Intervention de Ditmir Bushati

Réunion du 5 novembre 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Ditmir Bushati, ministre des affaires étrangères de l'Albanie :

Madame la présidente, je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer à propos de la candidature albanaise à l'intégration européenne. Mais auparavant, je tiens à vous présenter les condoléances du Gouvernement albanais, après l'assassinat brutal des deux journalistes français au Mali. Vous savez que l'Albanie a aligné sa position sur celle de la France s'agissant du Mali, du Tchad et, tout récemment, de la Syrie. En raison de notre passé émaillé de génocides et de massacres, nous nous sentons très solidaires du peuple syrien pour condamner les actions terroristes quelles qu'elles soient – et il en va de même pour d'autres régions du monde également touchées par le terrorisme.

Nous sommes ici pour parler d'un thème qui est essentiel pour nous, à savoir l'intégration et les aspirations européennes de notre pays, tout en étant parfaitement conscients que certains États membres éprouvent une certaine réticence vis-à-vis de l'élargissement. Dans son avis du 16 octobre, la Commission européenne a recommandé que le statut de candidat soit octroyé à l'Albanie. Évidemment, tous les États membres de l'Union européenne vont examiner cet avis et se prononceront lors de la réunion du Conseil européen de décembre.

C'est notre première visite bilatérale de travail à l'étranger, et nous nous félicitons que cette visite ait lieu en France, dans l'un des États membres clés de l'Union européenne. Nous sommes guidés par le même esprit que le président Hollande, s'agissant du processus d'intégration de notre région.

Notre région a beaucoup évolué depuis une dizaine d'années, en raison de la participation financière et politique de la communauté internationale en général, et de l'Union européenne en particulier. Au cours de cette période, la Croatie est devenue membre de l'Union européenne ; la Serbie et le Kosovo sont en passe de normaliser leurs relations avec l'Union ; le Monténégro en est déjà au stade de l'accession ; la Serbie est le prochain pays en lice. L'Albanie est le pays qui suivra. Nous attendons de voir confirmé notre statut d'État candidat en décembre.

On ne peut pas comparer notre situation avec celle que nous connaissions il y a dix ans. Pour autant, nous n'avons pas encore atteint le point de non-retour. La carte politique de la région est d'ailleurs assez diverse, avec : d'abord, les candidats historiques, la Macédoine et la Turquie – dans la mesure où l'on peut inclure la Turquie dans notre région ; ensuite, les pré candidats comme notre pays ; enfin, les pays qui aspirent à devenir un jour membres de l'Union européenne.

Le rôle de la Commission européenne a été crucial. Celle-ci a soutenu notre pays dans le processus de libéralisation. En ce domaine, tous les pays de la région sont sur un pied d'égalité et une saine concurrence s'est instaurée entre eux. Le rapport de la Commission fait l'objet d'un examen et l'évaluation se fait sur la base des mêmes critères. Cela a évidemment créé un nouveau climat dans la région, et permis que l'on porte un regard plus ouvert sur l'état de la chose publique.

Maintenant, où en sommes-nous ? Que faisons-nous ?

Il y a seulement cinquante jours que nous avons mis en place un nouveau gouvernement. Nous essayons de renforcer les acquis. Bien sûr, nous ne partons pas de zéro et nous avons une feuille de route toute tracée qui s'appuie sur les rapports d'étape de l'Union européenne dans différents domaines, où certaines mesures seront nécessaires : l'État de droit, la corruption, la criminalité organisée, la réforme de l'administration publique, les questions des droits humains. Ces grandes questions constituent les éléments les plus importants de notre politique de réforme.

Les propositions de la Commission européenne pourraient amener à conclure que notre statut de candidat est achevé. En fait, le processus est toujours en cours – et ce pour des raisons de fond : d'autres efforts, d'autres réformes seront nécessaires.

En matière de lutte contre la corruption, le bilan que nous avons présenté à la Commission est assez positif. Nous travaillons en étroite collaboration avec les organisations internationales contre la corruption et la criminalité organisée. Nous avons lancé une campagne de lutte contre les jeux illégaux. Enfin, la réforme du pouvoir judiciaire est en cours. Cela suppose une expertise, qui peut nous venir des pays de l'Union européenne.

