Vous m'auriez posé la question quand j'avais dix-sept ans, je vous aurais dit que j'avais choisi de me prostituer et que j'étais super-heureuse. J'appelle cela le choix désespéré. Évidemment on a toujours le choix : face à ce qui nous arrive, on a le choix de dire oui ou de dire non. Quand cela m'est arrivé, j'ai fait le choix de me laisser faire, de subir, parce que j'avais peur, parce que je n'étais qu'une gosse. Si c'est ça qu'on appelle choisir, alors j'ai choisi. C'est un comportement autodestructeur. Je me disais que j'avais fait ce choix parce que je ne pouvais pas faire autre chose de ma vie, parce que je n'étais pas grand-chose. C'est seulement aujourd'hui que j'ai le recul suffisant pour le comprendre, parce que je fais un travail qui me passionne et qui me permet de me réaliser. Que toutes les personnes qui prétendent être heureuses de se prostituer apprennent à connaître les richesses qui sont en elles et leur capacité créatrice, au lieu de se raconter des histoires. Auraient-elles envie de voir leurs propres enfants sur le trottoir ?
Les personnes qui choisissent de se prostituer ne savent pas ce qui va leur arriver. On dit qu'une épine d'expérience vaut une jungle de conseils : seule l'expérience vous apprend ce qu'est la prostitution. Comment expliquer le goût de la fraise à qui n'en a jamais mangé ? Le problème c'est qu'une fois qu'on y est, il est très difficile de s'en sortir. Je connais une femme qui, à soixante-dix ans, est encore sur le trottoir. Y a-t-il un âge où la prostitution n'est plus tolérable ? Où est la liberté de cette femme ? C'est son seul gagne-pain : elle n'aura ni retraite ni possibilité d'insertion professionnelle, rien, que dalle ! C'est pour ça qu'il est important de former des travailleurs sociaux à accueillir cette souffrance.
Quand on a honte, soit on se cache, soit on prétend que tout va bien. Cela permet de garder une belle image de soi. Prétendre qu'on est libre est un moyen de préserver sa dignité.