Intervention de Didier Houssin

Réunion du 13 novembre 2013 à 9h30
Commission des affaires sociales

Didier Houssin :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'avoir trouvé le temps de m'auditionner, malgré un agenda que je sais fort chargé.

Après avoir évoqué les éléments qui vous permettront de juger de mon aptitude à devenir président du conseil d'administration de l'ANSES, je vous ferai part de ma vision de l'ANSES et de son avenir. Je répondrai ensuite à vos questions.

S'agissant de mon aptitude, je parlerai métiers, sécurité sanitaire et impartialité.

En premier lieu, en termes d'expérience des métiers de l'ANSES, j'ai fait de la recherche pendant plusieurs années en tant que chargé de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), puis en tant que professeur d'université, principalement en chirurgie, dans le domaine de la greffe du foie, qui fut pendant longtemps mon activité principale. Par goût pour les sciences sociales et humaines, j'ai accepté pendant plusieurs années d'en coordonner l'enseignement, pour les étudiants de première année de médecine.

Ma production scientifique se compose à ce jour d'à peu près 300 articles originaux, et j'ai écrit deux ouvrages – l'un sur la greffe dont je me suis occupé pendant longtemps, et l'autre sur le phénomène des urgences, qui m'a beaucoup intéressé.

J'ai aussi une expérience en termes de politique de recherche. En tant que directeur de la politique médicale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, j'ai piloté pendant un temps la Délégation à la recherche clinique et, en tant que Directeur général de la santé, j'ai créé au ministère de la santé le comité ministériel chargé de l'orientation de la recherche dans ce domaine.

Mon expérience dans le domaine de l'évaluation est assez diversifiée. Tout d'abord, j'ai participé à l'évaluation des personnels chercheurs et enseignants chercheurs, notamment dans le cadre du Conseil national des universités. Ensuite, j'ai une expérience de l'évaluation des politiques publiques. Lorsque j'étais Directeur général de la santé, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et coordonnateur interministériel du plan « chlordécone », j'ai été amené à me pencher sur l'organisation des évaluations de politiques publiques. Enfin et surtout, depuis deux ans et demi, en tant que président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), je suis engagé dans l'évaluation des programmes de formation des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche en France et à l'étranger. C'est mon activité actuelle – principale et presque exclusive.

Je veux souligner qu'en tant que Directeur général de la santé, j'ai organisé des travaux en vue de la valorisation de l'expertise en santé publique – je pense que c'est un point qui concerne l'ANSES – travaux auxquels j'ai d'ailleurs pu donner une orientation concrète dans le cadre de mon travail à l'AERES, à savoir : comment valoriser le travail des experts ? Je pense que c'est un point crucial pour l'activité des agences de sécurité sanitaire qui sont fondées sur l'expertise.

En deuxième lieu, j'ai une expérience de terrain et de pilotage interministériel dans le champ de la sécurité sanitaire. D'abord, j'ai eu un rôle d'acteur direct en termes de sécurité des patients en tant que chirurgien, puis chef de service de chirurgie. Ensuite, en tant que Directeur général de la santé, j'ai exercé une tutelle sur l'ensemble des agences nationales de sécurité sanitaire, dont l'ANSES et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN. J'ai été amené à partager cette tutelle avec d'autres ministères – en particulier les cinq ministères qui ont actuellement la tutelle sur l'ANSES. Enfin, en tant que Délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et Coordonnateur du plan « chlordécone » aux Antilles, j'ai pu me familiariser avec les questions de coordination interministérielle, notamment entre les ministères chargés de l'agriculture, du travail, de l'environnement, de la consommation et de la santé.

Pour terminer sur cette question de l'aptitude, je dirai un petit mot sur l'impartialité. La tutelle que j'ai exercée sur l'ANSES en tant que Directeur général de la santé est déjà un peu ancienne, puisque j'avais déjà quitté la direction générale de la santé lorsque le Contrat d'objectifs et de moyens a été signé entre l'État et l'ANSES.

