En préambule à l'examen des crédits de la mission « Santé », il faut rappeler que l'essentiel des actions menées en matière de santé publique est financé par les organismes de sécurité sociale et relève donc de la loi de financement de la sécurité sociale. La mission « Santé » compte cependant dans son périmètre des sujets particulièrement importants pour nos concitoyens, notamment l'éducation, la prévention ou la recherche.
La hausse apparente des crédits affectés à cette mission cache la diminution de ceux du programme 204 relatifs à la prévention et à la politique sanitaire : en réalité seuls les crédits destinés à l'AME sont en augmentation.
Ce constat m'amène à vous interroger sur les moyens que vous entendez consacrer à la prévention en matière de santé. Je regrette que notre système de soins français soit d'abord organisé et structuré autour de la maladie et de sa prise en charge plutôt qu'il ne permet une véritable économie de la santé. Jusqu'à présent, seule l'éducation nationale permet une approche globale de l'état de santé des Français.
Lors de la présentation de votre stratégie nationale, vous avez fait de la prévention une priorité. Or, le projet de budget pour 2014 ne concrétise pas cette orientation. Quand connaîtrons-nous les arbitrages financiers dans ce domaine ?
Christian Estrosi avait souligné l'an dernier, en tant que rapporteur spécial de ces crédits, la nécessité de rationaliser le fonctionnement des nombreux opérateurs qui concourent à la politique de santé. Vous aviez indiqué avoir engagé une réflexion en ce sens sur la base de rapports qui devaient être rendus à la fin de l'année 2012. Or rien ne change cette année : est-ce à dire que vous avez reporté votre décision ou que l'organisation actuelle vous satisfait ? Avez-vous renoncé à réformer ?
En matière de projets structurants, je note que l'indécision l'emporte aussi pour ce qui concerne le dossier médical personnel (DMP) dont le déploiement se fait attendre alors que son utilité est unanimement reconnue.
J'aimerais aussi que vous m'apportiez des réponses précises sur l'aide médicale de l'État. Vous conviendrez qu'il est urgent de traiter cette question loin de tout esprit partisan, sans idéologie ni polémique. N'ayant obtenu de votre ministère que des informations parcellaires et aucune sur les prévisions de dépenses de l'année 2013, j'ai été contraint d'opérer un contrôle sur place et sur pièces, conformément à l'article 57 de la LOLF. Les éléments ainsi obtenus ne suffisent toujours pas mais donnent quelques éclairages.
Si la tendance se poursuit en 2013, le montant total des dépenses d'AME atteindra 820 millions d'euros, auxquels il faudra ajouter un manque à gagner de 80 millions d'euros pour les hôpitaux, qui ne bénéficient plus de la dépense d'AME depuis deux ans. Une fois encore, il faudra abonder la dotation initiale via une loi de finances rectificative, ce qui n'est pas une bonne pratique : c'est admettre la vacuité de la prévision initiale et créer un aléa moral susceptible de déresponsabiliser les acteurs.
De surcroît, vous avez supprimé tous les outils de contrôle que nous avions adoptés. Je note aussi que cette dépense n'est soumise à quasiment aucun contrôle, l'État se contentant de rembourser la facture que lui présente la sécurité sociale sans vérifier la réalité de la dépense ! Quant à la sécurité sociale, je ne suis pas sûr du tout qu'elle procède à des contrôles efficaces en la matière.
Il serait donc souhaitable de revoir le système dans sa totalité en le recentrant sur les soins urgents, les mesures de prophylaxie et les soins aux parturientes et aux enfants. Je sais que vous ne partagez pas cette position, mais envisagez-vous néanmoins de faire évoluer l'économie d'ensemble d'un dispositif rendu caduc par l'absence de contrôle ?
Plus précisément, pouvez-vous m'apporter des éléments sur le montant réel de la dépense en Guyane, sur laquelle on ne dispose d'aucune donnée chiffrée ? L'avenir de l'AME à Mayotte pose également question : cette collectivité étant désormais un département français, le dispositif s'y appliquera tôt ou tard et il faudrait en estimer le coût. Je n'ai malheureusement pas pu obtenir le montant des dépenses et du déficit de l'hôpital de Mayotte, dont on dit qu'il est le premier hôpital public de France, avec celui de Guyane, pour certains débats qui nous intéressent.
Mme Bernadette Laclais, rapporteure pour avis. Le projet de budget de la santé pour 2014 me semble placé sous le signe de la responsabilité. Comme les autres missions du budget de l'État, la mission « Santé » contribue au nécessaire effort collectif de redressement des comptes publics, engagé par le Gouvernement avec le soutien de sa majorité. Dans le même temps, les moyens qui y sont consacrés – près de 1,3 milliard d'euros – permettront de financer les priorités de la nouvelle stratégie de santé.
