Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 4 novembre 2013 à 21h00
Commission élargie : culture

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur Herbillon, à vous entendre, j'aurais dû m'inscrire dans la continuité de mon prédécesseur. Or si j'avais fait ce choix, le budget aurait été alourdi, au cours des quatre années à venir, d'1 milliard d'euros de dépenses supplémentaires – et inutiles. Le projet de Centre des réserves des musées à Cergy-Pontoise – qui devait d'ailleurs prendre la forme d'un PPP, dont on constate les limites – devait ainsi coûter au minimum 200 millions d'euros en investissements, alors même que les musées exprimaient des désaccords et que le financement s'annonçait difficile. Aucune réflexion réelle sur les besoins et sur le meilleur moyen d'y répondre n'avait été menée. De façon générale, alors que beaucoup d'investissements sont faits dans les collectivités locales, les choix du ministère s'inscrivaient dans une logique de fuite en avant de la dépense, qui compensait l'absence de vision de l'objectif même d'une politique culturelle nationale.

Le temps était venu pour une vraie réorientation et une vraie réflexion sur la façon dont la politique de l'État peut apporter une plus-value indispensable en matière de politique culturelle. Comment assurer l'égalité entre les territoires et entre les citoyens ? Comment soutenir la création, notamment émergente ? Comment encourager les jeunes artistes ? Comment améliorer la diffusion et la circulation des oeuvres sur tout le territoire et à destination de toutes les populations ? C'est tout cela qui justifie, aux yeux de nos concitoyens, l'investissement dans la politique culturelle ; la réorientation est donc claire et assumée.

La diminution globale du budget des programmes « Patrimoine » et « Création » peut se justifier. Ainsi, en matière de patrimoine, plusieurs grands chantiers, arrivés à maturité, n'ont plus besoin de financement. Dans le domaine de la création également, la seule construction de la Philharmonie de Paris bénéficiera de 25 millions de moins que par le passé.

Du côté des opérateurs nationaux de spectacle vivant, le seul qui ait réellement eu un effort important à fournir est l'Opéra de Paris. À crise exceptionnelle, effort exceptionnel : sur les 100 millions d'euros de subvention que l'État lui alloue, il peut bien se passer de 5 millions. Pour autant, ce qu'il n'a pas eu n'est pas forcément allé au financement de l'Opéra Comique. Je n'ai pas raisonné en détail mais en termes de budget global.

Par ailleurs, la politique culturelle ne se résume pas à une accumulation de dépenses. Une dépense doit avoir du sens, remplir une fonction. C'est le cas à l'Opéra Comique et au Théâtre national de Chaillot dont le plateau fait l'objet d'un plan de rénovation : j'ai dégagé des crédits à cet effet. Par contre, là où la dépense n'est pas nécessaire, je préfère ne pas l'engager et préserver ainsi des marges de manoeuvre. Telle est la logique qui a prévalu.

La régulation va être abordée à travers les deux lois à venir. Certains des chantiers laissés en friche par le gouvernement précédent avaient commencé à s'en préoccuper, s'agissant notamment des intermittents et de la dimension numérique. Le ministère de la culture a organisé le premier Automne numérique en vue de valoriser l'open data en matière culturelle. À ma demande, les établissements publics ont libéré un certain nombre de données dont se sont servi de jeunes créateurs du numérique pour créer des services informatiques innovants en matière culturelle dans le cadre d'un hackathon. Le lauréat a présenté un projet établissant des liens entre les photographies de la guerre de 1914-1918 stockées dans nos archives et les lieux où ces photographies avaient été prises.

De la même manière, j'ai demandé qu'un calculateur du domaine public soit mis au point, de manière à connaître le moment où les oeuvres entreront dans le domaine public. Toujours dans le cadre de l'Automne numérique, un atelier de mashup a été organisé à partir des oeuvres du domaine public culturel. Des étudiants de l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) ont travaillé avec ces nouvelles pratiques artistiques transformatives. Le numérique, ce n'est pas seulement de la diffusion, ce sont aussi de nouveaux processus de création. Les questions soulevées par Isabelle Attard sont donc au coeur de cet Automne numérique, qui se conclura jeudi par une journée de colloques et de discussions sur les enjeux du numérique comme outil de création. De même, la loi sur la création donnera suite au rapport sur l'acte II de l'exception culturelle. Je souhaite qu'elle intègre le numérique, à travers des outils comme le contrat d'édition numérique, qui doit permettre de retisser un lien de confiance entre les créateurs, les publics et les outils numériques.

