Intervention de Rudy Salles

Réunion du 6 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles, rapporteur pour avis :

La presse écrite est prise dans une spirale extrêmement préoccupante. La crise semble même s'être récemment aggravée, ce qui laisse craindre les pires difficultés à court et moyen termes.

Or, alors que le Président de la République s'était engagé pendant la campagne électorale à refondre totalement les aides à la presse, non pour les remettre en cause mais pour « mieux les cibler vers le lecteur citoyen », le projet de loi de finances pour 2014 fait l'exact inverse. Les aides à la presse subissent ainsi un recul spectaculaire de 27,6 %, passant de 395 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013 à 285 millions d'euros dans le présent projet de loi. Dans le dossier de presse qui accompagne le projet, on peut lire que « la réforme des aides à la presse se met en place dès 2014 avec pour objectif de mieux accompagner les mutations rapides du secteur et de renforcer le ciblage des aides ». Affirmation pour le moins surprenante, car le ciblage ne progresse aucunement, comme le montrent clairement les indicateurs, et le projet se borne à réduire brutalement les aides, ce qui se traduira inéluctablement par des arrêts de titres et des suppressions d'emplois.

Cette baisse soudaine touche en particulier l'aide au transport postal de la presse. Pour soutenir celle-ci face à l'aggravation de la situation économique, l'ancien Président de la République avait décidé en janvier 2009 un allégement du coût du transport postal sous la forme d'un moratoire sur les augmentations des tarifs postaux, financé par l'État. La remise en cause de ce moratoire se traduit à compter de 2014 par une diminution brutale de 31,8 millions d'euros de l'aide postale, alors que le secteur connaît une crise profonde et avant même que ne soit envisagée une réforme globale des aides à la distribution. Cette mesure, qui aura de très graves conséquences sur le secteur, a été décidée sans étude d'impact. Le ministère de la culture indique d'ailleurs ne pas en connaître l'impact par famille de presse. Au moment de voter les crédits de ce programme, souvenons-nous qu'aucune entreprise ne saurait sortir indemne de telles augmentations du coût de la distribution dans l'état actuel du marché, très détérioré depuis 2009.

Les crédits de l'aide postale – principale aide à la presse –, en diminution de 40 %, sont intégralement évacués vers la mission « Économie », Mme la ministre l'a confirmé devant nous hier soir. L'on ne peut que déplorer ce tour de passe-passe budgétaire ; il montre que les impératifs d'affichage du ministère de la culture l'ont malheureusement emporté sur l'objectif de transparence et de lisibilité de la politique de soutien à la presse.

Parallèlement au renchérissement du transport postal, le soutien au portage, alternative d'avenir à ce dernier, régresse encore. En deux ans, il aura diminué de 20 %. Alors que le Président de la République s'est engagé à maintenir cette aide cruciale à 37,6 millions d'euros jusqu'en 2015, elle a été ramenée à 28,3 millions en 2013, après mesures de gel budgétaire, ce qui correspond à une diminution de 37 % par rapport à 2012.

L'accompagnement de la mutation numérique est présenté comme une priorité, mais la presse en ligne reste pénalisée par l'application d'une TVA de 19,6 %, qui passera à 20 % à compter de janvier prochain. Il faut remédier au plus vite à cette situation intenable. La ministre a pris hier soir des engagements en ce sens : acceptons-en l'augure.

Alors que le fonds stratégique pour le développement de la presse, principale aide à la modernisation, est également présenté comme une priorité budgétaire, 35,8 % de ses crédits sont gelés en 2013 et son montant baisse de plus de 20 % en deux ans pour être ramené à quelque 30 millions d'euros. Le groupe de travail sur les aides à la presse auquel a participé notre collègue Michel Françaix, et qui a rendu ses conclusions en avril dernier, a préconisé de faire de ce fonds l'instrument central du soutien public à la presse ; on en est loin.

