Mon intervention portera principalement sur trois axes : d'abord sur la LPM, le budget, les équipements et les conséquences des choix effectués sur l'industrie de défense et le maintien en condition opérationnelle, ensuite sur les effectifs et le rééquilibrage des effectifs militaires-civils dans les fonctions de soutien, enfin sur les éléments budgétaires relatifs à la condition des personnels civils.
La LPM fixe un cap d'ici à 2019 et prévoit des crédits présentés comme constants, soit 189,98 milliards d'euros dont 6,1 milliards de recettes exceptionnelles. Nous émettons des réserves sur ces dernières puisque leur réalisation n'est en aucun cas garantie. Même si le projet de LPM prévoit qu'en cas de modifications substantielles, d'autres recettes exceptionnelles seraient mobilisées, nous pouvons légitimement nous interroger. Pardonnez-moi l'expression, ça ne mange pas de pain et n'engage que ceux qui y croient. N'est-ce pas le même artifice budgétaire qui explique en partie le trou de quelque trois milliards d'euros de l'actuelle LPM ?
Quand bien même ces 6,1 milliards d'euros seraient au rendez-vous, encore faudrait-il nous préciser leur répartition et, par exemple, ce que l'on entend par « produit de cessions additionnelles de participation d'entreprises publiques ». Quant au produit de cessions immobilières, permettez-nous là aussi d'être plus que dubitatifs. Du reste, si l'on se réfère au rapport d'information de votre commission sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, qui lui-même se réfère au rapport de la Cour des comptes, il aura manqué au budget de la Défense quelque 1,14 milliard d'euros.
Mieux, nous découvrons que 29 emprises pour une valeur globale de 51,64 millions d'euros ont été cédées à l'euro symbolique. Vendre 29 euros des biens qui en coûtent presque 52 millions, vous avouerez qu'on peut mieux faire en matière de bonne gestion des deniers publics, dont de nombreux donneurs de leçons nous parlent à longueur d'année. Même si le sujet ne prête pas à l'humour, nous espérons au moins que les 29 euros ont bien été recouvrés.
Nous avons déjà abordé devant vous la question de la sous-dotation budgétaire des bases de défense et ses conséquences, tant en matière de service rendu aux forces et établissements embasés, qu'en ce qui concerne la vie quotidienne et les conditions de travail des agents, civils comme militaires. Nous dénoncions ici – même si tout ne s'explique pas par un manque de crédits, du fait d'une certaine désorganisation – l'absence de chauffage, d'eau chaude, de savon, de papier hygiénique, d'ampoules, de cartouches d'imprimantes, de stylos, d'enveloppes… Force est de constater que la situation ne s'améliore pas franchement et que, trop souvent, le minimum décent que l'on doit à tout salarié n'est même pas offert aux agents de la Défense, ce qui n'empêche nullement tel général de dépenser plusieurs millions d'euros pour construire un musée et une salle d'honneur.
Si certains dysfonctionnements s'expliquent aussi par une désorganisation découlant directement de la réforme de 2008, nous pouvons également espérer que la décision du ministre en matière de gouvernance des groupements de soutien des bases de défense permettra d'y apporter les solutions nécessaires.
Même si Force ouvrière a pour principe de ne pas s'exprimer sur la politique de défense de la France, rejetant ainsi toute forme de cogestion sur les questions opérationnelles, nous appelons votre attention sur l'importance des décisions en matière d'équipements et leurs conséquences sur l'emploi dans l'industrie d'armement notamment. C'est vrai pour le programme Scorpion pour Nexter, mais aussi pour le programme de frégates FREMM pour DCNS. Le ministre a confirmé les grands programmes prévus tout en évoquant le lissage de certains d'entre eux ; or nous savons tous que des lissages de programmes permettent d'économiser sur un exercice budgétaire mais finissent par entraîner un surcoût non négligeable sur la totalité de la durée du programme.
Les décisions en matière d'équipements ont également un impact important sur le maintien en condition opérationnelle, et par voie de conséquence sur l'emploi des personnels civils au service industriel de l'aéronautique (SIAé) ou au service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer). Quand on aborde la situation de ces deux services, on en vient inexorablement à aborder la question des effectifs, deuxième axe de mon intervention.
En effet, combien de temps encore allons-nous demander à ce ministère de réduire ses effectifs sans mettre en péril nos capacités en matière de soutien aux forces, l'opérationnel, nous le rappelons, restant de la responsabilité des états-majors sous les ordres de l'exécutif ? Après les 54 000 suppressions d'emplois imposées par la révision générale des politiques publiques (RGPP), que le ministre actuel a maintenues, ce sont encore 24 000 postes, dont 7 400 de personnels civils, qui seront supprimés sur la période couverte par la LPM. Encore une fois, ce ministère s'apprête à faire supporter les efforts en priorité aux services de soutien et à l'administration.
