Monsieur le président, vous avez demandé comment différencier les femmes qui ont choisi de se prostituer de celles qui ne l'ont pas choisi.
Dans notre association, qui est une association de santé communautaire créée par des femmes, nous appelons « femmes traditionnelles » les femmes qui ont choisi l'activité prostitutionnelle. Au sein de nos équipes, certaines d'entre elles interviennent. De ce fait, nous avons tous les codes.
Une personne prostituée dite traditionnelle a deux personnalités : une dans sa vie privée, une quand elle travaille. Quand elle travaille, elle change et prend un pseudonyme, se comportant exactement comme une actrice qui joue un rôle. Elle se transforme et met certains vêtements pour recevoir ses clients. Dans sa vie privée, c'est une tout autre personne. Ce dédoublement de personnalité est très important : celles qui n'y parviennent pas se heurtent tôt ou tard à de graves problèmes psychologiques.
Il existe encore des personnes prostituées traditionnelles : des femmes d'un certain âge, qui travaillent sans proxénète, qui exercent leur activité comme une activité normale, tels jours, de telle heure à telle heure. Elles prennent des vacances, s'occupent de leurs enfants, elles ont une vie de famille. Ce sont des femmes à part entière.
Ces femmes ont donc un certain âge. En cas de pénalisation des clients, que vont-elles devenir ? Elles ne voudront pas, ou ne pourront pas, travailler autrement. Et ce n'est pas une question de niveau d'études – certaines ont un solide bagage. Si elles ont choisi la prostitution, c'est aussi pour la liberté et les ressources financières que ce travail leur assure. Pour conforter le propos de Mme Lhuillier, je dirai que ces personnes sont les actrices de leur propre vie et elles n'ont aucun rapport sans préservatif. Leur santé et leur outil de travail, c'est le préservatif.
Si cette proposition de loi est adoptée, toutes les personnes qui sont victimes de la traite seront encore plus exposées. Les « traditionnelles », quant à elles, auront moins de clients et moins d'argent. Et il y a toutes les situations intermédiaires. En effet, on ne peut pas parler de « la » prostitution, mais seulement des différentes formes de prostitution. Chaque personne a sa propre prostitution. Voilà pourquoi la vigilance s'impose. Et ce n'est pas en pénalisant le client que l'on améliorera les choses. Je pense même que ce texte aura des conséquences plus graves encore que le texte sur le racolage passif – en particulier sur la santé de ces personnes.
Il faut certes réagir. La traite, notamment, est insupportable. Peut-être faudrait-il donner davantage de moyens à la police… Mais, pour être efficace, il faudrait accorder un statut aux prostituées. Tolérer ne signifie rien. Il faut un cadre pour les femmes prostituées qui ont voulu exercer cette activité et veulent être reconnues en tant que telles. Cela contribuerait d'ailleurs à diminuer le nombre des réseaux.