Intervention de Laurence Noëlle

Réunion du 31 octobre 2013 à 10h00
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Laurence Noëlle :

Avant d'en sortir, il faut comprendre comment on y rentre. Chaque fois qu'il y a prostitution, il y a vulnérabilité. Vulnérabilité économique, comme on peut le voir lorsque des réseaux de proxénètes enlèvent des femmes dans les pays de l'Est – une fois qu'elles sont là, on les menace de tuer leurs enfants pour les contraindre ; mais aussi vulnérabilité psychologique.

La mienne relevait de la seconde catégorie. J'ai eu une enfance assez violente. Je me suis convaincue que j'étais un objet méprisable, puant, et pas une petite fille. Je devais être vraiment une mauvaise fille pour que Maman ne m'aime pas ; si Papa m'avait abandonnée à ma naissance, c'est que je ne méritais vraiment pas de vivre. C'est en tout cas l'analyse que j'ai pu en faire avec le recul, au moment où j'écrivais mon livre, et qui m'a permis de comprendre pourquoi j'avais eu tant de comportements destructeurs. Pourquoi donc le hasard a-t-il voulu que je tombe sur un réseau de proxénètes ? Cela n'arrive tout de même pas tous les jours ! C'est ce manque d'amour, le mépris de moi qui ont permis que je me laisse faire lorsque c'est arrivé.

On m'a dit : « Maintenant, tu vas rue Saint-Denis, et tais-toi ! » Je travaillais la nuit, avec de faux papiers puisque j'étais mineure. En même temps, je peux aujourd'hui dire que c'est parce que je crevais d'amour que j'ai voulu m'en sortir. J'avais acheté un doberman pour me protéger – une petite chienne, que je mettais dans mon manteau. Enfin, j'avais de l'amour à donner !

J'avais une maladie vénérienne, qui m'obligeait à m'allonger ; j'avais des piqûres – dans les fesses. Mais à dix-sept ans, on est un joli rosbif bien frais, toute belle, toute jeune. C'était donc trente clients par nuit : je montais, je descendais, je montais, je descendais. Les femmes plus âgées étaient jalouses, car je montais tout le temps.

Un jour, mon proxénète m'a menacée de me prendre ma chienne. Pour la première fois de ma vie, en mon for intérieur, j'ai dit non. J'ai eu une chance dont je me rappellerai toute ma vie. Rue Saint-Denis, deux bénévoles du Nid étaient venus me voir. J'avais peur, car j'étais tout le temps surveillée. Ils m'avaient remis leur carte de visite, que j'avais conservée précieusement. Le jour où mon proxénète m'a menacée, j'ai pris le téléphone, parce que je ne voulais pas qu'on m'enlève ma chienne. Cela fera bientôt vingt-neuf ans. « Pourquoi venez-vous me voir ? » m'a demandé une voix – celle de Bernard Lemaître, ancien président du Nid. « Je viens vous parler d'amour », lui ai-je répondu – c'est un moment que je n'oublierai jamais. Il m'a écoutée attentivement, avant de me dire : « Laurence, c'est simple. Soit nous allons chercher tes affaires, soit je ne suis pas sûr de te revoir. À un moment ou à un autre, tu vas mourir. » Je lui ai dit oui, car il me rassurait – il avait du charisme, de l'amour. Nous sommes allés chercher mes affaires. J'ai pris le strict nécessaire ; le lendemain, je prenais un avion pour l'Angleterre.

Je voudrais rendre hommage à ces associations. Il y a des moments où j'ai envie de tout arrêter, de ne plus me montrer. Mais à chaque fois, je pense à la Fondation Scelles, au Nid, à l'Association contre la prostitution des enfants (ACPE) ou à Zéromacho, qui me soutiennent – encore aujourd'hui – pour faire sortir cette parole de la honte et du silence.

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