Intervention de Catherine Pernette

Réunion du 29 octobre 2013 à 17h30
Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine goodyear d'amiens-nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Catherine Pernette, directrice régionale adjointe, responsable de l'unité territoriale de la Somme à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, DIRECCTE :

Mon propos introductif se déroulera en deux temps. Je commencerai par vous rappeler le cadre juridique d'intervention des services de la DIRECCTE, puis je vous présenterai les principales interventions de nos services depuis deux ans, puisque j'ai pris mes fonctions en tant que responsable de l'unité territoriale de la Somme le 15 décembre 2011.

La DIRRECTE dispose d'un large éventail de missions puisque celles-ci consistent à accompagner le développement des entreprises, agir contre le chômage et les exclusions – le taux de chômage est particulièrement élevé dans la Somme –, garantir les droits des salariés et soutenir le dialogue social, et enfin assurer la loyauté des marchés et la sécurité des consommateurs.

La DIRRECTE de Picardie est organisée autour de trois pôles : le pôle 3E – entreprise, emploi, économie – le pôle C – concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie – et le pôle T – politique du travail.

Le pôle 3E a trait au développement des entreprises, de l'emploi et des compétences. Il s'agit pour notre administration de soutenir la création et le développement des entreprises de tous secteurs et de toutes tailles, par le biais de l'innovation, de la structuration de filière – ce que nous faisons actuellement pour l'automobile – de promouvoir le développement de l'international dans les TPE, les PME et les pépites – entreprises remarquables du département. Notre mission consiste également à contribuer au développement des territoires, par le biais de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) au niveau régional, à parfaire notre connaissance du tissu économique en vue d'anticiper les mutations économiques, dans une approche filière et territoire – ce que nous faisons dans les bassins d'Abbeville, de l'Amiénois et de Péronne. Notre mission nous amène par ailleurs à enregistrer et contrôler les organismes de formation professionnelle et à gérer les fonds européens.

Dans le cadre du pôle T, nous mettons en oeuvre la politique du travail en faisant en sorte d'améliorer les conditions de travail et les relations sociales dans les entreprises autour de trois axes stratégiques majeurs : santé et sécurité au travail, qualité et effectivité du droit, dialogue social et démocratie sociale.

Concrètement, les services de l'inspection du travail et l'unité territoriale assurent la protection des salariés en vérifiant la conformité de leurs conditions de travail aux dispositions du code du travail, et vérifient l'accès au droit des salariés et des chefs d'entreprise en leur délivrant conseils et renseignements. Nos services ont également pour mission d'animer le dialogue social et d'encourager la négociation collective, ce que nous faisons sur des sujets d'actualité comme l'égalité professionnelle ou les contrats de génération, et jouent un rôle de médiateur dans les conflits. Enfin, nos services sont en charge du renforcement de la lutte contre le travail illégal, tant en termes de prévention que de contrôle.

En Picardie, la DIRECCTE est organisée à partir de trois unités territoriales, l'Aisne, l'Oise et la Somme. Le département constitue notre échelon opérationnel, ce qui nous place au plus près des difficultés du territoire, et plus précisément du bassin d'emploi et de ses entreprises, chefs d'entreprise, salariés, représentants du personnel et organismes consulaires.

L'unité territoriale de la Somme compte 62 agents, répartis sur trois grands secteurs d'activité.

Le premier concerne l'emploi et l'insertion et a trait à la mise en oeuvre des dispositifs suivants : contrats aidés, insertion par l'activité économique (IAE), services à la personne (SAP), alternance, emploi des travailleurs handicapés, animation territoriale, animation des acteurs locaux de l'emploi, Maisons de l'emploi (MDE), missions locales.

Le deuxième secteur est celui de l'inspection du travail, qui regroupe les agents de contrôle, un service de renseignement au public et d'accueil sur les questions de droit du travail, et une section centrale travail qui joue un rôle d'appui en matière d'homologation des ruptures conventionnelles et d'enregistrement des accords d'entreprise.

