Intervention de Lise Tamm

Réunion du 5 novembre 2013 à 14h00
Commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Lise Tamm, procureure au parquet international de Stockholm :

Combien de temps en amont la loi de 1999 a-t-elle été préparée ? Je ne peux vous répondre. Il faudrait poser la question à des responsables politiques. Je peux seulement vous dire qu'alors qu'elle suscitait pas mal d'opposition en 1999, 70% de la population suédoise y est aujourd'hui favorable. On en attendait une évolution des mentalités, et celle-ci a bien eu lieu. De ce point de vue, la loi a été un succès. Aucun jeune homme ne se vantera aujourd'hui en Suède « d'aller voir les filles », car c'est perçu comme honteux. De même que la réprobation est désormais immédiate si on voit dans la rue un parent taper un enfant – la loi interdit depuis longtemps en Suède de donner une fessée aux enfants et chaque enfant suédois sait que ses parents n'ont pas le droit de le faire –, la réprobation de l'achat de sexe est unanime.

Au 19ème siècle, la prostitution était très répandue en Suède parce que le pays était très pauvre – un quart de sa population a émigré aux États-Unis – et que les femmes s'y livraient pour pouvoir nourrir leur famille. Aujourd'hui, dans un pays certes devenu l'un des plus riches du monde, elle y a considérablement régressé du fait de l'évolution des mentalités, à laquelle a contribué la loi de 1999. On compte d'ailleurs très peu de prostituées suédoises, et lorsqu'il y en a, ce sont toujours des filles en grande difficulté, qui vivent la plupart du temps en foyer et cumulent les problèmes.

J'en viens à l'accompagnement de la sortie de prostitution et aux possibilités de régularisation pour les prostituées étrangères. Avant d'effectuer des perquisitions dans le cadre du démantèlement de réseaux, nous prenons l'attache des services sociaux et recherchons des foyers où les filles pourront être hébergées temporairement si elles le souhaitent. Mais il est bien clair qu'elles ne sont que des victimes et qu'elles sont libres de faire ce qu'elles veulent. La police et les services sociaux ne peuvent que les inciter à rejoindre ces foyers, mais ne peuvent pas les obliger à y aller. Si elles acceptent d'être interrogées et de participer à l'enquête d'une façon ou d'une autre, elles peuvent obtenir un permis de séjour temporaire pendant le temps de la procédure – laquelle prend en général autour d'un an. Ce permis leur donne le droit d'obtenir un logement et un travail, et leur donne accès à divers droits sociaux.

Il leur est en revanche difficile d'obtenir un titre de séjour permanent, à moins qu'elles ne soient arrivées dans le pays très jeunes. Avoir été victime d'un réseau de traite ne suffit pas pour être régularisé. Si tel était le cas, cela pourrait d'ailleurs encourager les trafics. La plupart des filles souhaitent retourner dans leur pays. Il faut leur permettre de pouvoir le faire dans des conditions décentes. Les services sociaux travaillent donc en liaison avec les pays d'origine. Mais la pauvreté de ces pays est telle qu'ils n'ont pas grand-chose à proposer pour aider ces filles. Il faut éviter que celles-ci ne retombent entre les mains des trafiquants, ce qui n'est pas facile quand elles viennent de petits villages, car ce sont souvent des membres ou des amis de leur famille qui les ont vendues. On en voit d'ailleurs revenir certaines.

Comment la police fait-elle pour arrêter les clients ? Elle a tout d'abord de très bonnes relations avec les hôtels, avec les compagnies de bateaux… La police qui s'occupe de la criminalité organisée et des réseaux, et la police de proximité, présente dans la rue, travaillent en lien. La première pratique des écoutes et surveille Internet tandis que la seconde effectue des filatures sur le terrain : les hôtels, par exemple, peuvent la prévenir quand une prostituée arrive avec un client. Si celui-ci repart au bout d'une heure et qu'on trouve des capotes dans la poubelle de la chambre, on sait de quoi il retourne. Il n'est pas difficile de pister les clients, notamment sur Internet, une fois repéré un lieu de prostitution. En matière de prostitution, comme en matière de stupéfiants, là où la police enquête, elle trouve. Simplement il n'y a pas assez de policiers pour enquêter partout. Mais plus ils seront nombreux à s'intéresser à ce domaine, plus de clients se feront prendre.

La loi de 1999 a-t-elle modifié les relations entre les hommes et les femmes en Suède ? Depuis très longtemps, on inculque aux enfants, dans nos crèches et nos écoles, que les filles et les garçons ont la même valeur et on leur apprend à se respecter mutuellement. L'homme suédois « normal » ne va pas voir des prostituées : il trouve cela honteux.

La pénalisation du client ne risque-t-elle pas de favoriser la propagation du sida ? J'avoue avoir du mal à comprendre cet argument. Parce que des clients ne porteraient pas de préservatif ? Mais c'est déjà le cas aujourd'hui. Certains exigent de ne pas en mettre et acceptent même de payer davantage pour cela. La loi n'y change rien. Par ailleurs, le sida a beaucoup reculé en Suède grâce aux nouveaux médicaments qui freinent le développement de la maladie.

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