Je regrette vivement l'absence de nombreux députés membres de la commission alors que la loi de programmation militaire est en discussion au Parlement.
Pour la CFDT, le défi de « penser autrement » le long terme est posé. Si cela est vrai pour nombre de secteurs confrontés à la crise, c'est devenu crucial pour la Défense. En témoignent les débats et les arbitrages pour la préparation du projet de LPM 2014-2019. Le pire semble avoir été écarté en matière de PIB consacré, mais qu'en sera-t-il à l'avenir ? La CFDT, qui avait demandé à être auditionnée par la commission du Livre blanc, a remis l'an dernier un document regroupant son analyse et ses propositions pour la défense de demain. Consciente des enjeux géostratégiques, et l'actualité n'est pas pour nous rassurer sur ce point, elle a saisi le chef des armées sur les risques d'une réduction de la part consacrée au budget de la Défense, et, afin de préparer la défense de demain, proposé l'organisation d'états généraux rassemblant tous les acteurs concernés pour débattre de l'impact économique, industriel et social de cette réduction.
Le projet de LPM a suivi les principes posés par le Livre blanc, évitant un scénario qualifié de catastrophe, mais ajoutant 24 000 suppressions de postes au plan social en cours. Cette LPM représente des risques sociaux importants pour le ministère et ses personnels comme pour l'industrie. Pour le ministère, c'est la réduction des postes dans la poursuite de la logique de la RGPP, l'externalisation de certaines fonctions et la mise en concurrence avec le secteur privé. Pour les industriels, c'est l'abandon ou le glissement des programmes, la cession de parts de capital par l'État et la pression sur les résultats pour faire remonter du cash. La LPM 2014-2019 est synonyme d'équilibre impossible : elle entend maintenir un effort de Défense tout en dépensant moins, à l'aide de leviers virtuels et risqués comme les six milliards d'euros cumulés de recettes exceptionnelles, l'hypothèse du contrat Rafale à l'export et le pari d'une consolidation à l'échelle européenne.
L'effort demandé à la défense est considérable avec une perte de 80 000 emplois cumulés entre 2009 et 2019. En 2014, 8 000 emplois seront supprimés sur 13 000 dans les secteurs ministériels qui ne correspondent pas aux missions prioritaires. Au premier rang toujours, la défense « paye » 60 % du total alors qu'elle ne représente que 10 % des emplois publics de l'État. En dix ans, les armées ont perdu un quart de leurs effectifs.
Cette « LPM plancher » suscite la méfiance, les précédentes n'ayant jamais été pleinement exécutées. Aussi, inquiets, les PDG des groupes industriels français réclament-ils la garantie du socle minimum dessiné par la LPM, cela sans aucune dérive. Est-ce possible, les ressources de la LPM paraissant avoir été garanties au cours du débat au Sénat ? Les récentes déclarations de M. Collet-Billon, délégué général pour l'armement (DGA), ne sont guère rassurantes. Selon lui, le report de charges du programme 146, qui concerne les équipements, flirte avec la ligne rouge, sans aucune marge pour gérer les aléas sur les futures ressources. C'est la première fois qu'une LPM démarrera avec un tel niveau de report de charges : près de deux milliards d'euros. Selon les experts, ce texte qualifié d'équilibré met en danger près de 20 000 emplois issus des PME-PMI dans les années à venir, la fermeture de bases et de garnisons mettant en jeu la politique territoriale et d'aménagement du territoire.
Le ministre a reçu les fédérations syndicales en réunions bilatérales au début de l'été avant la présentation de la LPM en Conseil des ministres. La CFDT a fait part de ses inquiétudes et de ses propositions et ne partage pas l'optimisme du ministre.
En matière de dialogue social, la CFDT a pris acte de la mise en place d'un agenda social au ministère de la Défense mais attend que certains chantiers fassent preuve de plus d'ambition et d'audace au regard des enjeux, pour les ouvriers de l'État ou en matière de formation professionnelle par exemple. Il faut protéger le statut spécifique des ouvriers de l'État de la Défense face aux velléités de la fonction publique de créer un quasi-statut pour l'ensemble des personnels concernés et répartis dans plusieurs ministères. Les ouvriers de l'État de la Défense ont leur histoire et des compétences reconnues dans les secteurs techniques et stratégiques de la DGA, du SMIter, du SIAé et du service interarmées des munitions (SIMu), sans parler de DCNS ou Nexter. La CFDT souhaite poursuivre la négociation ouverte en 2010 sur la projetabilité d'ouvriers de l'État, sur la base du volontariat, afin d'étoffer les textes en vigueur.
La CFDT prend acte du lancement du chantier de « civilianisation » qui répond à une demande des syndicats depuis la réforme de 2008. La feuille de route en a été confiée au DRH-MD. La première réunion sur le sujet nous a permis de recenser les difficultés de réalisation pour le DRH-MD, qui ne dispose pas d'une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et qui s'appuie sur des outils non stabilisés en matière d'effectifs, d'organisation et de métiers.
La CFDT a averti qu'il ne faudra pas souffler sur les braises ni provoquer de césure dans la communauté de la défense entre civils et militaires confrontés à la même réforme qui détruit l'emploi et la présence des armées sur le territoire. Si les civils doivent pouvoir légitimement prétendre participer à de nombreuses missions du soutien, la condition militaire doit également faire l'objet d'une évolution, qu'il s'agisse de la durée des contrats courts ou d'un droit d'expression et d'organisation. Sur ce dernier point, le Président de la République a demandé qu'une réflexion soit lancée sur l'évolution du dialogue social pour les militaires. Cela devient urgent car les tensions sont vives et ce n'est pas le projet de 34 000 suppressions d'emplois supplémentaires qui renforcera la cohésion au sein de la communauté de la défense.