Alors que nous étions 145 000 personnels civils il y a une quinzaine d'années, nous ne sommes plus que 64 000. Pour reprendre la formule consacrée, il y a longtemps que n'avons plus de gras et que nous sommes en train d'attaquer l'os. J'en reviens d'ailleurs à la situation des services industriels, notamment au SIAé auquel on demande d'adapter sa charge à ses effectifs. En effet, alors que la LPM prévoit 3 700 suppressions d'emplois d'ouvriers de l'État, soit la moitié des réductions d'effectifs, c'est la capacité des services industriels à répondre à la demande qui est remise en cause. À titre d'exemple, il faut savoir que l'armée de terre va perdre 46 % de ses effectifs d'ouvriers de l'État d'ici à 2022, ce qui mettra inévitablement en péril le SMITer.
Quand allons-nous sortir de la logique de Bercy selon laquelle les ouvriers de l'État constitueraient une catégorie de personnels à éradiquer ? Même si le ministre a annoncé 700 embauches, dont 300 consacrées à l'intégration des opérateurs de maintenance aéronautique, contractuels, c'est loin d'être suffisant pour permettre au SIAé et au SMITer d'affronter l'avenir sereinement. À moins, mais vous m'objecterez que c'est un procès d'intention, que l'on ne prévoie de placer ces deux services dans la situation de devoir recourir à l'externalisation.
Force ouvrière revendique depuis plusieurs années un rééquilibrage des effectifs entre militaires et civils dans les fonctions de soutien, expression plus proche de la réalité et moins caricaturale que le terme « civilianisation », qui ne veut pas dire grand-chose et ne sert qu'à agiter un chiffon rouge finissant par irriter la composante militaire.
Quelques chiffres parlent d'eux-mêmes : rien que sur la chaîne CPCS – centre de pilotage et de conduite du soutien –, fonctions dévolues aux personnels civils s'il en est, nous comptons 1 800 officiers pour seulement 230 civils de catégorie A, avec les conséquences que l'on sait sur la masse salariale. Cette situation que nous dénonçons depuis des années ne trouvera de règlement qu'au prix d'une volonté politique forte. Même si, là encore, nous considérons que les décisions du ministre en matière de gouvernance et de pilotage de la masse salariale vont dans le bon sens, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, a fortiori dans une période de réduction d'effectifs.
Une solution pour parvenir à améliorer cette situation consisterait à mettre un terme à la déconnexion entre l'organisation et la gestion. En effet, l'élaboration des fameux référentiels des effectifs en organisation (REO) s'effectue aujourd'hui par les états-majors et sont validés sans recoupement ni même dialogue avec les services gestionnaires de personnels civils. C'est ainsi qu'on annonce à des agents, du jour au lendemain, que leur poste est supprimé, ou qu'il n'a jamais existé, ou encore que c'est un poste identifié « militaire » et qu'il convient de le libérer. La direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) n'intervient qu'au bout de la chaîne à travers la mission d'accompagnement des restructurations (MAR) et ne fait que du traitement social pour les personnels touchés par l'application de ces REO. Il est donc crucial de faire preuve de plus de cohérence et nécessaire que la DRH-MD soit enfin capable de bâtir des parcours professionnels pour les personnels civils, ce que les militaires savent particulièrement bien faire pour leurs personnels.
Bâtir des parcours professionnels pour des agents passe aussi par des plans de requalification pour les filières administrative et technique. Hélas, si, en effet, le budget 2014 prévoit un tel plan – certes pas à la hauteur de nos attentes – pour les fonctionnaires administratifs, il n'en est rien pour les agents de la filière technique qui se voient refuser la deuxième phase d'un plan pourtant engagé il y a maintenant deux ans. Et ce n'est certainement pas la baisse des crédits alloués à la condition des personnels civils, passés en deux exercices budgétaires de 25 à 11 millions d'euros, qui permettra de remédier à cette situation.
Je terminerai par l'utilisation de la réserve opérationnelle. La LPM prévoit le maintien des efforts en la matière et le projet de loi de finances pour 2014 fixe le montant des crédits alloués à cette réserve à 71 millions d'euros, sensiblement équivalent à 2013. Soit. C'est un choix à caractère opérationnel qu'il ne nous appartient pas de remettre en cause. Encore faut-il que ces crédits soient correctement employés et que les réservistes soient affectés à des tâches opérationnelles et non à des fonctions administratives comme nous le constatons trop souvent. Nous avions souhaité, afin de lever toute ambiguïté, qu'une étude objective soit menée sur l'utilisation de cette réserve. Nous n'avons toujours pas été entendus à ce jour.