Le projet de budget préserve les moyens des opérateurs, tout en exigeant d'eux des efforts raisonnables en matière de dépenses de fonctionnement ; la priorité donnée aux vigilances est réaffirmée ; le pilotage de la politique de santé publique est renforcé ; le travail d'optimisation des dépenses de prévention est poursuivi, afin de gagner en efficience ; le soutien à la formation médicale est accru. Enfin, le Gouvernement assume ses responsabilités en prévoyant pour l'aide médicale de l'État des crédits adaptés aux besoins, compte tenu des dépenses attendues.
L'année 2014 sera celle de la mise en oeuvre de la nouvelle stratégie nationale de santé, présentée par Mme la ministre le 23 septembre dernier. Il m'a semblé intéressant, dans cette perspective, d'axer mes travaux sur un des aspects de cette nouvelle donne pour la politique de santé publique : la réforme à venir de notre dispositif de veille et de sécurité sanitaires.
Après avoir traité, l'an dernier, de la profonde réorganisation de l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), j'ai donc choisi d'étudier plus particulièrement notre système de veille sanitaire et l'opérateur qui en a la charge, l'Institut de veille sanitaire.
J'ai pu constater que ce système et son opérateur ont su, au fil des alertes, s'adapter pour gagner en efficience. Nous sommes désormais dotés d'un dispositif globalement performant en comparaison de nos voisins européens. Mais ce dispositif est aussi complexe, lourd et, dans certains domaines, hétérogène. Le précédent directeur général de la santé, M. Jean-Yves Grall, vous a remis en juillet dernier un rapport fort intéressant sur les évolutions souhaitables en matière de veille sanitaire. Pourriez-vous nous faire part de votre sentiment général sur ses propositions ? Plus particulièrement, le Gouvernement entend-il engager une refonte de l'expertise sanitaire à l'échelon national en distinguant deux blocs, comme suggéré par M. Grall : une agence « pivot », qui serait l'ANSM, et une agence « vigie », qui serait l'Institut de veille sanitaire (InVS) ? Pourrait-on envisager de donner un rôle en matière de prévention à l'Institut de veille sanitaire, afin de mieux préparer les réponses aux crises et aux alertes ?
S'agissant de l'organisation de la veille sanitaire à l'échelon régional, les auditions m'ont permis de constater que la situation actuelle n'est satisfaisante pour personne : ni pour l'Institut de veille sanitaire, dont certaines cellules interrégionales d'épidémiologie (CIRE) manquent d'effectifs, ni pour les ARS, qui ne disposent pas d'outils leur permettant d'exercer au mieux leurs responsabilités en matière de veille et de sécurité sanitaires.
Le rapport qui vous a été remis en juillet dernier suggère de procéder à des regroupements fonctionnels des multiples dispositifs régionaux de veille sanitaire, sous la forme de groupements d'intérêt public placés auprès des agences régionales de santé. Cette piste séduisante permettra-t-elle de garantir un pilotage scientifique effectif de la veille sanitaire par l'InVS, qui semble devoir être le réfèrent dans ce domaine ? Une telle organisation ne risquerait-elle pas de mettre à mal la nécessaire séparation entre, d'une part, l'expertise scientifique et, d'autre part, la prise de décision pour gérer les alertes ? Sur un plan budgétaire, le financement de ces groupements serait-il assuré par la seule mission « Santé » ?
L'un des principaux défauts de notre système de veille sanitaire réside dans la complexité de la déclaration des événements sanitaires, qui conduit à une sous-déclaration préoccupante. Du fait de la multiplicité des canaux, notifier un cas à l'autorité compétente s'apparente à un parcours du combattant. Le Gouvernement semble envisager la création d'un portail unique de déclaration, qui serait ouvert aux professionnels de santé et aux usagers du système de santé. Cela constituera une avancée indéniable, pour un coût, semble-t-il, modeste. Mais gagner en efficacité suppose aussi d'accroître le nombre de professionnels de santé participant à l'activité de veille sanitaire. Celle-ci est pour l'instant peu reconnue : c'est le cas, par exemple, du travail précieux fourni par les médecins du réseau Sentinelles. Pourrait-on envisager de mieux valoriser cette activité, via, par exemple, sa prise en compte dans le développement professionnel continu ?
Investir dans la veille sanitaire permettra de réaliser des économies dans l'avenir : par une détection précoce et performante des signaux, on évite la diffusion de pathologies, et donc des coûts qui peuvent être importants. Dès lors, il me semble qu'il faut garantir à l'Institut de veille sanitaire des moyens à la hauteur de ses besoins. C'est le cas dans le projet de budget qui nous est présenté. Il conviendra de poursuivre dans la même voie dans les années à venir. En particulier, pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que la capacité de l'InVS à recourir à des experts internationaux reconnus sera préservée ? Il s'agit en effet d'un enjeu crucial pour garantir le maintien de la qualité de ses travaux.
Je tiens à souligner le fait que le 10 octobre dernier, date butoir pour le retour des questionnaires envoyés à votre ministère, 93 % de mes questions avaient reçu une réponse. Je vous en remercie.