a le plus réduit ses émissions depuis 1990. Après la conférence de Varsovie, elle aura présidé à trois reprises les négociations onusiennes. Nous avons beaucoup d'échanges avec les représentants polonais. Notre ministre chargé de l'écologie s'entretient souvent avec son homologue polonais. Nous essayons de convaincre la Pologne que la transition écologique présente aussi pour elle un intérêt en matière de compétitivité et d'emploi, et lui offre des opportunités de développement. Nous continuons de compter sur elle, de même que sur les autres pays de l'Union tenus pour réticents.

Pour ce qui est des États-Unis, jamais l'administration américaine n'a été aussi ouverte sur le sujet du changement climatique. J'en veux pour preuve le discours de Georgetown du Président Barack Obama. Si la position du Congrès est une autre affaire, le Président Obama donne vraiment le sentiment d'être disposé à aller le plus loin possible : il le montre avec les outils réglementaires dont il dispose, notamment pour durcir les normes applicables aux centrales à charbon existantes. Nous ne savons pas sur quels types d'engagements cela peut déboucher. Nous travaillons en tout cas étroitement avec les États-Unis et pensons que leur attitude sera un facteur positif dans les discussions à Paris. Comme vous le savez, le secrétaire d'État, John Kerry, est très motivé sur le sujet du changement climatique et s'en entretient souvent avec M. Laurent Fabius.

Oui, la France pourra compter avec les AOSIS (Alliance of small island states). A Durban, s'était fait jour une véritable alliance entre l'Union européenne et d'autres pays développés pour en appeler à un accord ambitieux et juridiquement contraignant. Il est vrai en revanche qu'à Doha, les États africains et les AOSIS, qui avaient des attentes fortes sur le sujet du financement, ont regretté que les pays du Nord ne s'engagent pas pour la période 2013-2020, au-delà du fonds d'amorçage, dit fast start, qui prévoyait dix milliards de dollars par an jusqu'en 2013. Les pays du Nord, pour des raisons à la fois d'annualité budgétaire et de contraintes financières, ont des difficultés à s'engager sur des objectifs à moyen terme. Notre stratégie consiste, en tenant un discours crédible sur les moyens financiers tout en soulignant la nécessité d'une action forte, à obtenir le soutien des pays africains et des AOSIS. Cela nous donnerait une légitimité morale et politique forte, vis-à-vis des pays émergents notamment.

Lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, la commissaire européenne chargée de l'action pour le climat, Mme Connie Hedegaard, et le ministre de l'environnement norvégien ont organisé une réunion des représentants des pays considérés comme progressistes – M. Laurent Fabius a participé à cette réunion avec des représentants des AOSIS et des pays africains. Le Dialogue de Carthagène, mis en place après la conférence de Copenhague et qui rassemble de manière informelle une quarantaine de pays développés et de pays en développement soucieux d'avancer dans les négociations onusiennes, se réunit trois fois par an.

Je n'ai pas le moindre doute, monsieur le président, sur la volonté du Gouvernement d'associer autant que possible le Parlement à la préparation de la conférence de Paris. Peut-être pourrions-nous profiter de la présence d'une délégation parlementaire à Varsovie pour envisager les modalités concrètes les plus satisfaisantes de cette association. Nous sommes à votre disposition ; nous allons y réfléchir de notre côté mais nous attendons également vos propositions.

Nous réfléchissons également au moyen d'associer les collectivités et les diverses composantes de la société civile française, notamment les ONG et les entreprises, comme nous l'avions fait avant la conférence de Rio + 20 avec le Comité 21. Au niveau mondial, il existe pour les entreprises le Pacte mondial, créé à l'initiative d'entreprises citoyennes, le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, le Forum de Davos. Les ONG ont leurs propres structures internationales.

Notre conviction est qu'il faut cesser d'évoquer le « partage du fardeau », mais au contraire mettre en lumière les opportunités formidables que représente la réduction de la consommation d'énergie en matière de compétitivité et, de manière plus large, celles que représente la transition écologique pour des entreprises comme Alstom, EDF, Veolia, Areva, Saint-Gobain, Schneider ou Total qui poursuit sa diversification dans le domaine des énergies renouvelables. Pour avoir été ambassadeur en Afrique du Sud, je sais que ce sont des sociétés comme Soiltech ou Tenesol qui y sont en pointe en matière d'énergies renouvelables.

En réponse à Bertrand Pancher, contrairement donc au climatologue Jean-Marc Jancovici, nous n'avons, pour notre part, aucun doute sur le fait que les énergies renouvelables contribuent à la lutte contre le changement climatique.

La conférence de Paris peut-elle échouer ? Nous travaillons en tout cas à son succès et je pense que l'on parviendra à un accord. Reste à savoir quel en sera le contenu. Sera-t-il applicable à tous ? Comportera-t-il des engagements suffisants ? Sera-t-il juridiquement contraignant ? Au-delà, nous souhaitons que l'on avance aussi à Paris sur « l'agenda positif » et qu'on y valorise la multitude d'initiatives qui existent à tous les niveaux – entreprises, collectivités, ONG… – et qui donnent d'ores et déjà des résultats concrets.

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