Sur le plan politique, le statut de candidat est très important pour nous, mais il l'est également pour le reste de l'Union européenne. En effet, la crédibilité du processus d'élargissement doit s'appuyer sur un processus de réforme visible. La candidature associée à l'Albanie prévoyait un certain nombre de mesures. Au mois de décembre de l'année dernière, le Conseil européen a appuyé le rapport de la Commission. Cette année, la Commission européenne est revenue devant le Conseil pour dire que l'Albanie avait pris les mesures qu'on attendait d'elle pour devenir État candidat.

Le statut de candidat est pour nous un encouragement à procéder à de nouvelles réformes et non l'aboutissement d'un processus. C'est l'ouverture d'une nouvelle ère de relations entre l'Albanie et l'Union européenne et un moteur de transformation démocratique et de développement économique et social.

Sur un plan pratique aussi bien qu'économique, l'octroi de statut de candidat ne changera pas grand-chose. En revanche, sur le plan politique, ce sera très important, puisqu'une perspective européenne s'ouvrira ainsi devant nous. Il sera alors crucial de mener à bien les réformes de l'État de droit.

De fait, les pays qui n'ont pas de longue tradition démocratique n'ont pas d'autres solutions que l'adhésion à l'Union européenne. Cette adhésion n'est en effet pas seulement un objectif partagé par tout l'échiquier politique : c'est une incitation à la démocratisation et à la modernisation.

Cela reste valable au niveau de la région toute entière. En effet, si nous examinons la carte politique de celle-ci, nous nous apercevons que l'axe slave est, pour l'essentiel, arrivé à la table de négociation. Or l'axe albanais n'y est pas. Là encore, ne serait-ce que pour aboutir à un équilibre politique et ethnique, essentiel dans notre région, l'octroi de statut de candidat à l'Albanie constituera un signe extrêmement positif, qui encouragera également la diaspora albanaise, dans d'autres parties des Balkans, à aller dans le bon sens.

Certes, nous ne sommes pas ici pour revendiquer quoi que ce soit, ni pour prétendre que nous avons fait des progrès spectaculaires que vous ne pouvez pas encore voir. Nous savons pertinemment qu'il nous en reste à faire et que ce processus prendra du temps. Nous n'en sommes pas à l'adhésion. Nous n'en sommes qu'aux perspectives. Nous parlons instruments de réforme, transformations. Nous avons une approche progressive, graduelle, laquelle est au coeur de tout l'édifice européen.

Pour autant, un certain nombre de problèmes ont été soulevés, dont nous allons vous parler brièvement.

En premier lieu, l'investissement direct étranger est d'une importance fondamentale pour notre gouvernement, notamment dans la période de crise que traverse l'Union européenne. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que le processus de réforme économique mené en Albanie favorise l'accueil des investissements étrangers. Certains fuient les bouleversements du monde arabe ; des ressortissants de l'Est viennent vers nous ; l'investissement devrait accompagner ces mouvements migratoires. Non seulement nous essayons de créer un climat favorable en travaillant avec le Conseil économique et social de notre pays, mais nous invitons les plus grandes entreprises albanaises et les dirigeants des établissements financiers à participer aux grandes délibérations, afin de répondre aux préoccupations du milieu des affaires dans la région.

En deuxième lieu, vous m'avez interrogé sur les droits des minorités et, notamment, sur les Roms. Nous sommes un petit pays et nos ressources sont modestes. Mais en ce domaine, une véritable volonté est visible. Nous avons travaillé avec les services de l'Union européenne, mais aussi avec d'autres organisations internationales. Nous avons lancé un programme d'action, qui est suivi par les services de la Commission européenne et qui vise à assurer à la communauté rom un logement, une éducation de base et des droits fondamentaux. Nous ne prétendons pas que l'Albanie est un paradis pour les Roms, mais la tendance va dans le bon sens, comme l'a confirmé le rapport d'étape.

Je terminerai sur les acquis communautaires, dont la transposition représente une lourde tâche. La question n'est pas tant de promulguer de nouvelles législations ; en ce domaine, nous avons tiré profit du jumelage du Parlement albanais avec l'Assemblée nationale française et d'autres instances. La question n'est pas non plus d'ordre linguistique puisqu'en Albanie, de nombreuses personnes s'expriment parfaitement bien en français, en anglais, en italien, en néerlandais, etc. Ce n'est pas non plus une question d'inaction. La question est de transformer la société pour qu'elle puisse mettre en oeuvre ces nouvelles législations. Et c'est là que nous voyons que le processus d'intégration européenne est essentiel, dans la mesure où il représente le meilleur cadre conceptuel possible pour assurer la modernisation du pays.

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