Intervention de Jérôme Lambert

Réunion du 5 novembre 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

L'Ambassadeur ukrainien auprès de l'Union européenne a appelé le 18 juillet 2013 les 28 États de l'Union à prendre une position claire sur la signature ou non de l'accord, expliquant que seules la Lituanie et la Pologne ont publiquement annoncé à l'avance leur décision de le signer lors de ce Sommet de Vilnius. Selon lui, l'Ukraine a avancé sur les conditions posées et tous les critères devraient être remplis. Il a estimé « à titre personnel » que « le cas Tymochenko ne devrait pas être une sorte de pré-condition pour la signature de l'accord ».

La société civile ukrainienne est favorable à la signature au plus vite de l'accord d'association. Or la prise en compte de la société civile est une préoccupation majeure du Partenariat oriental. Ses représentants ont demandé à l'UE et à ses États membres de ne surtout pas reporter la signature, au risque d'une incidence négative sur la stabilité politique et la prospérité économique du pays. D'autre part, l'opposition ukrainienne a appelé elle aussi, le 29 août 2013, les États-membres à approuver l'accord d'association : pour elle, cette signature permettrait à l'Ukraine de devenir membre d'un « large espace démocratique européen.

Il convient de souligner que la société civile ukrainienne comme l'opposition appellent à signer l'accord même si Mme Tymochenko n'avait pas été libérée, estimant qu'il est essentiel pour arrimer l'Ukraine à l'Europe.

J'en viens maintenant à la position française et aux enjeux pour la France.

La France a beaucoup oeuvré au rapprochement entre l'Union et l'Ukraine ; pour autant, et à l'instar de plusieurs États membres - mais à la différence d'autres et notamment de la Lituanie qui exerce actuellement la présidence semestrielle - la France estime que la reconnaissance d'une perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne n'est pas d'actualité. Le Président François Hollande a réaffirmé très récemment – le 25 octobre dernier – que la vocation des pays du Partenariat oriental n'est pas de devenir membres de l'Union européenne. Pour notre pays, la politique européenne de voisinage doit se faire sans préjuger des aspirations européennes ou non des États partenaires : or, l'Ukraine fait partie des États qui aspirent à l'adhésion. Mais pour la France, il s'agit là d'une véritable ligne rouge à ne pas franchir, et il importe de veiller à éviter toute formulation ambiguë sur ce point, notamment lors du sommet de Vilnius fin novembre 2013.

La France estime que l'accord d'association ne pourra être signé que sous réserve du respect des trois conditions posées par le Conseil Affaires étrangères du 10 décembre 2012. « Il y a des pays qui n'ont pas vocation à entrer dans l'Union européenne mais qui doivent y être associés à certaines conditions » a souligné François Hollande le 25 octobre, précisant qu'il se rendra au Sommet de Vilnius.

S'agissant des autres pays européens, un certain nombre veulent maintenir une position plutôt ferme vis-à-vis de l'Ukraine : les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, le Danemark ou encore l'Allemagne, qui est sans doute l'État le plus opposé à un accord d'association historique si la question de l'emprisonnement de Ioulia Tymochenko n'est pas résolue. L'Allemagne a d'ailleurs proposé à plusieurs reprises d'accueillir l'ex-Première ministre et de lui procurer les soins médicaux nécessités par son état de santé. D'autres, au contraire, mettent l'accent sur l'importance, quoiqu'il advienne, de ne pas rompre les discussions et de signer rapidement l'accord d'association : la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie.

Le Parlement européen est, pour sa part, favorable à l'octroi d'une véritable perspective européenne à l'Ukraine, et à la signature au plus vite de l'accord d'association. Dans une résolution du 13 décembre 2012, il a néanmoins déploré le déroulement du processus électoral en octobre 2012, et appelé lui aussi les autorités ukrainiennes à mettre fin à la justice sélective.

La Commission Européenne a, par la voix de Stefan Füle, commissaire chargé de l'Élargissement et de la PEV, fait part de sa conviction que l'accord d'association avec l'Ukraine pourra être signé lors du Sommet de Vilnius.

