Intervention de Christine Passagne

Réunion du 5 novembre 2013 à 9h30
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Christine Passagne, conseillère technique au Centre national d'information des droits des femmes et de la famille :

Depuis les années quatre-vingts, les violences sexistes ont fait l'objet de plusieurs législations et politiques pénales très rigoureuses. Les politiques actuellement menées par l'État conjuguent répression et prévention, avec une volonté claire de protéger les victimes. Si des lois successives ont organisé la répression des multiples violences dont sont victimes les femmes comme les violences conjugales, les violences sexuelles, le harcèlement moral ou sexuel, aucune n'a établi le statut de victime pour les personnes prostituées.

La prohibition de l'achat d'acte sexuel et son corollaire, la répression du recours à la prostitution, nous semblent s'inscrire dans le processus législatif tendant à la répression et à la prévention des violences sexistes.

En France, le client d'une personne prostituée ne peut aujourd'hui faire l'objet de poursuites pénales, sauf si la personne est mineure ou vulnérable. Il n'y a que dans le cadre du proxénétisme que la loi considère la personne prostituée comme une victime. Nulle part n'est pris en compte le fait que l'achat d'acte sexuel s'inscrit dans un processus de violence sexiste. La légitimation du recours à la prostitution a pour effet pervers de gommer son caractère délictuel et d'occulter les violences connexes dont sont souvent victimes les personnes prostituées, comme les coups et blessures ou les vols.

Au-delà de son caractère répressif, une loi posant l'interdit du recours à la prostitution aurait un effet pédagogique, en particulier auprès des jeunes, terreau de la société future.

Si l'idée d'abroger le délit de racolage semble peu controversée, celle de réprimer le recours à la prostitution est plus polémique. Cela nous semble pourtant fondamental. Il serait paradoxal qu'un pays se déclarant officiellement abolitionniste n'interdise pas le recours à la prostitution. L'interdiction de la marchandisation de l'acte sexuel et la pénalisation des clients de la prostitution sont en effet les prémisses de toute politique abolitionniste.

Nous approuvons donc la disposition de votre proposition de loi visant à interdire l'achat d'acte sexuel. Mais alors qu'il est proposé de le punir d'une contravention de cinquième classe, étant rappelé que les contraventions relèvent d'ailleurs du seul pouvoir réglementaire, nous préférerions que soit instauré un délit.

Tout d'abord, en matière délictuelle, la procédure pénale offre plus de possibilités de prononcer des mesures alternatives aux poursuites, comme des stages de sensibilisation qui, en l'espèce, seraient adaptés. Ensuite, sur un plan symbolique, la sanction délictuelle sera plus dissuasive qu'une sanction contraventionnelle prononcée par un simple tribunal de police.

Nous ne pensons pas en revanche, qu'il soit nécessaire de sanctionner ce délit par une peine de prison. Nous proposons qu'il soit fixé, à titre de peine principale, une amende de 3 750 euros. Contrairement à ce qui a pu être dit, cela ne pose pas de problèmes sur le plan juridique : le législateur peut parfaitement ne sanctionner un délit que d'une peine d'amende, à condition que celle-ci soit au moins de 3 500 euros. Il s'agirait de la peine maximale encourue, le tribunal pouvant bien entendu prononcer une peine inférieure.

L'interdiction du recours à la prostitution ne fait pas encore partie de nos représentations sociales. Si une loi était prise en ce sens, ce serait le premier élément d'un processus d'acculturation vers une société égalitaire ne cautionnant pas la réification du corps des femmes et dans laquelle la prostitution aurait été abolie. La prostitution ne pourra commencer de diminuer, voire de disparaître, que si l'achat d'acte sexuel est considéré comme socialement répréhensible au même titre que les autres violences faites aux femmes. En posant un interdit, la loi a nécessairement un effet structurant sur les réalités sociales.

Je terminerai par cette citation de Daniel Sibony : « La loi est faite pour libérer les hommes de l'esclavage, de la violence, du chaos. Si elle les avilit ou les rend esclaves, c'est que le rapport même à la loi s'est perverti et qu'il faut le dépasser. »

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