En cette année où nous fêtons les dix ans de la loi sur le mécénat, permettez-moi de rappeler que la France possède l'un des systèmes les plus incitatifs. Je me suis personnellement engagée à préserver et à développer le mécénat à destination des particuliers ou des entreprises. Sans doute faut-il communiquer davantage sur les dispositifs existants qui leur permettent d'investir dans la culture.

Les partenariats public-privé (PPP) font partie de l'héritage laissé par les précédents gouvernements. C'est un modèle de construction budgétaire que je ne souhaite vraiment pas voir perdurer dans le domaine culturel. Un article a été adopté dans la loi sur la décentralisation, qui permet des délégations de compétences, soumises à accord de l'État, dans différentes matières souhaitées par les collectivités. Aujourd'hui, les relations entre le ministère de la culture et les associations représentatives des collectivités locales en matière culturelle fonctionnent bien. Ensemble, ils élaborent, au sein du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel – qui va d'ailleurs être intégré ès qualités au sein du Haut conseil des territoires –, des politiques culturelles. Je souhaite que cette relation de confiance continue ainsi.

Je suis extrêmement vigilante s'agissant de la dévolution aux collectivités locales des bâtiments et du patrimoine national. On a vu, à travers l'exemple du château du Haut-Koenigsbourg, sur quoi pouvait déboucher le transfert du Centre des monuments nationaux à une collectivité. Évidemment, dans de telles opérations, les collectivités demandent les éléments les plus rentables. Si l'on avait continué sur ce modèle, le Centre des monuments nationaux n'aurait plus eu à gérer que des monuments peu rentables, se retrouvant dans l'impossibilité de pratiquer une péréquation. La loi patrimoine, sans reprendre l'intégralité de la proposition de loi Legendre-Ferrat, en conservera l'esprit en disposant que tout acte de dévolution d'un patrimoine national devra être soumis à la Commission nationale des monuments historiques. En particulier, les monuments du CMN devront faire l'objet d'un avis conforme de cette commission. Autant dire qu'on verrouille le système pour préserver au maximum le périmètre du Centre des monuments nationaux, car c'est vraiment la mutualisation qui permet d'avoir des investissements harmonieux sur l'ensemble du territoire.

La redevance d'archéologie préventive ira à un compte d'affectation spéciale qui sera créé l'année prochaine. Ce compte offrira une totale transparence sur l'utilisation de la RAP. Jusqu'à présent, les difficultés de perception de cette redevance étaient liées à une défaillance de logiciel au sein du ministère du logement. Ce problème technique est en voie de résolution.

S'agissant, enfin, des parcours d'éducation artistique et de l'utilisation des oeuvres du « 1 % logement », nous avons lancé, avec Vincent Peillon, l'opération « Un établissement, une oeuvre » pour inciter l'implantation d'oeuvres des fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) dans des établissements scolaires, accompagnée d'un travail de médiation autour de ces oeuvres. La rentrée 2014 sera marquée par une initiative, sous forme de journée nationale, par exemple, dédiée aux « oeuvres du 1 % », dont près de 60 % sont installées dans des établissements scolaires. Voilà un formidable levier pour des actions de médiation. C'est ainsi qu'on construit les publics de demain, qu'on lutte contre les inégalités, qu'on participe à l'épanouissement et à l'enrichissement des élèves, voire qu'on fait émerger les créateurs de demain. En tout cas, cela constitue le terreau sur lequel développer une politique culturelle d'avenir, au niveau de l'État comme au niveau des collectivités locales. C'est pourquoi j'ai demandé, dans le cadre de la coordination des établissements publics d'enseignement supérieur Culture, que chaque établissement propose des modules de formation à la médiation et, plus largement, à la mise en oeuvre d'actions dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle. Former eux-mêmes les formateurs sera ainsi leur priorité.

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