Intervention de Judith Trinquart

Réunion du 5 novembre 2013 à 9h30
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Judith Trinquart, médecin légiste, secrétaire générale de l'association Mémoire traumatique et victimologie :

Je suis plus particulièrement chargée du dossier prostitution au sein de l'association Mémoire traumatique et victimologie, qui lutte contre toutes les formes de violences, notamment sexuelles.

Plusieurs études anglo-saxonnes montrent que 80 % à 95 % des personnes en situation de prostitution ont subi antérieurement des violences sexuelles, qu'il s'agisse d'inceste, d'actes de pédophilie ou de viols. Ce lien entre violences sexuelles subies et entrée en prostitution n'a d'ailleurs pas échappé aux proxénètes qui utilisent ces violences comme méthode de dressage – nous avons tous entendu parler de ces maisons de dressage en Europe de l'Est où des femmes sont violées à répétition et de manière collective pour les rendre dociles avant qu'elles ne soient envoyées se prostituer dans nos capitales.

La situation de prostitution est un continuum de violence : 60 % à 65 % des personnes prostituées ont déjà été violées en situation de prostitution, par leurs proxénètes mais surtout par leurs clients. L'idée ancestrale selon laquelle la prostitution permettrait d'éviter des viols n'a donc pas de fondement. Les personnes en situation de prostitution sont également victimes de toutes sortes d'autres violences, physiques et psychologiques : coups à main nue, coups avec objet… Selon un rapport remis en 2006 par la députée européenne Maria Carlshamre, elles ont 60 à 120 fois plus de risques de mourir que la population générale.

Lorsqu'une personne est exposée à une violence extrême, son cerveau libère des substances permettant au corps d'éviter d'en mourir à ce moment-là mais va s'ensuivre un enchaînement de mécanismes par lesquels cette personne développera ultérieurement soit des conduites d'évitement des situations de violence, soit au contraire des conduites de surexposition. En effet, les substances sécrétées agissent comme des endorphines, si bien que la personne en devient dépendante et cherche à s'exposer de nouveau. C'est ainsi que se constitue ce que nous appelons la mémoire traumatique. C'est ce mécanisme qui explique que certaines femmes vivent à répétition par exemple avec des conjoints violents. La mémoire traumatique peut se constituer durant l'enfance chez un enfant maltraité, ou plus tard chez une personne régulièrement tabassée par exemple.

Le syndrome de stress post-traumatique – post-traumatic stress disorder, PTSD –, qui recouvre de multiples symptômes, apparaît chez des individus ayant été exposés à une situation de violence extrême ou ayant vécu une catastrophe. Il a été diagnostiqué pour la première fois chez des soldats américains de retour de la guerre du Vietnam : 18 % en étaient atteints. Étudiant ce syndrome sur un échantillon de plus de 500 personnes prostituées dans cinq pays différents, la psychologue américaine Melissa Farley a constaté que 67 % en souffraient.

La pénalisation du client est importante pour la reconstruction des personnes prostituées. Comment leur expliquer que la prostitution constitue une violence si les auteurs de cette violence ne peuvent faire l'objet d'aucune sanction ? Pour les victimes de viols ou de violences conjugales, une réparation judiciaire est aujourd'hui possible. Il serait incompréhensible qu'il n'en aille pas de même pour les victimes de la prostitution.

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