Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 15 novembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Après l'article 60

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je veux vous prier de m’excuser pour le caractère un peu long de l’intervention « chapeau » qui va suivre, qui couvre l’ensemble des amendements qui vont être présentés et qui portent sur la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales. Il est par conséquent important, pour que les débats permettent d’aller vraiment au fond des choses – votre intervention m’y a d’ailleurs invité, madame la députée –, de rappeler ce qu’est globalement la position du Gouvernement sur ces sujets, les actions que nous avons engagées et la philosophie qui préside à notre politique.

L’amendement que vous présentez est le premier d’une série portant sur la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales réalisées par un certain nombre de grandes entreprises. C’est pour le Gouvernement un sujet majeur, sur lequel nous sommes extrêmement mobilisés. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises, au cours du débat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, de dire tout à la fois notre détermination collective et mon engagement personnel.

Nous avons pris en dix-huit mois près d’une soixantaine de mesures – je dis bien : soixante mesures – destinées à lutter contre l’optimisation et la fraude fiscales. Dès le collectif de l’été 2012, cinq mesures urgentes majeures ont été prises pour lutter contre les opérations de transfert de bénéfices : encadrement des conditions d’utilisation des déficits reportables réalisés par les entreprises absorbées ; mise en place de règles anti-abus, permettant de lutter contre un schéma d’optimisation jusqu’alors très répandu, qui porte le joli nom de « coquillard » et qui vise à percevoir d’une filiale des dividendes exonérés d’impôt sur les sociétés en vidant la filiale de sa substance économique, avant de déduire une perte, délibérément organisée, résultant de cette atteinte à sa substance ; interdiction de la déductibilité des abandons de créances à caractère financier qui permet, par des opérations financières simples, de transférer un bénéfice à l’étranger ; toujours pour lutter contre le transfert international de bénéfices, interdiction totale de la déduction de pertes résultant de la recapitalisation d’une filiale ; enfin, renversement de la charge de la preuve en matière de taxation des résultats obtenus dans les pays à fiscalité privilégiée.

Ces mesures ont été complétées par la loi de finances pour 2013, qui a prévu une mesure générale de réduction de la déduction des charges financières, puis par le collectif de la fin de l’année 2012, centré sur la lutte contre la fraude des ménages en matière patrimoniale, qui a créé notamment une taxe à 60 % sur les avoirs déposés sur des comptes à l’étranger dont la traçabilité ne parvient pas à être établie.

Dans les jours qui viennent, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière sera promulguée. C’est un texte extrêmement important, qui a fait l’objet d’un travail rigoureux de la part du Gouvernement et des assemblées parlementaires, en particulier de la part d’un certain nombre de parlementaires très impliqués dans la discussion. Je veux d’ailleurs rendre hommage à ceux d’entre eux qui se sont engagés dans ce travail et qui ont fait preuve d’une présence assidue et déterminée : Sandrine Mazetier, le rapporteur général, Christian Eckert, Pierre-Alain Muet, qui a accompli un travail très remarquable, Dominique Lefebvre, Nicolas Sansu et Éric Alauzet, qui a été extrêmement présent. Ils ont tous contribué à enrichir et à amender de façon très significative le texte du Gouvernement. Je veux, de manière plus générale, remercier tous les parlementaires, en particulier les membres de la commission des finances, pour le travail accompli.

Au final, la majorité a donc procédé, depuis l’été 2012, à un renforcement sans précédent de l’arsenal législatif de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, grâce aux soixante mesures législatives que je viens d’évoquer. Le Gouvernement est déterminé – il l’est totalement ! – à poursuivre ce travail, en très étroite liaison avec vous, en essayant de mettre en application une grande partie des préconisations du rapport présenté par Pierre-Alain Muet et Éric Woerth.

Dans le texte initial du projet de loi de finances, deux mesures majeures supplémentaires sont proposées par le Gouvernement, sur la base des analyses demandées à l’Inspection générale des finances. L’article 14, que vous avez adopté lors de l’examen de la première partie, permettra de lutter contre les opérations d’endettement artificiel et les techniques d’optimisation utilisant des produits hybrides. Nous avons débattu de cette question et avons beaucoup avancé ensemble. Vous le savez, il sera désormais interdit de déduire les charges financières versées à des sociétés liées pour lesquelles ces produits ne sont pas réellement imposés.

L’article 15 répond à un enjeu majeur, peut-être le principal enjeu actuel pour le contrôle fiscal, celui des opérations dites de business restructuring. Des dossiers récents, que certains d’entre vous, à qui le secret fiscal n’est pas opposable, connaissent bien, illustrent parfaitement ce type d’opérations. C’est notamment le cas d’une réorganisation, souvent purement formelle, aboutissant à ce qu’une entreprise française cesse de vendre ses produits à ses clients réels et les vendent à un prix beaucoup plus faible à une filiale de commercialisation, qui les revend ensuite aux clients, en conservant toute la marge. Naturellement, cette filiale n’est pas située en France, mais dans un État dont la fiscalité est particulièrement attractive. Cet article 15 va être déplacé en seconde partie, à l’initiative de votre commission, pour permettre un débat global sur la lutte contre l’optimisation, et j’aurai donc l’occasion de vous présenter tout à l’heure un amendement le rétablissant.

Vous le voyez, le travail réalisé est donc considérable. Le Gouvernement est résolu à le prolonger, sur la base de vos propositions, mais lutter contre la fraude et l’optimisation fiscales de manière efficace suppose – et j’insiste beaucoup sur ce point, parce qu’il répond à ma conviction et constitue aussi, à mes yeux, le gage de l’efficacité –, compte tenu de la complexité des sujets, et surtout de l’agilité des fraudeurs, que nous avons pu éprouver, d’être absolument irréprochables techniquement et juridiquement.

En effet, chaque fois que, pour nous positionner politiquement de façon forte et visible, nous sacrifions l’efficacité de ce que nous faisons en créant des aléas juridiques, nous ouvrons un espace aux fraudeurs pour se faufiler. J’insiste vraiment sur ce point : efficacité juridique et publicité médiatique ne se recoupent pas nécessairement et nous affaiblirions beaucoup notre action en proposant des dispositifs mal calibrés sans efficacité réelle et source de contentieux longs et potentiellement coûteux pour l’État.

C’est pourquoi nous souhaitons poursuivre un travail méthodique, rigoureux, permettant de procéder par étapes et en lien avec le Parlement, comme nous l’avons toujours fait. Cette détermination, nous souhaitons la mettre en oeuvre sur chacun des sujets que nous allons évoquer à l’occasion de la présentation des amendements qui suivent.

La démarche du Gouvernement, et je terminerai mon propos liminaire par cela pour que ce soit bien clair, est d’allier une détermination sans faille et une rigueur juridique pour obtenir une efficacité maximale. Si nous parvenons à articuler tout cela, alors nous ne laisserons pas un millimètre d’espace aux fraudeurs pour se faufiler. En revanche, nous leur en laisserons si, sur le plan juridique, nous prenons des dispositions par lesquelles nous laissons planer des aléas juridiques qui peuvent être source de contentieux ou de difficultés à venir. Parce que nous contribuons ensemble à la production législative, nous devons garder à l’esprit une telle préoccupation.

Telle est la position du Gouvernement ; je tenais à la préciser pour lever toute ambiguïté.

J’en viens à votre amendement, madame la députée.

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