Mesdames, messieurs, je tiens d'abord à saluer le travail de toutes celles et tous ceux d'entre vous qui sont très impliqués sur ce sujet difficile. Il a été pris à bras-le-corps depuis la précédente législature, effort trans-partisan qui a permis l'adoption à l'unanimité de la résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.
Le sujet est également complexe au regard des arguments de part et d'autre – des tentatives d'instrumentalisation, mais aussi des arguments solides et de bonne foi d'un certain nombre d'experts.
Je commencerai par dire que nous pouvons admettre qu'il existe, sans doute de façon marginale, des personnes – femmes ou hommes – qui ont choisi ou pensent avoir choisi de pratiquer une prostitution libérale, se considérant libres de disposer de leur corps. Néanmoins, il est incontestable que la très grande majorité des personnes prostituées subissent, et là, je ne dis pas « pratiquent », la prostitution, c'est-à-dire y sont contraintes. C'est pour ces personnes que nous devons trouver des solutions. La traite des êtres humains et le proxénétisme, qui relèvent de la criminalité organisée et transfrontalière, appellent des réponses efficaces. En la matière, les positions respectives des trois acteurs concernés – la personne prostituée, le proxénète et le client – sont extrêmement inégales.
À l'heure actuelle, le proxénétisme est très sévèrement puni par le code pénal. La difficulté, c'est la réalité. Le code pénal a été enrichi grâce à la loi du 5 août 2013 transposant la directive européenne relative à la traite des êtres humains, qui comporte des dispositions sur l'esclavage et la servitude.
Parallèlement à cet arsenal répressif, l'efficacité des politiques publiques est une exigence.
La lutte contre la traite des êtres humains ne relève pas de la morale, mais de l'éthique. Ce sujet renvoie aux notions de libertés individuelles, de libre disposition de son corps. D'aucuns considèrent qu'il faut respecter la possibilité pour des personnes adultes consentantes d'avoir des rapports sexuels tarifés. Le problème est que, dans la très grande majorité des situations, le pouvoir de l'argent d'un côté, la vulnérabilité et la fragilité sociale et économique de l'autre, engendrent un rapport déséquilibré entre le consommateur d'un corps et la personne qui n'a comme richesse que ce corps à offrir.
Il faut entendre les objections des experts, afin, même de bonne foi, de ne pas aggraver le mal, – je pense notamment à Médecins du Monde, association tout à fait respectable et dont les inquiétudes sont parfaitement fondées. Tous ces experts ne sont ni des ennemis de la loi ou la puissance publique, ni des partisans de la prostitution : ils fondent leurs inquiétudes sur l'observation de la réalité, sur leur compréhension des comportements ; ils assurent un service d'intérêt public et connaissent parfaitement le marché de la prostitution, ainsi que les dimensions psychologiques et sanitaires qui s'y rattachent.
La nécessité de légiférer me semble évidente. Les dispositions contenues dans votre proposition de loi sur la responsabilisation du client seront sans aucun doute efficaces. Le client ne peut être mis à l'écart, sachant que les prostituées ont été pénalisées avec le délit de racolage, et que les proxénètes sont sévèrement punis par le code pénal. Le bout de la chaîne, c'est-à-dire le consommateur, ne peut donc pas être ignoré.
J'entends les arguments selon lesquels les nouvelles dispositions vont aggraver le mal. Nous ne pouvons pas sous-estimer les risques de dissimulation, d'éloignement, de vulnérabilité accrue des prostituées, comme nous les avons constatés à la suite de l'instauration du délit de racolage. Une fois votée, cette proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement vous a apporté très clairement son soutien, traduira un engagement de la puissance publique. Par conséquent, poser des interdits se conçoit, sauf s'ils sont de nature à aggraver la situation des victimes. C'est pourquoi la question des politiques publiques est essentielle, et j'espère qu'elle sera abordée durant les débats parlementaires avec autant de force que le seront les normes que vous voulez introduire dans la loi.
Je pense au fonds dédié, sur lequel le Gouvernement s'est engagé, qui devra être assorti des mécanismes permettant de l'abonder, notamment pour en fixer les ressources, leur stabilité et leur pérennité. Ce fonds devra être suffisamment conséquent afin de permettre l'application effective des dispositions contenues dans votre texte. On se souvient que la loi contre l'esclavage moderne, avec toute une série de dispositions sur la prise en charge de victimes, la régularisation provisoire de leur état civil, leur hébergement, les revenus d'accompagnement, la sécurité des personnes jusqu'à la fin des procédures judiciaires, a été problématique en termes d'application.
Les moyens octroyés à la politique publique en matière d'information, de sensibilisation, de prise en charge, d'accompagnement, notamment dans le cadre du plan gouvernemental que présentera prochainement la ministre des droits des femmes, devront être au rendez-vous. Interdire peut devenir une facilité si l'on ne se soucie pas aussi de l'avenir des personnes prostituées, si l'on ne s'assure pas qu'elles auront une alternative professionnelle leur permettant de ne plus être prisonnières de leur activité et des revenus qu'elle procure.
J'insiste : il s'agit d'une question de droit et d'éthique. Celle-ci renvoie à notre conception de l'être humain, des libertés individuelles et des conditions objectives dans lesquelles celles-ci peuvent être exercées, du rapport avec le corps, du principe d'indisponibilité du corps humain, du rapport marchand, de la sexualité. La crédibilité de la puissance publique et du Parlement se traduira dans l'application des dispositions de cette proposition de loi visant à mettre un terme à la prostitution.