Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 15 novembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Après l'article 60

Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget :

Mais je souhaite approfondir notre échange.

Le premier obstacle à la solution que vous proposez renvoie à un problème de méthode : comment apprécier in concreto le poids d’un but autre que fiscal – but patrimonial, de protection d’un parent, de préservation de l’unité de l’exploitation familiale, but économique – au regard du but fiscal, lequel s’apprécie immédiatement en fonction du montant de l’impôt évité ? En d’autres termes, comment apprécier le poids d’un avantage pécuniaire recherché par rapport à un autre avantage, qui n’est pas forcément chiffrable, et comment apprécier alors, si le premier est principal par rapport au second ?

Par ailleurs, le changement de qualificatif conduit à changer la nature de l’appréciation portée sur l’opération. Actuellement, l’administration doit pouvoir écarter tout but autre que fiscal dont se prévaut le contribuable. Avec la réforme proposée, on passera d’une question de droit précise – le but fiscal est-il ou non exclusif ? – à une question de fait – le but fiscal est-il ou non principal ? L’appréciation deviendra pure appréciation de fait, donc discutable.

Il appartiendra alors au juge d’apprécier le résultat de la « pesée » effectuée par l’administration. Il en découlera, c’est ma crainte, une insécurité juridique pour les acteurs, compte tenu des positions divergentes que pourraient prendre les différentes juridictions, faute de critères juridiques avérés caractérisant un but « principalement » fiscal.

Les procédures de contrôle fondées sur l’abus de droit, qui représentent une charge administrative pour les entreprises mais aussi, je tiens à le rappeler, un investissement de moyens pour l’administration fiscale, risqueront, après avoir été menées à leur terme, d’aboutir à une annulation pure et simple par le juge. Telle n’est pas la bonne voie à suivre si nous voulons lutter plus efficacement contre la fraude et l’optimisation fiscales.

Par ailleurs, juge de cassation et non de fond, le Conseil d’État ne pourra jouer son rôle de régulateur. Ainsi, un même montage pourra être apprécié par des juges appartenant à des juridictions géographiquement distinctes, dans le cas, par exemple, d’associés de sociétés de personnes domiciliés dans des départements différents, et aboutir à des solutions radicalement opposées. Cette insécurité fiscale, compte tenu des sanctions qui s’y rattachent, risquerait de se voir immédiatement condamner par la Cour européenne des droits de l’homme.

Enfin, cette nouvelle définition de l’abus serait contraire à celle donnée, dans certains arrêts, par la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, même si ce n’est pas toujours le cas, il lui est arrivé de conditionner l’existence d’une fraude à la loi à la condition que les opérations soient réalisées « dans le seul but » de bénéficier abusivement des avantages prévus par le droit communautaire.

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