En ce qui concerne la Russie, elle cherche à faire pression sur l'Ukraine. Le Président russe Vladimir Poutine a déclaré fin août 2013 que Moscou pourrait avoir recours à des mesures de rétorsion durables si l'Ukraine signait un accord commercial avec l'Union. Ces mesures de rétorsion incluraient notamment un resserrement permanent des procédures douanières pour l'entrée des produits ukrainiens sur le marché russe.

L'Union européenne a réagi depuis à plusieurs reprises de façon critique aux menaces russes, qui concernent également d'autres États du Partenariat oriental. Ces États en sont à un stade pourtant moins avancé des négociations : il s'agit de la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie, pays avec lesquels le paraphe d'accords d'association a été programmé pour le Sommet de Vilnius, leur signature étant envisageable en 2014. Mais depuis ces menaces, l'Arménie semble avoir renoncé à la perspective de d'association et a annoncé son souhait de rejoindre l'union douanière avec la Russie… La Moldavie subit pour sa part, depuis le 11 septembre 2013, un embargo russe sur les vins moldaves, officiellement pour des raisons « sanitaires ». Enfin la Géorgie s'est engagée à préserver l'orientation européenne mais a peut-être amorcé un début de virage, son Premier ministre ayant déclaré le 4 septembre 2013, au sujet de l'union douanière avec la Russie : « Si nous voyons la possibilité que cela soit intéressant pour la stratégie de notre pays, alors pourquoi pas, mais, à ce stade, nous n'avons pas de position »...

Lors d'un très récent débat, le 21 octobre 2013, le Parlement européen a souligné le devoir de l'Union européenne de protéger ses voisins orientaux des pressions russes, et a salué la proposition de la Commission visant à offrir un accès préférentiel dans l'Union au vin moldave victime de l'embargo russe.

Il serait souhaitable que les pressions russes ne conduisent pas la Moldavie et la Géorgie à faire marche arrière comme l'a fait l'Arménie, et que le paraphe des accords d'association ne soit pas retiré, pour ce seul motif, de l'ordre du jour du Sommet de Vilnius.

L'idée de la Russie est évidemment de pousser au maximum ces États à rejoindre l'union douanière qu'elle forme déjà avec le Kazakhstan et la Biélorussie. Elle souhaite en effet que son regroupement prenne de l'ampleur et devienne « l'Union eurasienne » en 2015, sur la base d'une intégration économique et politique renforcée… La diffusion de nos normes démocratiques dans sa zone d'influence est aussi potentiellement source d'inquiétude pour la Russie.

L'Union européenne n'exerce, elle, aucun « chantage » comparable : bien au contraire, l'article 39 de l'accord d'association avec l'Ukraine spécifie : « Le présent accord ne fait pas obstacle au maintien ou à l'établissement d'unions douanières, de zones de libre-échange ou de régimes de trafic frontalier, pour autant qu'ils ne soient pas contraires au régime d'échanges qu'il prévoit ».

Le Partenariat oriental n'est en effet absolument pas dirigé contre la Russie. Il a simplement pour but de relancer la politique européenne de voisinage avec les six États concernés, via les objectifs décrits dans les déclarations des sommets de Prague en 2009 et Varsovie en 2011. Pour mémoire ces objectifs sont les suivants : renforcement du dialogue politique via la conclusion d'accords d'association ; libéralisation des échanges commerciaux et reprise d'une part significative de l'acquis européen par le biais de zones de libre-échange complètes et approfondies ; libéralisation à terme du régime des visas de court séjour ; développement de la coopération régionale au moyen de rencontres politiques et techniques et de projets concrets.

Le commissaire à l'Élargissement et à la PEV Stefan Füle a prévenu, le 11 octobre 2013, que les pressions russes sur l'Ukraine n'auront pas d'impact sur la décision de l'Union européenne. Reste à espérer qu'elles n'en auront pas davantage sur la décision des Etats du Partenariat oriental…

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