Le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine traduit les engagements pris par le Président de la République pendant sa campagne puis par le Gouvernement dans la feuille de route du 22 août 2012, que j'avais présentée au conseil des ministres. Ce texte est également le fruit d'une large concertation menée entre octobre 2012 et janvier 2013 et à laquelle ont participé certains des parlementaires ici présents ainsi que beaucoup d'élus locaux, de professionnels de la politique de la ville et d'associations de représentants d'habitants. Dans un rapport publié en juillet 2012, la Cour des comptes a quant à elle tiré de la politique de la ville un bilan certes peu nuancé mais non moins révélateur et juste. On constate ainsi que trente ans après l'apparition des premières mesures en faveur des quartiers urbains, la situation est presque devenue illisible : la géographie prioritaire se caractérise en effet par la superposition de différents zonages qui n'ont jamais été actualisés ni rénovés. Les dispositifs de contractualisation entre l'État et les collectivités locales sont eux aussi devenus de plus en plus complexes. Et c'est peut-être au détriment de la cohésion sociale que l'accent a été mis sur la rénovation urbaine. Enfin, la conduite de la politique de la ville sur certains territoires a eu l'effet pervers d'y entraîner le reflux des politiques publiques de droit commun.
Ce projet de loi a donc pour objet de redéfinir sur une base claire et lisible les territoires sur lesquels la politique de la ville doit être menée, d'instaurer un cadre local d'action plus efficace et de créer de nouveaux outils pour favoriser la participation des habitants. Car paradoxalement, alors que la politique de la ville est contractuelle et partenariale, elle s'est peu préoccupée de son public. Personne n'envisagerait de modifier le code du travail sans négocier ou sans organiser de concertation avec les organisations syndicales, ni de faire la moindre réforme au sein de l'Éducation nationale sans y associer les parents d'élèves ou les syndicats. Or, dans le cadre de la politique de la ville, on a défini des politiques publiques sans forcément se préoccuper de l'avis des populations concernées. Ce projet de loi vise donc à fixer de nouveaux cadres de telle sorte qu'après les élections municipales, l'ensemble des acteurs – État, élus, associations et citoyens – soient dotés des outils nécessaires pour permettre aux quartiers populaires défavorisés de retrouver les mêmes atouts que les quartiers plus privilégiés.
Nous proposons donc tout d'abord une géographie se fondant sur un critère unique qui soit le plus englobant possible de façon à pouvoir identifier les concentrations de pauvreté sur l'ensemble du territoire français. Le choix d'un critère unique permettra ainsi de raccrocher à la politique de la ville des territoires urbains auparavant complètement oubliés alors qu'ils présentent les mêmes stigmates que les quartiers populaires en difficulté situés dans les grandes agglomérations. Cette nouvelle géographie prioritaire a pu susciter des inquiétudes. C'est pourquoi, s'il me semble avoir donné toutes les garanties en la matière, je suis prêt à le faire à nouveau devant l'Assemblée nationale et le Sénat qui, je l'espère, adopteront ce critère unique. Nous organiserons ensuite des échanges entre les préfets et les collectivités afin d'affiner cette géographie prioritaire et de n'oublier aucun quartier en difficulté de ce pays. Afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le caractère objectif, lisible et transparent de ce critère unique, je suggère la création d'un groupe de suivi composé de parlementaires des deux assemblées, de la majorité comme de l'opposition. Ce groupe de suivi pourra ainsi à la fois observer et accompagner le ministère de la ville dans la définition définitive de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Le processus de base ne doit être contesté par personne.
Le deuxième point majeur de ce projet de loi réside dans le cadre de mobilisation des acteurs qu'est le contrat de ville. Nous en revenons ici à l'essence de la politique de la ville, c'est-à-dire à l'établissement d'un contrat global qui prenne à la fois en compte les questions de rénovation urbaine et les politiques de cohésion sociale, mais surtout qui implique l'ensemble des acteurs, et pas uniquement le maire et l'État. Ce contrat sera défini dans le cadre plus large de l'intercommunalité – ce cadre permettant en effet de déterminer les grandes orientations d'un territoire, d'y intégrer les quartiers en difficulté et de faire intervenir les acteurs des autres niveaux de collectivité concernés que sont les conseils généraux, les conseils régionaux, les services de l'État et de grands opérateurs des services publics comme les caisses d'allocations familiales et Pôle Emploi. Compte tenu des interrogations qui se sont fait entendre lors de nos débats préparatoires, les amendements du rapporteur et du Gouvernement permettront de clarifier le rôle de chacun dans la politique de la ville : si l'intercommunalité doit assurer l'élaboration des diagnostics et la coordination des actions conduites, le maire doit quant à lui rester l'opérateur de proximité en contact avec les citoyens et pouvoir mener les actions de la politique de la ville comme celles de droit commun dans ces quartiers.