Je n'ai pas de liens d'intérêts avec les acteurs économiques, ni avec les parties prenantes du secteur associatif dans les champs de compétence de l'ANSES. Il faut toutefois signaler qu'une de mes enfants est employée par un cercle de réflexion, Think tank en anglais, de l'Institut Véolia, où elle organise des conférences internationales sur des thèmes scientifiques qui relèvent de ce secteur et qui associent cet Institut et des partenaires économiques étrangers. Elle en est salariée.

Venons-en maintenant à la vision que j'ai aujourd'hui de l'ANSES.

Premièrement, l'ANSES a su, au cours des trois dernières années, se positionner en tant qu'instance de référence, au plan national comme au plan international, par la qualité de son expertise, mais aussi par sa capacité à intégrer les questionnements, qu'ils proviennent de la sphère scientifique ou de la société. Cette capacité lui provient des conditions mêmes de sa naissance. J'ai d'ailleurs été un des acteurs qui sont intervenus à propos du projet de fusion AFSSAAFSSET, qui a fait naître un nouveau modèle d'agence sanitaire permettant une évaluation transversale des risques. Il y avait beaucoup de complémentarité entre ces deux agences, et nous avions souligné l'intérêt qu'il y aurait à les rapprocher – et c'est bien ce que le Parlement a décidé il y a maintenant quelques années.

Deuxièmement, le conseil d'administration de l'Agence, à la présidence duquel je suis candidat aujourd'hui, est le premier élément qui fonde le socle d'ouverture à la société. Il est en effet composé de cinq collèges : des représentants de l'État et du personnel de l'Agence ; des représentants d'associations agrées de protection de l'environnement ayant une activité dans le domaine de la qualité, de la santé et de la prise en charge des malades, et de la défense des consommateurs ; des représentants d'associations nationales de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles ; des représentants d'organisations et de fédérations professionnelles, des organisations syndicales ; enfin, des élus qui sont représentés par l'AMF (Association des maires de France) et l'ADF (Association des départements de France).

Je voudrais souligner que le mandat de président de l'ANSES est un poste non exécutif. Le patron de l'Agence est le directeur général ; c'est lui qui prend les décisions. J'ajoute que c'est une activité non rémunérée, à caractère bénévole. Le président a toutefois la charge importante de coordonner et d'animer le conseil d'administration de l'Agence. J'ai d'ailleurs pu constater, en lisant les comptes rendus du conseil d'administration, que le mode de gouvernance de l'Agence est assez ouvert. C'est une instance vivante, dont les membres sont très impliqués et s'attachent à garantir le maintien de standards élevés en termes d'excellence scientifique et d'indépendance. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail des précédents présidents de cette agence, en particulier de celui qui a assuré l'intérim pendant les deux années passées.

Le conseil d'administration discute et vote les orientations générales, sa stratégie pluriannuelle, son programme de travail annuel, le contrat de performances. Il délibère sur l'organisation générale, et notamment sur la création des comités d'experts spécialisés, sur les conventions à établir avec des organismes extérieurs, et il intervient dans la fixation des règles de déontologie qui sont un aspect extrêmement important.

Dans le contexte de contrainte budgétaire que vous connaissez, le conseil sera d'autant plus vigilant que les attentes vis-à-vis de l'ANSES sont de plus en plus fortes. Celles-ci émanent bien sûr des ministères de tutelle, mais aussi des acteurs de la société. Il y a, par exemple, aujourd'hui, une charge de travail très importante qui résulte de l'évaluation, au niveau européen, des produits phytosanitaires. Et selon moi, les recettes, les taxes qui résultent de cette activité devraient pouvoir être utilisées pour renforcer les capacités en ressources humaines de cette agence.

L'Agence a engagé depuis plusieurs années des efforts d'organisation et d'optimisation des ressources. Néanmoins, pour préserver ses capacités à faire face à des risques émergents, à une crise sanitaire, elle doit maintenir ses capacités de surveillance et de vigilance et poursuivre ses efforts de recherche, si elle veut rester active et bien visible sur la scène européenne et internationale.

L'ANSES me paraît confrontée à des défis importants, d'un point de vue scientifique, sociétal, en raison de la diversité et de la complexité des sujets dont elle a la charge, et par les attentes de la société en termes de transparence et d'indépendance. D'une certaine façon, on attend de l'Agence une sorte de « solution miracle » qui associe à la fois une indépendance totale et une compétence parfaite. Ces deux exigences sont difficiles à concilier.

