Intervention de Philippe Doucet

Réunion du 13 novembre 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Doucet, rapporteur :

Ce texte ayant été adopté à l'unanimité par le Sénat le 29 janvier 2013, il nous appartient aujourd'hui de prolonger cet élan afin de mener à bien l'édification d'un véritable statut de l'élu – entreprise sans doute périlleuse, mais éminemment nécessaire.

Rome ne s'est pas construite en un jour et nous n'apporterons sans doute pas, aujourd'hui, une réponse définitive à cette question, véritable « serpent de mer » de notre débat public. Depuis une trentaine d'années, l'émergence et l'affirmation de véritables pouvoirs locaux se sont accompagnées de toute une série d'initiatives et de réflexions, parmi lesquelles, en 1982, le célèbre rapport du sénateur Marcel Debarge, la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux et la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

Au fil de ces étapes, des garanties ont été accordées aux élus locaux dans l'exercice de leur mandat, mais également dans la poursuite d'une activité professionnelle et à l'issue du mandat. L'ensemble de ces dispositions occupe aujourd'hui, pour les seuls élus municipaux, près de vingt et une pages du code général des collectivités territoriales. Des règles similaires sont prévues pour les élus départementaux et régionaux, et depuis quelques années, pour ceux des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : communautés de communes, communautés d'agglomération, communautés urbaines et métropoles.

Chacun reconnaîtra que, au terme de cette histoire, le bilan se révèle mitigé. Les textes proclament des droits, mais les élus en bénéficient de manière très inégale selon la taille démographique – et donc les ressources – des collectivités qu'ils servent. Les lois posent des obligations, mais nos concitoyens ne les connaissent pas toujours, tant l'appareil des règles qui enserrent les conditions d'exercice des mandats locaux apparaît hermétique – y compris à ceux auxquels il s'applique. Or les temps présents nous appellent à la transparence. Cette exigence de la démocratie contemporaine implique notamment que les citoyens comme les élus connaissent leurs droits et leurs obligations. En ce sens, le problème du statut de l'élu demeure entier.

Dans le cadre des travaux de la mission d'information sur ce thème, mes collègues – dont Philippe Gosselin – et moi-même nous étions fixés pour objectif de rénover le dispositif normatif en vigueur afin de le rendre compréhensible pour les citoyens et adapté au rôle nouveau des élus. Cet objectif conserve aujourd'hui toute sa pertinence. Comment l'atteindre ? Avec du temps, nous pourrions nous lancer à la recherche d'un système global. Il n'est pas certain, cependant, que nous puissions trancher, dans des délais raisonnables, des controverses aussi anciennes et âpres que celle qui entoure, par exemple, l'application du principe de gratuité de l'exercice des mandats. Nous pouvons en revanche dès à présent nous rassembler autour de convictions communes : un mandat électif ne saurait être tenu pour un métier ; il constitue un engagement unique par l'intervention du suffrage universel et les éminentes responsabilités que celui-ci confère. Dans cette perspective, il nous faut moins régler des questions de principe que trouver des solutions concrètes à des problèmes souvent très pratiques.

Nous devons par conséquent saisir l'occasion que nous offre la proposition de loi que nous transmet le Sénat, qui porte un dispositif nécessaire, mais perfectible. En effet, nous avons bien des défis à relever, et en premier lieu celui de l'égal accès aux fonctions électives et du renouvellement de la représentation politique, en mal de diversité. Du point de vue de l'égalité entre les sexes, notre pays ne comptait en 2012 que 14,4 % de femmes parmi les maires ; en 2011, seules 7,2 % des structures intercommunales étaient présidées par une femme ; à cette même date, on ne recensait que cinq femmes présidentes de conseils généraux et une seule présidente de région. En matière de diversité sociologique, l'âge et le profil socioprofessionnel de nos élus présentent un décalage avec le reste de la population : quand les plus de soixante ans ne représentent que 23,4 % des habitants de notre pays, ils comptent pour 28 % des conseillers régionaux, 55 % des conseillers généraux et près de 60 % des maires. Par ailleurs, chacun peut constater la surreprésentation de certaines catégories socioprofessionnelles, telles que les fonctionnaires – 10 % de la population française de plus de quinze ans, mais 20 % des élus municipaux, 21,2 % des conseillers généraux et 25 % des conseillers régionaux. Le texte doit permettre de franchir un pas décisif vers l'égalité réelle dans l'accès aux fonctions dirigeantes électives.

Le deuxième défi consiste à donner aux élus locaux les moyens d'accomplir pleinement leur mandat. Tout d'abord, pour s'investir dans l'exercice de fonctions souvent prenantes, il faut du temps ; or, malgré les garanties assez larges prévues par la loi, les élus ne possèdent pas tous la même capacité à concilier vie privée et engagement public. Il faut ensuite une juste compensation des contraintes propres à l'accomplissement d'un mandat, alors que – chiffre trop peu connu de nos compatriotes – 80 % des élus ne perçoivent pas d'indemnités de fonction. Il faut enfin pouvoir disposer des compétences permettant de mieux servir la collectivité mais l'affirmation d'un droit à une formation adaptée aux fonctions demeure vaine si les pouvoirs publics ne se préoccupent pas des modalités pratiques de sa mise en oeuvre, c'est-à-dire des ressources et des conditions de l'offre de formation destinée aux élus.