Ce groupe de travail a également proposé de supprimer la réduction du tarif SNCF pour le transport de la presse et d'en reverser les crédits – 4,5 millions d'euros – au fonds stratégique. Or, si la réduction du tarif SNCF est bien supprimée, les crédits correspondants ne bénéficient malheureusement pas à l'aide à la modernisation du secteur.

La fusion annoncée des trois sections du fonds stratégique afin de « supprimer tout cloisonnement entre les projets aidés » constitue une mesure de simplification bienvenue, mais c'est aussi l'unique mesure de réforme issue d'une année de réflexion sur la refonte des aides à la presse.

Quant à la presse quotidienne régionale (PQR), sur laquelle j'ai souhaité faire le point dans le cadre de cet avis, elle bénéficie d'atouts importants mais traverse une crise majeure, comme le reste du secteur.

Chaque année, la PQR diffuse 1,7 milliard d'exemplaires, ce qui représente 70 % des exemplaires diffusés par la presse d'information politique et générale et 44 % des exemplaires diffusés par l'ensemble de la presse française. Ainsi constitue-t-elle, aujourd'hui encore, le principal vecteur d'information du pays. L'information de proximité, régionale et locale, demeure son principal atout. En outre, elle n'est pas soumise au même système coopératif de distribution que la presse quotidienne nationale, aujourd'hui en grande difficulté. Enfin, contrairement à ce que l'on entend parfois, la PQR a engagé d'importantes réformes pour s'adapter aux mutations de son environnement. Elle représente déjà un acteur majeur du numérique, grâce à une croissance de 40 % par an de l'audience de ses 45 sites, qui totalisent 16 millions de visiteurs uniques par mois.

Néanmoins, sa mutation numérique est lourdement entravée, comme celle des autres familles de presse, par le taux de TVA applicable à la presse en ligne, dont nous pouvons toutefois espérer qu'il évolue. Elle se heurte en outre à l'absence de modèle économique du développement numérique, qui génère à peine 10 % de son chiffre d'affaires. La diffusion papier demeure donc vitale, comme les aides afférentes.

Malgré les atouts dont elle dispose, la PQR traverse une crise grave, qui s'est aggravée au cours des deux dernières années. En huit ans, de 2004 à 2012, sa diffusion a perdu 800 000 exemplaires imprimés – l'équivalent du tirage d'Ouest-France – et l'érosion s'accélère depuis 2012. En outre, son chiffre d'affaires publicitaire connaît une baisse brutale depuis 2009 ; il a diminué de 21 % depuis 2007, ce qui représente une perte de 227 millions d'euros.

Or, mon rapport le montre, le système des aides à la presse n'est pas du tout favorable à la PQR. Alors que celle-ci diffuse 70 % des exemplaires de presse d'information politique et générale, elle a bénéficié en 2012 de seulement 25 % des aides directes. En particulier, elle ne touche qu'environ 15 % de l'aide postale, source principale d'aide, et n'est pas concernée par l'aide à la distribution des quotidiens nationaux. C'est dire l'importance de l'aide au portage pour cette famille de presse qui déclare 85 % des volumes portés.

L'Humanité, La Croix et Libération touchent respectivement 48, 32 et 27 centimes d'aide par exemplaire diffusé ; Le Monde et Le Figaro bénéficient respectivement de 19 et de 17 centimes, et les hebdomadaires d'information politique touchent de 20 à 30 centimes. Les aides à la PQR sont très inférieures : elles varient de 4 à 7 centimes selon les titres, qui sont donc moins aidés que les magazines de programmes de télévision ou que le magazine Elle, par exemple, qui touche 16 centimes par exemplaire.

Cette répartition inéquitable doit être rectifiée d'urgence. En 2012, La Poste a bénéficié d'une compensation d'environ 40 millions d'euros pour diffuser 10 % de la PQR, alors que celle-ci percevait, pour 50 % de sa diffusion, une aide au portage de 30 millions d'euros. L'aide au transport postal représente donc en moyenne 24 centimes par exemplaire, contre 5 centimes pour l'aide au portage.

