Intervention de Patrick Calvar

Réunion du 30 octobre 2013 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur :

– Pour ce qui concerne tout d'abord l'anonymat, la mesure proposée est importante. La loi en vigueur prévoit déjà des poursuites à chaque fois que le nom d'un fonctionnaire des services de renseignement est rendu public. Mais l'application de la loi est battue en brèche : régulièrement, les noms des personnels sont publiés dans la presse. Tout ce qui va dans le sens de la protection de l'identité des agents de renseignement est capital. Nous sommes donc plutôt satisfaits des mesures envisagées.

Même dans un autre contexte, celui de nos activités judiciaires, nous menons actuellement des discussions au sujet de la protection de l'anonymat des agents qui agissent dans le cadre de procédures judiciaires afin d'éviter qu'ils soient identifiés et que leur nom soit publié sur des sites Internet, notamment islamistes, avec tous les risques physiques qui peuvent en découler pour leur personne.

Quant à l'audition de tout agent par la délégation parlementaire au renseignement, il faut garder à l'esprit que, dans un État de droit, tout est question d'équilibre. D'une part, il faut qu'on définisse exactement quelles sont nos possibilités d'action – je rappelle qu'aux États-Unis, dans le cadre de l'affaire « Snowden », les agents américains ont tous agi dans le cadre de la légalité. D'autre part, il faut que l'on réponde des actes accomplis par nos agents.

L'audition de n'importe lequel de ces agents par des parlementaires pourrait cependant avoir des effets pervers.

Tout d'abord, un fonctionnaire, quel que soit son niveau hiérarchique, n'a pas nécessairement une connaissance globale d'un phénomène.

Ensuite, bien des agents des services de renseignement sont peu habitués à être auditionnés par des parlementaires. Si, toutefois, on permettait à la délégation parlementaire au renseignement d'entendre tout agent de ces services, il faudrait envisager une limite : le directeur de service doit pouvoir venir accompagné de la personne considérée comme la plus qualifiée. Néanmoins, cette précaution n'exclut pas le risque que désormais, tout agent s'auto-inhibe dans son activité quotidienne, ayant conscience qu'il pourrait être un jour auditionné par la délégation parlementaire. Les agents risquent de voir dans cette nouvelle prérogative de la délégation parlementaire un système de contrôle de plus en plus aigu de leur activité, sans pour autant qu'on leur dise clairement dans le même temps ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire.

Dans les pays anglo-saxons, les pouvoirs des services de renseignement sont très clairement précisés. Mais je ne suis pas certain que, pour autant, le pouvoir d'audition reconnu aux parlementaires dans ces pays concerne l'ensemble des agents des services de renseignement.

Avant que ne soit votée la disposition étendant le pouvoir d'audition de la délégation parlementaire à tout agent des services de renseignement, il faut mener une réflexion approfondie car les conséquences d'une mesure de cette nature seront fortes. Si, du jour au lendemain, tout fonctionnaire sait qu'il est susceptible d'être entendu par la délégation parlementaire au renseignement, cela risque d'avoir des effets pervers sur le fonctionnement des services et sur la qualité de l'engagement des agents.

Tout est question d'équilibre : si les pouvoirs des services de renseignement sont bien définis, alors le contrôle sur l'exercice de ces pouvoirs peut être poussé.

Il faut avoir conscience que les services fonctionnent selon le principe du « besoin d'en connaître » : chacun d'entre nous est engagé dans une mission dans un cadre précis et ne sait que ce qu'il doit savoir. Les réponses que les agents pourraient apporter à la délégation parlementaire au renseignement pourraient donc être tronquées, faute pour eux d'avoir une vision globale d'une situation. S'il est vrai que la présence à leur côté du directeur de service ayant une vision plus globale peut paraître de nature à pallier cet inconvénient, il n'en reste pas moins qu'il pourrait y avoir des contradictions entre les propos des agents et ceux de leur directeur. L'effet sera alors désastreux. À titre personnel, je suis défavorable à toute mesure qui permettrait à la délégation parlementaire d'entendre n'importe quel agent des services de renseignement. Je conçois cependant que, le cas échéant, un chef de service auditionné par la délégation parlementaire puisse être accompagné par la personne la plus qualifiée pour répondre à un point précis avec la plus grande efficacité et en toute transparence.

Enfin, pour ce qui concerne la géolocalisation, je voudrais tout d'abord rappeler que dans le domaine de la lutte anti-terroriste, nous avons besoin de procéder à des surveillances dans des environnements hostiles. Or il est très difficile de déployer des personnels au sol pendant plusieurs heures au même endroit sans être repéré. Il est donc nécessaire de faire appel à des moyens techniques pour savoir où la personne qui fait l'objet de nos investigations se trouve en temps réel. C'est ce que permet la géolocalisation.

Cette mesure est beaucoup moins intrusive et liberticide que les interceptions des communications dont le régime a été fixé par la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.

Cette loi reconnaît aux services de renseignement, sur autorisation du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), le droit d'intercepter pendant quatre mois les communications de personnes faisant l'objet d'investigations. Or, il est proposé de réduire à une période de dix jours le droit reconnu aux mêmes services de procéder à la géolocalisation de suspects, alors qu'il faut au moins un mois pour déterminer la zone d'évolution géographique et l'arborescence relationnelle des personnes surveillées, c'est-à-dire l'univers dans lequel elles évoluent et les individus qu'elles côtoient.

C'est à partir de là que l'on peut mettre en oeuvre d'autres moyens de surveillance des personnes faisant l'objet d'investigations : des moyens de surveillance physiques avec le déploiement de personnels au sol, ou techniques.

Compte tenu des méthodes aujourd'hui utilisées par les personnes faisant l'objet d'investigations, il faut bien donner aux services de renseignement les moyens d'agir : je ne comprends pas pourquoi on limiterait le droit de procéder à des géolocalisations à une période de dix jours, alors qu'on autorise des interceptions de communications téléphoniques nettement plus intrusives pendant quatre mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion