Intervention de Yves Charpenel

Réunion du 30 octobre 2013 à 16h00
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Yves Charpenel, président de la fondation Scelles :

De mon point de vue de procureur et de responsable d'association, je ne comprends pas qu'on puisse lutter contre le « système prostitutionnel » sans s'attaquer à la fois à l'offre et à la demande, même si ce n'est pas de la même manière. Je ne vois pas d'inconvénient à mettre vingt-cinq ans de prison et à confisquer la totalité du patrimoine d'un trafiquant, mais le client doit être découragé. Depuis plusieurs années, recourir à la prostitution de mineurs ou de personnes vulnérables est un délit. Pourtant, les condamnations sont très rares. Il faudrait commencer par appliquer la loi existante. La gradation contenue dans la proposition de loi est intéressante car il faut s'adapter à la réalité. Oublier le client serait faire preuve d'une grande hypocrisie : on se limiterait à courir après des gens très organisés et adaptables en épargnant celui qui paie.

Quant à la façon de gérer en Europe des approches différentes, je rappelle que les États-Unis et la Chine sont tous deux prohibitionnistes et ce sont les deux pays où la prostitution est la plus répandue et la plus violente. Je ne suis pas un maniaque de la prohibition mais je suis favorable à l'abolition d'un système criminel. Pour vous répondre, je vais citer le témoignage d'une jeune femme serbe qui, à vingt-six ans, avait été vendue douze fois avant d'atterrir dans mon association. Et elle avait eu le « privilège » d'avoir connu des pays abolitionnistes et des pays réglementaires. Elle s'était évadée d'une maison d'amour aux Pays-Bas – maison de débauche en Belgique – et s'était prostituée dans la rue, ou dans les hôtels en France, mais ne voyait aucune différence. La seule question qui vaille est de savoir comment faire baisser le niveau de violence qu'on laisse les gens subir. Sur ce plan, la sanction du client me paraît incontournable.

Même si la coopération est très difficile avec certains pays, je suis aussi favorable à des coopérations bilatérales sachant qu'on arrive à collaborer même avec des pays réglementaristes européens, l'Espagne ou l'Allemagne. L'incrimination de traite aide à parler la même langue mais il est vrai qu'il est plus facile de poursuivre un trafiquant en France qu'en Allemagne. La jurisprudence montre que des Français trafiquant en Allemagne ont été condamnés en France, malgré le caractère officiel de leur activité. C'est le bilatéral qui aidera à avancer.

En s'appuyant sur la notion de contrainte, on peut porter des coups sérieux à la traite car je ne connais pas de prostituée qui ne subisse pas une forme de contrainte, qu'il s'agisse d'un cutter, d'une dépendance à la drogue, voire pour les Nigérianes, du Juju, du vaudou. Cela peut prêter à sourire, tant qu'on n'a pas vu. Les Chinois aussi luttent contre les réseaux car il s'agit d'un défi à l'autorité de l'État, et ils mettent à jour les campagnes de contrainte économique menées par les trafiquants qui enrôlent des villages entiers pour financer l'exploitation de l'une des leurs. Dans les faits, il y a une contrainte, que les textes actuels ou à venir permettent de révéler, une fois avérée l'exploitation.

Il faut en somme une politique globale, qui vienne en aide aux victimes car il s'agit bien de victimes même si l'opinion publique n'est pas encore prête à l'admettre, qui s'attaque aux trafiquants qui ne comprennent que la violence institutionnelle, et qui n'épargne pas les clients. Plutôt que de signer un manifeste hallucinant, que ces derniers se rappellent plutôt que, quand ils achètent les services d'une prostituée, ils alimentent très vraisemblablement une exploitation cruelle.

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