Comme l'indique la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2013 sur les aides de l'État à la presse écrite, « d'une manière générale, l'existence d'aides au portage, au transport postal, au transport par la SNCF ou d'aides au système de distribution au numéro, sans conception d'ensemble ni cohérence globale, a conduit avec le temps à rendre certains modes de diffusion moins chers que d'autres, sans réelle justification ni considération tenant à la qualité du service rendu. Elle a induit, auprès des éditeurs de presse, des décisions contraires à ce qu'aurait été un choix économiquement rationnel ». Une politique plus neutre pourrait donc se substituer à l'actuelle politique de soutien spécifique à chaque mode de diffusion et de tarifs administrés. Elle pourrait prendre la forme d'une aide unique et globale à l'exemplaire diffusé, ne portant pas sur un mode de diffusion particulier mais laissant les entreprises de presse libres de choisir ceux leur paraissant les plus adaptés à leurs besoins. Ces aides pourraient être ciblées sur la presse qui n'est pas purement récréative.

Cette option n'étant pas retenue pour l'instant, il convient à court terme de veiller à tout le moins à ce que le calcul de l'aide au portage n'aggrave pas les défauts du système. Or mon rapport montre que ses modalités, inutilement complexes, induisent d'importantes distorsions contraires à l'équité. Alors que l'aide au transport postal a été d'emblée définie comme une aide structurelle poursuivant un objectif d'intérêt général – la diffusion de la presse –, l'aide au portage a été conçue comme une mesure hybride, à la fois structurelle et transitoire. Cette confusion, qui explique la complexité des modalités de calcul, a nourri une polémique stérile et inaboutie sur son bilan et sur la bonne répartition entre l'aide au flux – l'incitation à la transition du postage au portage – et l'aide au stock – l'aide structurelle à la diffusion par portage. Les conditions d'attribution de l'aide ont ainsi été modifiées chaque année afin de limiter l'aide au stock, accusée d'entraîner un effet d'aubaine au profit de la PQR – ce qui n'a pas de sens puisque celle-ci déclare 85 % des volumes portés mais n'a perçu que 70 % de l'aide en 2012.

Le mode de calcul de l'aide au portage conduit à des écarts très marqués par exemplaire porté qui ne sont pas favorables à la PQR : les titres de PQR qui ne bénéficient pas des aides au pluralisme touchent 2,7 centimes en moyenne, contre 20,7 centimes pour les quotidiens nationaux qui perçoivent ces aides. Ces distorsions résultent notamment de la valorisation excessive du flux et de la prise en considération du portage de journaux par paquets. Si effet d'aubaine il y a, ce n'est pas à la PQR qu'il a bénéficié, mais à la presse quotidienne nationale, dont le portage est effectué en grande partie par paquets dans des hôtels et des aéroports et non au domicile des abonnés.

La ministre a annoncé une revalorisation supplémentaire de l'aide au flux et une bonification en faveur du portage multi-titres. De telles mesures risquent d'accentuer encore les distorsions que je viens d'évoquer et de rendre encore plus inéquitable et illisible la répartition des aides à la diffusion. Comment transformer aussi profondément une filière lorsque le cadre incitatif qui la sous-tend est imprévisible ? Pourquoi un éditeur instaurerait-il un service de portage qu'il ne serait pas assuré de maintenir durablement ?

Enfin, comme les acteurs de la PQR, je regrette vivement la suppression, dans la loi de finances initiale pour 2013, de l'opération « Mon journal offert », qui permettait d'aider la presse citoyenne à relever le défi que constitue la reconquête du jeune public, enjeu majeur.

Pour toutes ces raisons, j'émets un avis défavorable sur les crédits du programme « Presse » de la mission « Médias, livres et industries culturelles ».

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