Le troisième secteur d'activité de l'unité territoriale concerne les mutations économiques. Nos services assurent le suivi des schémas d'intervention pour aider les entreprises en difficulté – par le biais d'actions de formation, de propositions d'activité partielle – ainsi que le suivi des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Ce secteur regroupe également la revitalisation des territoires.

En 2012, l'unité territoriale de la Somme était en charge de 11 553 établissements, pour un effectif théorique de 133 510 salariés, 8 inspecteurs et 14 contrôleurs du travail et un certain nombre d'assistantes de section. En 2012, ces agents ont réalisé 2 864 interventions en entreprise et ont dressé 88 procès-verbaux qui ont été transmis au parquet ; le service renseignement a reçu 3 741 usagers et rédigé 540 réponses. Nous avons homologué 1 952 ruptures conventionnelles et enregistré plus de 500 accords d'entreprise.

Dans le domaine de l'Inspection du travail, la DIRECCTE assure le contrôle de l'application du droit du travail dans son intégralité – code du travail et conventions collectives – dans tous les domaines qu'il recouvre : santé et sécurité, fonctionnement des instances représentatives du personnel, durée du travail, contrat de travail.

L'unité territoriale de la Somme est divisée en sept sections d'inspection du travail. Les inspecteurs et contrôleurs du travail ont un statut particulier qui garantit leur indépendance vis-à-vis de l'autorité publique et des partenaires sociaux, leur laisse une totale liberté sur les suites à donner au contrôle, qui vont de la lettre d'observation au procès-verbal en passant par le conseil, la mise en demeure ou l'arrêt des travaux. Ce statut leur assure une protection dans l'exercice de leurs fonctions dans le cas où ils rencontreraient un obstacle à l'accomplissement de leurs fonctions.

Comme tous les fonctionnaires, ils ont également des obligations : confidentialité, discrétion, secret professionnel, impartialité, devoir de réserve, moralité, intégrité et probité. Ils doivent motiver leurs décisions et rendre compte de leur activité.

Un inspecteur du travail dispose de plusieurs outils pour mener à bien ses missions. Il réalise des contrôles en entreprise, vérifie les conditions de travail des salariés et demande à l'entreprise de remédier aux situations de non-conformité ; il peut aussi prendre des décisions, qu'il doit impérativement motiver, sur des questions comme la durée du travail, les équipements, les instances représentatives du personnel. Il a par ailleurs une mission de conciliation et de conseil ainsi qu'un droit d'entrée, de visite et d'enquête, qui lui permet d'auditionner les salariés, et un droit de communication.

L'inspecteur et le contrôleur du travail peuvent donner différentes suites à leur visite : adresser à l'entreprise une lettre d'observation – dans laquelle ils constatent la non-conformité des installations aux dispositions du code du travail – la mettre en demeure de réaliser cette mise en conformité, en demander la vérification, établir un procès-verbal ou ordonner l'arrêt temporaire des travaux – essentiellement dans le secteur du BTP – ou déposer un référé.

En qualité de responsable d'unité territoriale, je représente l'échelon hiérarchique de l'inspection du travail. À ce titre, je garantis l'exercice de ses missions dans un cadre administratif, mais je ne peux ordonner à un inspecteur d'effectuer une visite dans une entreprise puisqu'il est indépendant, conformément à la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Dans le dossier Goodyear, les inspecteurs du travail ont naturellement effectué de nombreuses visites dans l'entreprise, ce qui est normal s'agissant d'un établissement industriel de grande taille dont l'activité comporte certains risques. En 2012, nous avons effectué 21 visites de contrôles sur des sujets variés comme la formation à la sécurité, le travail en hauteur, les consultations du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), le fonctionnement des délégués du personnel, les salaires, les évolutions professionnelles des élus, les principes généraux de prévention, la température des locaux, le budget du comité d'entreprise, les fiches d'exposition aux agents chimiques, l'étiquetage des produits, les vestiaires, le décompte du temps de travail, la fourniture d'équipements de protection individuelle… Au cours de ces visites, les inspecteurs du travail ont rappelé à l'entreprise ses obligations en matière de respect du code du travail.