Le troisième et dernier défi réside dans l'établissement d'un juste équilibre des droits et des devoirs dans l'exercice des responsabilités. S'il importe de prévenir les conflits d'intérêts et de favoriser la transparence de la vie publique, il s'avère tout aussi essentiel d'asseoir un régime de responsabilité pénale adapté aux conditions d'exercice des mandats électifs, ce qui suppose, entre autres, de résoudre la question récurrente de la responsabilité pénale des élus en cas de délit non intentionnel et de donner une définition plus pertinente à la prise illégale d'intérêts.

Sur toutes ces questions, la proposition de loi du Sénat a ouvert des pistes très intéressantes. L'article 1er améliore très sensiblement le régime indemnitaire des maires et des présidents de délégation spéciale en prévoyant que le montant de leur indemnité de fonction soit fixé, par principe, au niveau maximal résultant de l'application du taux supérieur prévu par la loi pour chaque catégorie de collectivités. Il étend également aux conseillers des communautés de communes le bénéfice des indemnités de fonction perçues par les conseillers municipaux des communes de moins de 100 000 habitants.

Les articles suivants étendent le champ des garanties destinées à permettre la conciliation entre engagement public et poursuite d'une activité professionnelle, notamment pour les élus municipaux. En effet, ils abaissent le seuil de population à partir duquel les communes sont concernées par plusieurs dispositifs : le congé électif dont disposent les salariés candidats pour mener une campagne électorale ; le crédit d'heures reconnu aux élus afin d'exercer leur mandat ; le droit à suspension du contrat de travail, à la réintégration professionnelle et à des actions de bilan de compétences et de réadaptation ; le statut de salariés protégés pour ceux qui n'auraient pas suspendu leur activité professionnelle ; le droit à une formation professionnelle.

La proposition de loi fait passer à un an la durée de perception de l'allocation différentielle de fin de mandat dont bénéficient actuellement, pour six mois à compter de la fin du mandat, les maires des communes d'au moins 1 000 habitants et les adjoints des communes d'au moins 20 000 habitants ayant reçu délégation de fonction qui, pour l'exercice de leur mandat, avaient cessé d'exercer leur activité professionnelle.

Le texte étend également aux élus les dispositifs permettant d'obtenir un diplôme universitaire dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience.

Enfin, plusieurs dispositions marquent une nouvelle étape dans l'affirmation de droits à la formation pour les élus. L'article 5 bis consacre ainsi à leur bénéfice un droit individuel à la formation, financé par une cotisation prélevée sur les indemnités de fonction des élus locaux, mis en oeuvre à leur initiative et donnant accès à des formations qui peuvent être sans lien avec l'exercice du mandat. L'article 6 institue un mécanisme de dépenses obligatoires des collectivités pour la formation des élus, ces dépenses ne pouvant être inférieures à 2 % du montant total des indemnités de fonction allouées aux membres de l'organe délibérant. Enfin, l'article 6 bis prévoit l'organisation d'une formation obligatoire pour les élus au cours de la première année de mandat.

J'ai déjà eu l'occasion, dans le cadre des travaux de la mission sur le statut de l'élu, d'exprimer un point de vue positif sur l'ensemble de ces mesures, et je le renouvellerai évidemment aujourd'hui. Je pense néanmoins que nous pouvons donner à ce dispositif un peu plus d'envergure.

Je me suis ainsi attaché à déposer des amendements mettant en oeuvre les propositions que la mission d'information avait adoptées de manière unanime. Pour l'une d'entre elles, concernant l'instauration de délégués de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, j'ai retenu la proposition de notre collègue Philippe Gosselin, qui consiste à permettre aux élus locaux de solliciter les avis de cette instance en matière de déontologie. Les amendements que je défendrai poursuivent deux objectifs : donner toute sa portée au dispositif de la proposition de loi – en l'étendant aux élus des petites communes et, dans certains cas, aux conseillers généraux et régionaux – et poser de nouveaux jalons dans la construction d'un authentique statut de l'élu. Afin de construire un équilibre entre les droits et les devoirs, je propose notamment de mieux définir la responsabilité pénale des élus en cas de délit non intentionnel et de créer une charte de l'élu local. Lue lors de la première réunion de l'assemblée délibérante de chaque collectivité, celle-ci énoncera les droits et les devoirs des élus, ainsi que les grands principes qu'il leur appartient de respecter dans l'accomplissement de leur mandat.

En tant que membres de la représentation nationale, nous devons accepter le prix d'une démocratie modernisée qui permettrait à l'ensemble des citoyens d'accéder aux fonctions électives, donnerait à ses élus les moyens d'assumer leurs responsabilités et leur assurerait une plus grande indépendance tout en fixant le cadre de leurs devoirs.

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