Le débat ne porte pas sur la nature du droit, mais sur son efficience. À quel moment le droit devient-il efficient ? Ce n’est pas une novation que nous sommes en train de faire dans le champ juridique. Je pense à ces notions grises qui rendent parfois compliqué le fonctionnement de l’ordre juridique français et des pays de droit écrit, c’est-à-dire le syllogisme. En l’occurrence, nous sommes dans la confrontation entre une culture juridique fondée sur le syllogisme et celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui intègre des éléments de la common law. Mais nous n’allons pas débattre de ces questions maintenant !
La notion de « perte de chance » a mis des années à être fixée par la jurisprudence. Tout comme l’abus de droit, c’est une notion-« balai »dans laquelle on essaie de rassembler un certain nombre de questions, ce que le droit, à travers l’énoncé d’articles syllogistiques, ne permet pas.
Vous avez raison, monsieur le ministre, d’insister sur ces questions, mais, en matière fiscale, la doctrine est fixée en premier lieu par l’administration. Nous n’allons pas débattre ici de l’ensemble des textes ou des articles du code général des impôts qui donnent lieu à interprétation, mais vous avez la responsabilité de fixer, en partie, la doctrine.
S’agissant des affaires que vous traitez en ce moment, l’amendement ne changera rien. Quand vous considérerez, dans l’examen d’un dossier, qu’il y a une volonté « exclusive » de détourner la loi, qu’il y a un abus de droit, vous gagnerez devant les tribunaux. Donc, vous n’ajouterez pas d’insécurité juridique par rapport aux situations que vous traitez habituellement.
La question se posera pour les affaires où cette volonté ne sera plus « exclusive » mais « principale ». Eh bien, prenons ensemble le risque de perdre parfois quelques contentieux, sachant aucune affaire qui aurait été traitée auparavant en vertu du critère de l’exclusivité ne risquerait d’être perdue. L’administration ne sera donc nullement empêchée de faire son travail et de récupérer des recettes fiscales.
Par contre, il faudra sans doute quelques années pour fixer la notion de « principal », puisque nous sommes dans un domaine nouveau. Je parlais de la perte de chance, je pourrais également parler de concepts juridiques ayant nécessité, eux aussi, un certain nombre d’aller-retours.
Avant, ces allers-retours avaient lieu entre les juridictions du premier degré et la Cour de cassation ; ce sera désormais entre les juridictions françaises du premier degré en France, le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne. En décidant cette novation dans le domaine du droit, nous travaillons pour les années à venir.