Troisième point : il importe que nous soyons en mesure d'organiser la solidarité nationale à destination des collectivités locales mais également la solidarité financière entre les territoires. C'est pourquoi il vous est proposé de créer une dotation de politique de la ville destinée à se substituer à une dotation de développement urbain dont les critères d'éligibilité demeurent obscurs. Lors d'événements récents, on a pu constater que certaines communes en grande difficulté ne bénéficiaient d'aucun dispositif de solidarité sur leur territoire alors même qu'elles étaient membres d'une intercommunalité. C'est pourquoi nous vous proposons la création obligatoire d'une dotation de solidarité communautaire.
Quatrième élément de ce projet de loi : nous proposons d'organiser l'achèvement du programme national de rénovation urbaine (PNRU). S'il était en effet prévu que l'ensemble des conventions soient bouclées d'ici à la fin de l'année 2013, certaines opérations ont pris du retard. C'est pourquoi nous proposons de prolonger ce PNRU de deux ans, tandis que montera en puissance un nouveau plan de renouvellement urbain assorti d'une dotation de 5 milliards d'euros à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Les modalités de rénovation des quartiers seront modifiées puisqu'il ne sera plus fait usage des appels à projet. Nous souhaitons à présent terminer les opérations commencées et intervenir sur les quartiers qui, sans avoir été oubliés, n'ont pu faire l'objet d'une rénovation urbaine lourde lors de la période précédente si bien qu'ils sont désormais confrontés à une urgence urbaine, au-delà de l'urgence sociale. Le cadrage financier de ce plan est quant à lui bien engagé. J'ai donc toutes les raisons de penser que dès 2014, les élus pourront, sur la base de la liste qui sera proposée par le conseil d'administration de l'ANRU et arrêtée par le ministre de la ville, commencer à réaliser les études préalables à la restructuration et à la requalification de ces quartiers.
Je conclurai mon intervention sur un élément novateur de ce projet de loi. Au-delà du travail remarquable mené sur le terrain par les élus de toutes sensibilités, il est à présent indispensable de favoriser la mobilisation citoyenne de telle sorte que les habitants de ces quartiers populaires soient non seulement informés, consultés et associés mais plus encore engagés dans un processus de co-construction des contrats de ville et des opérations de renouvellement urbain. J'ai confié en décembre dernier à Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué le soin d'établir un rapport, qu'ils m'ont remis en juillet : s'étant appuyés sur une large concertation avec les citoyens de tout le pays, ils y formulent plusieurs propositions dont une partie dépasse le cadre de la politique de la ville puisqu'elle concerne les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur. Souhaitant pour ma part reprendre l'ensemble des propositions de ce rapport qui relèvent de ma compétence, je vous proposerai la création de conseils de citoyens à qui l'État garantira des moyens de fonctionnement et de formation – cette formation s'appliquant d'ailleurs aussi aux techniciens de la politique de la ville qui ne disposent pas toujours d'outils adaptés pour pouvoir communiquer avec les habitants. Ces conseils de citoyens devront être associés à toutes les étapes de l'élaboration des contrats de ville et des opérations de rénovation urbaine. De fait, si cette rénovation urbaine a été bénéfique, elle a parfois été vécue comme traumatisante par les populations de certains quartiers. J'étais récemment à Vénissieux, dans le quartier des Minguettes qui fut il y a trente ans le théâtre d'émeutes urbaines. À la suite de celles-ci, un processus de rénovation a été engagé dans ces quartiers. Or, leurs habitants m'ont expliqué que s'ils étaient très heureux de leur habitat et de leur cadre de vie, ils assistaient depuis trente ans – soit depuis deux générations – à l'évolution de leur quartier de sorte qu'ils y ont perdu certains repères. C'est pourquoi nos concitoyens des quartiers populaires doivent être totalement associés à ces processus de rénovation urbaine.
Certes, ce projet de loi n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique de la ville. Mais il vous est proposé aujourd'hui de construire le cadre qui permettra de mener des politiques publiques au plus près du terrain et ainsi d'améliorer la situation de ces quartiers populaires. Je rappelle à cet égard que le taux de chômage – première préoccupation des Français – est deux fois plus important chez les adultes et trois plus important chez les jeunes à l'intérieur de ces quartiers qu'au niveau national. Ces concentrations de pauvreté engendrent également une montée du populisme voire du fondamentalisme religieux, de l'économie souterraine et par conséquent, de l'insécurité. Enfin, elles entraînent un divorce entre une partie de la société et les instruments de politique publique censés permettre d'améliorer leur quotidien. Ainsi certains jeunes sont-ils complètement déconnectés de tout service public municipal ou national. En adoptant ce projet de loi, nous ferons en sorte qu'État et élus puissent agir ensemble au profit des habitants de ces quartiers populaires défavorisés.