Intervention de Claire Quidet

Réunion du 5 novembre 2013 à 9h30
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Claire Quidet, animatrice du collectif Abolition 2012 et porte-parole du mouvement du Nid :

Le collectif Abolition 2012, dont les associations ici représentées font partie, regroupe plus de 55 associations qui accompagnent les victimes de toutes formes de violences faites aux femmes.

L'appel Abolition 2012, émis par ce collectif, visait à l'adoption d'une loi abolissant le système prostitueur. Celui-ci, comme toutes les violences masculines faites aux femmes, s'enracine dans des rapports archaïques et inégalitaires entre les hommes et les femmes. Il aura fallu très longtemps à nos sociétés pour que certaines de ces violences soient reconnues et, enfin, réprimées comme délits ou comme crimes. Même s'il reste beaucoup à faire, les violences faites aux femmes sont de mieux en mieux combattues, tant mieux. Mais il en reste une, où s'exerce la domination masculine et qui traduit un sexisme criant, à laquelle on n'a pas encore cherché à mettre fin et dont les auteurs en tout cas restent impunis : la prostitution. Bien qu'elle soit le lieu où s'exercent les pires formes de violence et bien qu'en 2010, année où les violences faites aux femmes avaient été déclarées grande cause nationale dans notre pays, elle ait été officiellement incluse parmi ces violences, la prostitution est encore largement tolérée, voire justifiée et même parfois promue avec complaisance, comme le débat lancé autour de votre proposition de loi a permis de le constater.

La violence existe en amont de la prostitution puisque bien souvent, cela a été dit, les personnes qui y entrent ont subi antérieurement des violences qui ont, hélas, constitué un terreau propice de vulnérabilité, les conduisant à s'exposer à des situations où elles revivront ces traumatismes, comme l'a expliqué Judith Trinquart. La violence se retrouve également dans la situation de prostitution elle-même, avec la violence des proxénètes, que ceux-ci soient dits « de proximité » – n'oublions pas qu'ils sont souvent les compagnons des personnes prostituées – ou appartiennent à des réseaux organisés, et la violence des clients. Diverses enquêtes ont montré que les premiers agresseurs des personnes prostituées étaient leurs clients. Il y a enfin la violence intrinsèque et inhérente même à la prostitution, qui est de subir à répétition des actes sexuels non désirés.

Comment continuer aujourd'hui de tolérer, d'excuser, de justifier ces violences ? Il est grand temps d'adopter une législation conforme à l'idée que nous nous faisons des relations entre les femmes et les hommes. Il serait incohérent de prétendre lutter contre toutes les violences faites aux femmes et de continuer à ignorer la prostitution, qui constitue un obstacle absolu à toute égalité réelle entre les femmes et les hommes.

La prostitution ne concerne pas seulement les personnes prostituées. Cela rejaillit sur l'ensemble de la société, notamment sur toutes les femmes puisque les personnes prostituées sont en grande majorité des femmes – nous n'oublions pas pour autant les hommes prostitués. Certaines femmes qui habitent dans des quartiers où il existe encore une prostitution de rue nous rapportent y être dix fois plus victimes d'injures à caractère sexiste que dans les quartiers où elles travaillent s'il n'y a pas de prostitution. Dans un quartier où ils voient des prostituées, certains hommes considèrent donc l'ensemble des femmes comme des prostituées potentielles à qui l'on pourrait imposer un acte sexuel en l'achetant. Des associations qui luttent contre le harcèlement sexuel au travail nous expliquent également que dans certains bars, on demande aux serveuses de s'habiller « comme des putes », parce que cela attire davantage la clientèle. Cela signifie que pour un certain nombre de personnes, des hommes majoritairement, il est rassurant de trouver encore ce genre de lieux, « où les choses sont à leur place », avec, d'un côté, des hommes qui dominent et choisissent, et, de l'autre, des femmes qui sont soumises et choisies. Si de grandes avancées ont eu lieu en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, certains sont visiblement nostalgiques de relations inégalitaires.

Nous manquerons de cohérence tant que nous dirons lutter contre l'ensemble des violences faites aux femmes, et nous le faisons même s'il reste encore des progrès à faire, si nous n'allons pas jusqu'au bout en y incluant, de manière volontariste et sans hésitation, celle que constitue la prostitution. Des pays du Nord de l'Europe ont franchi cette étape pour que les femmes puissent vivre en paix chez elles, sur leur lieu de travail et dans l'espace public. Il est temps pour notre pays de faire lui aussi ce pari, de façon que les générations futures grandissent avec une nouvelle norme en tête et apprennent dès leur plus jeune âge que, de même qu'on ne tape pas un camarade dans la cour de récréation, on n'achète pas un acte sexuel. Par son caractère normatif, la loi peut aider à cette évolution des mentalités.

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