Nous le martelons : les services du ministère de la Défense sont incontestablement en sous-effectifs et en surcharge de travail. La CFDT ne peut que contester la nouvelle saignée prévue dans les effectifs d'ici à 2019, qui ne pourra malheureusement que provoquer toujours plus de souffrance au travail et accroître les risques pour la qualité du soutien au service de nos armées.
La CFDT souhaite également appeler votre attention sur la DGA qui s'oriente vers un renforcement de sa capacité d'ingénierie. La DGA a réduit ses implantations géographiques et subi de fortes réorganisations en termes de soutien, avec des transferts vers le service infrastructure de la Défense. Les relations entre agents soutenants et soutenus se sont dégradées : les procédures sont aujourd'hui jugées trop cloisonnées et inadaptées à la réactivité attendue à la DGA. Son efficacité, autant dans la recherche que dans le soutien pour l'industrie, est déterminante, à l'exemple du pacte défense-PME qui doit soutenir l'innovation auprès de 62 projets sélectionnés. La CFDT a d'ailleurs demandé au ministre un bilan du pacte PME-PMI après un an de fonctionnement.
En matière de cyberdéfense, la DGA s'efforce d'intégrer l'ensemble des moyens techniques pour suivre les menaces et y répondre. Mais pour être à la hauteur de ces enjeux, la DGA doit maintenir ses effectifs et son soutien logistique car, depuis 2008, sa réorganisation a eu des répercussions sur le moral des personnels.
Tout n'est pas rose non plus dans le secteur aéronautique et spatial. Malgré les bons chiffres annoncés, la CFDT demeure inquiète sur l'avenir de la filière que n'épargnent pas délocalisations, poids accru des actionnaires, désengagement de l'État, vente des actifs étatiques et chasse au coût. Les savoir-faire techniques et technologiques acquis au cours de décennies ne doivent pas être délocalisés dans le seul but d'accéder à de nouveaux marchés. Entre 2005 et 2012, le chiffre d'affaires du groupe Safran a ainsi bondi de 28 %, l'activité de Thales a progressé de 3 % quand, dans le même temps, l'emploi reculait en France de 5 % et augmentait de 6 % hors du pays.
Le ministre a rassuré les fédérations syndicales sur l'avenir et l'organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs. Le MCO aéronautique, assuré notamment par les ateliers industriels de l'aéronautique (AIA), demeurera étatique. Dont acte.
Le projet de LPM laisse également apparaître des coupes franches dans les budgets affectés aux groupements de soutien de base de défense (GSBdD), qui subissent des coups de rabot sans précédent, en toute méconnaissance des besoins du terrain. Nous avons des exemples sur les bases navales où les enveloppes affectées aux transports de personnels ou le débarquement des matériels remettent en question un fonctionnement minimum. Et nous ne parlerons pas ici des économies de bouts de chandelle, qu'il s'agisse du chauffage ou des tentatives de remise en question des droits en matière de congés payés des personnels en imposant des fermetures de sites.
Dans le secteur industriel, les salariés de DCNS et de Nexter ont démontré jusqu'ici qu'une entreprise publique pouvait être performante et se développer. Mais l'État actionnaire devra montrer l'exemple et jouer pleinement son rôle en donnant les moyens à DCNS et à Nexter de construire leur avenir. Pour DCNS, les deux programmes majeurs FREMM et Barracuda sont maintenus dans leur intégralité mais avec un calendrier de livraison modifié. La CFDT souligne, avec d'autres, que le glissement des programmes aura des conséquences sur le plan de charge des établissements. Ainsi, nos équipes comptent sur l'implication du ministre pour la conclusion des contrats exports en cours ou à venir.
DCNS se positionne également dans le secteur de l'énergie – nucléaire civil et énergies marines renouvelables. Ces développements adjacents sont primordiaux pour maintenir et développer les emplois industriels sur le territoire. Il en est de même pour Nexter et ses salariés qui attendent de décrocher une vente de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) à l'export face à une concurrence acharnée. Tout le monde se pose la question de savoir où en est le contrat avec le Canada. Il semble, aux dernières nouvelles, qu'il soit repoussé, avec, encore une fois, les conséquences que cela implique pour Nexter.
Quant aux véhicules blindés multi-rôles (VBMR) et aux engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) qui sous-tendent l'avenir du groupe, la CFDT attend que la notification de ces programmes coïncide avec la fin de ceux en cours pour lisser les plans de charge des établissements. Il faudra également veiller à l'inscription d'une commande pluriannuelle moyen-calibre dès 2014 ainsi que de munitions pour le char Leclerc. Dans ces deux secteurs, l'heure est au soutien de l'innovation et des études amont, aux recrutements nécessaires, ainsi qu'au développement d'activités duales. Le contexte de crise ne doit pas inciter à baisser la garde, bien au contraire. La CFDT attend de l'État actionnaire un autre comportement concernant les dividendes issus des résultats des entreprises et, surtout, s'agissant de l'implication de leurs salariés.
Enfin, un grand rendez-vous est prévu en fin d'année qui mettra sous les feux des projecteurs l'Europe et ses ambitions en matière de défense. Comme d'autres, la CFDT est favorable à une Europe de la défense concrète, synonyme de progrès, de cohésion, au service des États membres, cela sans oublier les enjeux d'emploi et de progrès social. Nous sommes conscients que le Conseil européen n'a pas évoqué la défense depuis bien longtemps et que tout ne se sera pas réglé à l'issue de ce grand rendez-vous. Or nous attendons des actes concrets à court et moyen termes. La communication de la Commission européenne, en préparation de cet événement, intègre des enjeux forts qu'il restera à lancer et à réaliser à l'avenir.