Je n'aurai pas la prétention de vous livrer une vision toute faite sur l'avenir de l'ANSES mais je voudrais, alors que ma candidature au poste de président du conseil d'administration de l'ANSES est agréée par les cinq ministères de tutelle, vous dire les quatre défis majeurs que, selon moi, le conseil d'administration aura à relever.

Premier défi : il faut absolument assurer l'indépendance et la crédibilité des travaux de l'Agence. Celle-ci a réussi à acquérir un statut respecté, écouté, dans un cadre déontologique et d'expertise rigoureux. Mais rien n'est jamais acquis, tout est fragile. Les standards doivent pouvoir être questionnés, évalués, de même qu'ils doivent pouvoir être confrontés aux meilleurs standards internationaux.

L'Agence a mis en place – et je crois que c'est une très bonne idée – un Comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts en 2010. C'est une instance dont les travaux indépendants sont et seront très précieux pour le conseil d'administration.

Maintenir un haut niveau d'exigence scientifique passe par la capacité à mobiliser les meilleurs experts, français et étrangers, et à assurer les conditions d'une expertise collective et contradictoire. Le conseil scientifique de l'Agence sera un partenaire important pour le conseil d'administration. J'ajoute que les recommandations formulées dans le récent rapport de la Cour des Comptes suggèrent des pistes intéressantes, précisément pour essayer de concilier au mieux indépendance et compétences.

Deuxième défi : il faut favoriser une coordination fructueuse avec les ministères de tutelle – au nombre de cinq, en raison du large champ de compétences de l'Agence. Certains s'étaient inquiétés, en disant que cela conduirait à des difficultés d'arbitrage et de décision. Cela a peut-être été le cas, d'ailleurs, pour ce qui est du président du conseil d'administration de l'Agence. Mais il faut aussi constater qu'un système efficace de présidence tournante de la tutelle a été mis en place, et je crois que le conseil d'administration peut contribuer à faciliter la bonne articulation entre les tutelles. De ce point de vue, je pense avoir une expérience de la coordination interministérielle qui peut être utile.

Troisième défi : la communication et l'ouverture à la société. Les attentes de la population en termes de maîtrise et d'anticipation des risques s'accompagnent d'une exigence croissante de transparence et de participation au processus de décision. Bien sûr, le conseil d'administration constitue, d'une certaine façon, le premier socle de cette ouverture à la société. Mais ce ne peut pas être le seul. L'ANSES a développé une approche globale alliant ouverture, dialogue, transparence et communication proactive dans le respect des rôles de chacun, et dans le cadre d'une grande rigueur dans la mise en oeuvre de l'expertise. Grâce à une fonction de veille sociétale, à l'entretien de contacts permanents avec les parties prenantes, je pense que l'Agence dispose des capacités de mieux contextualiser les travaux d'expertise et de cerner les enjeux en amont.

Il n'en reste pas moins qu'en termes de communication, l'ANSES doit être extrêmement attentive et délivrer une information de référence, notamment en s'appuyant sur les données récentes dans le domaine des sciences de la communication, en particulier de la communication sur les risques. Le conseil d'administration qui délibère sur la stratégie d'ouverture et de communication de l'Agence y sera particulièrement vigilant.

Quatrième défi : le positionnement européen et international. La dimension européenne de l'ANSES est très importante, et je crois qu'elle est aujourd'hui largement reconnue au niveau européen. C'est impératif si l'on veut pouvoir peser sur les décisions communautaires, sachant qu'une grande part de l'action de l'Agence s'inscrit justement dans le cadre des réglementations européennes – j'ai mentionné tout à l'heure les produits phytosanitaires. Mais la collaboration de l'ANSES doit s'élargir au-delà du cadre européen. Elle le fait, dans le cadre d'une ouverture scientifique internationale, où l'excellence de la France en termes d'évaluation des risques peut être un élément de coopération utile avec beaucoup d'autres pays.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, vous l'avez compris, je serai plein d'ardeur, heureux et fier de présider le conseil d'administration de l'ANSES.

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