En dehors de ces visites, les inspecteurs du travail ont la possibilité d'assister aux réunions du CHSCT, la seule instance représentative du personnel au sein de laquelle ils sont représentés. Les inspecteurs du travail successifs qui ont contrôlé l'établissement Goodyear ont donc participé à ces réunions et reçu à de nombreuses reprises les salariés et les employeurs dans le cadre de leur permanence, qui se tient sur le site une demi-journée par semaine. Ils ont adressé à la direction un certain nombre de demandes concernant la vérification d'équipements, plusieurs mises en demeure, et ils ont dressé trois procès-verbaux, en 2012, portant sur les équipements de travail et l'application de la convention collective – mais je ne peux vous en parler puisque ces documents ont été transmis au parquet et font l'objet d'une procédure judiciaire.

Notre administration intervient en outre dans les procédures collectives de suppression d'emplois, et cela en trois temps. Dans un premier temps, nous cherchons à éviter l'engagement d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique ; dans un deuxième temps, nous suivons la procédure déclenchée par l'employeur, et dans un troisième temps nous accompagnons les salariés dans le cadre de la revitalisation du territoire. Nos interventions ont essentiellement lieu dans des TPE et des PME, par le biais des aides (essentiellement deux aides FNE formation et activité partielle) et dans les entreprises qui envisagent leur reconversion totale. Nous sommes également amenés à rechercher des solutions alternatives, par exemple la reprise partielle ou totale de l'activité.

En ce qui concerne l'aide au dialogue social, nos services sont intervenus dès le mois de juin 2012 dans le cadre de la négociation du plan de départ volontaire (PDV) qui a donné lieu à pas moins de 14 réunions de négociation entre Goodyear et les partenaires sociaux, essentiellement la CGT. L'État est intervenu dans le cadre de réunions en préfecture, en présence des préfets de la Somme, MM. Delpuech et Cordet, pour essayer de régler les points de blocage et préciser le cadre légal des discussions entre les partenaires sociaux.

Une première réunion s'est tenue le 21 juin en présence de la direction, de la CGT et de l'État en vue de faciliter l'intervention de la CARSAT (Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail) pour établir le bilan des droits à la retraite des 185 seniors de l'entreprise et évaluer le portage par l'entreprise d'un dispositif permettant à ces salariés d'attendre le jour où ils percevront une retraite à taux plein.

Au cours de cette réunion, nous avons également évoqué la disparition de la dispense de recherche d'emploi accordée aux salariés âgés de plus de 57 ans, et avons contacté Pôle emploi à ce sujet.

Enfin, nous avons fait le point sur l'avancement de la négociation et le projet de PDV.

La deuxième réunion de négociation a eu lieu le 9 juillet. La cartographie de la CARSAT nous ayant été remise, nous avons été en mesure d'indiquer que 171 salariés de plus de 57 ans seraient soutenus par l'entreprise par le biais du congé de reclassement jusqu'à ce qu'ils bénéficient d'une retraite à taux plein.

La question de la dispense de recherche d'emploi a été à nouveau posée, mais nous avons acté du fait qu'elle n'existait plus et que Pôle emploi serait vigilant et suivrait la situation de chaque salarié de Goodyear. La CGT nous a fait part à cette occasion de son inquiétude face à l'attitude du groupe Titan, avec lequel les contacts étaient rompus.

Au cours de la dernière réunion, qui s'est tenue le 12 septembre, nous avons considéré que la question des départs des plus âgés était réglée dans le PDV et que la disparition de la dispense de recherche d'emploi obligeait tous les salariés à s'insérer dans le dispositif légal existant.

Il me semble que nous étions sur le point de signer un accord final, mais deux nouveaux points de blocage sont apparus : le premier portait sur la demande faite par l'entreprise à la CGT de renoncer aux actions juridiques individuelles et collectives ; le second portait sur le remplacement progressif des équipements tourisme par les équipements agraires. Le troisième point de blocage, commun à toutes les négociations, vient de l'engagement du groupe Titan de maintenir l'emploi pendant deux ans, durée que la CGT souhaitait fixer à cinq ans.

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